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Provençal à Paris. Jean GIONO, Les vraies richesses.

Publié le 22/02/2012

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giono

... Voilà la rue de Belleville qui monte et peu à peu me débarrasse des manteaux de feu. La frange de néon multicolore qui éblouissait mes yeux s'affaisse et retombe dans l'ombre. Le long de la rue, les épiceries et les magasins de légumes ne sont plus éclairés que par les lampes d'intérieur. Les commis rentrent les étalages. Les barriques d'anchois salés, avec l'alignement rayonnant de leurs petits poissons métalliques, les grappes de stocked-fish(l), les sacs de riz, de sucre, de fèves, les caisses de pâtes alimentaires. Au bord du trottoir dorment quelques voitures dévastées de marchandes des quatre-saisons engluées d'épluchures pendantes, de queues de poireaux, de feuilles de choux, de salades. La rue sent la saumure et le jardin potager, et quelquefois l'épice — un parfum aigu et qui bouleverse tout l'équilibre d'un homme — et quelquefois le drap, le cuir ou le fer-blanc. Il n'y a toujours dans la rue que cette lueur rouge qui sort des boutiques et, de loin en loin, les becs de gaz. Devant certains magasins déjà fermés on passe dans une zone d'ombre. Il y a presque toujours à ces endroits-là quelqu'un assis sur le trottoir, avec un journal sous les fesses.    De temps en temps, je m'arrête, je tourne la tête et je regarde vers le bas de la rue où Paris s'entasse : des foyers éclatants et des taches de ténèbres piquetées de points d'or. Des flammes blanches ou rouges flambent d'en bas comme d'une vallée nocturne où s'est arrêtée la caravane des nomades. Et le bruit : bruit de fleuve ou de foule. Mais les flammes sont fausses et froides comme celles de l'enfer. En bas, dans un de ces parages sombres est ma rue du Dragon, mon hôtel du Dragon. Quel ordre sournois, le soir déjà lointain de ma première arrivée, m'a fait mystérieusement choisir cette rue, cet hôtel au nom dévorant et enflammé? Il me serait facile, d'ici, d'imaginer le monstre aux écailles de feu. Je pourrais en voir la tête et la fumée de narine, et la langue dorée dardée vers le ciel, et les pustules, — et sentir sa puanteur intestinale. Mais je vois plus noir et plus vrai ; cette ville de misère physique et spirituelle, cette ville de pauvreté et de médiocrité, cette ville d'erreur et d'amour de l'erreur.    Jean GIONO, Les vraies richesses, Grasset, 1937, pp. 12-13.    SUJET    Dans un commentaire composé, vous montrerez en particulier combien, par le choix des détails, des mots, des images, etc., l'auteur reste, dans ce Paris qu'il n'aime pas, un homme de la Provence et un homme de la terre, et comment il exprime son aversion, précisément, pour la capitale.

giono

« Ici tout ce qui est noté porte sur des êtres humains ou sur les produits de l'homme, fabriqués par l'homme (c'estune des caractéristiques de la cité) : « Le long de la rue...

; les commis...

; les barriques...

; au bord du trottoir...

;la rue...

; quelqu'un assis sur le trottoir...

».

Rue et trottoir deviennent des centres. Pas d'indications précises de temps ; mais le train-train, la routine, les habitudes donnent l'impression d'uneemprise invisible, du contraire de la liberté.

Actes et attitudes traditionnellement identiques, répétitifs. Véritable inventaire, par petites touches où le visuel est allié à l'olfactif. Son écriture est là aussi une expérience vécue. Mais il se sent «gêné»; plusieurs verbes en témoignent : «me débarrasse», «néon qui éblouissait mes yeux»,«parfum qui bouleverse tout l'équilibre».

Ses expériences visuelles et auditives sont même pénibles.

Bref, il n'est pasà l'aise en ville. Certes, il ne parle pas ici de sa chère Provence (c'est le titre qui renseigne), mais on le sent non-intégré, gauche. Notons l'absence de tout paysage, de tout pittoresque.

En particulier un premier paragraphe absolument sanschaleur. IIe thème : ...«à Paris». Ainsi Giono n'aime pas la ville, car il a grandi et vécu en Provence, pays de soleils éclatants et de champs étendus,d'où contrastes sur les lumières et les dimensions. Pour lui, ville = activité humaine, mais pas passionnante : — ville = tableau morne; indifférence; vulgarité et monotonie ; — ville = vérité banale; ensemble infiniment prosaïque ; — ville = odeurs fades ou écœurantes ; son nez délicat, habitué à respirer l'air pur de la campagne, est blessé.

Ilsuffoque. De plus, il déteste la foule : « J'ai toujours détesté la foule.

J'aime les déserts, les prisons, les couvents.

» (Voyage en Italie).

A cause d'elle,une grande ville est rumeur incessante et apprêtée. Enfin laideur et banalité accompagnent fatalement l'urbanisme.

C'est donc le contraire de la paix et de la beautérurales, le contraire de la joie et du repos. De plus, c'est Paris, particulièrement, la capitale, qu'il n'aime pas. «Paris s'entasse» : la ville est présentée comme un être vivant qui agit. Rapport étroit entre les aspects physiques de Paris (1er paragraphe) et sa vision monstrueuse, véritabletransposition morale (2e paragraphe). La présentation de Giono est fort différente de celle de Zola qui laisse, malgré d'âpres critiques contre la cité,transparaître une véritable affection (L'Œuvre) ou de celle d'Aragon qui garde pour Paris une vraie tendresse (LePaysan de Paris). Il est vrai que Giono n'y a jamais vraiment habité, mais il trace d'elle une image qui n'est ni panoramique, nimajestueuse. Est-ce que Paris lui ferait peur ? — La ville prend une forme menaçante, précise, au fur et à mesure que s'affirme la volonté de l'écrivain de lui fairejouer un rôle plus important que celui d'un simple décor. — Paris, créature vivante devient une vie gigantesque, inquiétante. — Noter les images, les métaphores qui la peignent. C'est la superposition d'une vision fantastique à la réalité objective. Résultat de sa propre aversion, de son dégoût, de sa répulsion (tout le 2e paragraphe).. »

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