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RÉVÉRONI SAINT-CYR Jacques Antoine : sa vie et son oeuvre

Publié le 01/12/2018

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RÉVÉRONI SAINT-CYR Jacques Antoine (1767-1829). Révéroni semblait condamné à un oubli irrévocable lorsqu’en 1955 Marcel Ruff vit dans ses romans une étape dans la vertigineuse « descente aux enfers » qui, selon lui, menait au satanisme baudelairien. Peu après, Albert-Marie Schmidt appelait l’attention du grand public en demandant : « Révéroni Saint-Cyr est-il un autre Sade? » Michel Foucault, en 1962, et Henri Coulet, en 1967, furent tentés de répondre par l’affirmative. Le roman Pauliska ou la Perversité moderne (1798) avait fait son retour dans notre mémoire culturelle. Cent quatre-vingts ans après sa parution, il a été réédité. Autour de ce texte, une œuvre fascinante reste à découvrir.

 

Machineries

 

La vie sociale de Révéroni est vouée aux rigueurs de la discipline et du calcul. Depuis son entrée, jeune encore, dans le génie, on suit ses activités militaires : capitaine au début de la Révolution, attaché au ministère de la Guerre en 1792, ingénieur chargé des fortifications sur l’Atlantique puis dans le Nord, répétiteur à l’École polytechnique, responsable de divers services militaires sous l’Empire, il prend sa retraite de colonel en 1814, sans avoir connu une carrière particulièrement brillante. Ce versant diurne de son existence est ponctué de mémoires et de traités techniques dont on retiendra des Inventions militaires et fortifiantes ( 1795). Essai sur le perfectionnement des beaux-arts par les sciences exactes (1803) est déjà plus troublant par son projet de rationalisation des arts, qui le conduit à jouer de façon suspecte avec les chiffres et les équations. C’est que cet officier est habité de rêves et de cauchemars.

 

Il reste ingénieur dans le maniement des machines d'opéra. Sous la Révolution, il commence à rédiger des livrets où se manifestent le goût de l’émotion et le sens du spectacle. Elisa ou le Voyageur du mont Bernard (1795), opéra mis en musique par Cherubini lui-même, présente un jeune homme romantique promenant son désespoir au milieu des avalanches qui doivent secouer le décor, tandis que Héléna ou les Miquelets (1795) culmine avec l’explosion d’une mine. On retrouve ces grandes passions et ces effets dans la vingtaine d'autres pièces qu’il a composées. Sa qualification professionnelle reparaît dans Vauban à Charleroi (1826), qui nous fait assister au siège de la ville.

 

Mais c’est dans le roman que son imagination se libère et produit les machines les plus fantastiques. Pauliska traverse une Europe à feu et à sang, travaillée sou-terrainement de complots et d’expériences occultes. Les récentes découvertes de Lavoisier, les techniques de l’imprimerie, les recherches sur l’électricité et le magnétisme fournissent tour à tour mécanismes et appareillages pour traverser les corps et leur faire dire leurs désirs ou leurs secrets. Entre les machines sadiennes, qui déchiquettent les victimes, et celle de la Colonie pénitentiaire imaginée par Kafka, qui les marque de la Loi, Révéroni dit l’obsession d’individus dépossédés de toute intimité.

 

Révolutions

 

Ces machines infernales sapent les fondements du réel, à l’image de révolutions qui mettent à bas les institutions les mieux établies. On sait que l’officier Révéroni était aux Tuileries lors du 10-Août, à la Convention lors des émeutes de Vendémiaire. Officier loyaliste, il semble

« s'adapter aux régimes qui se succèdent, mais ses fictions, traversées par l'actualité, nous le montrent fidèle à cer­ tains principes - à certaines hantises aussi.

Les premiers opéra� appartiennent à la production révolutionnaire : dans Elisa, le Saint-Bernard devient le mont Bernard, et toute référence à la religion est effacée tandis qu' Héléna vante la juste guerre de la France libérant les miquelets (Catalans incorporés dans l'armée française) du despo­ tisme.

Deux romans historiques qui se font suite, la Prin­ cesse de Nevers (181 2) et le Prince Raimond de Bourbon ( 1823) conduisent le lecteur aux temps agités des guerres de Religion.

Le moralisme et le conformisme l'empor­ tent, mais le point de vue du héros-narrateur est celui du parti protestant, tandis que les jésuites conspirent dans l'ombre.

Vauban à Charleroi fait l'apologie des audaces réformistes de Vauban et Boisguilbert.

Par-delà cette discrète fidélité à certains des idéaux de 1789, la Révolution est le plus souvent fantasmée comme une subversion radicale et une perte de toute identité dont la violence des passions semble être la métaphore.

Sabina d'Herfeld ou les Dangers de l'imagi­ nation (1797), l'Officier russe à Paris (1814) et le Tor­ rent des passions ou les Dangers de la galanterie (1818) sont autant de versions d'un combat de l'amour contre le libertinage et ses perversités, combat perdu d'avance car les héros sensibles se complaisent dans les larmes.

Sous le titre étonnant de Taméha, reine des îles Sanwick morte à Londres en 1824, ou les Revers d'unfashiona­ ble, roman historique et critique ( 1825) se cache un nouveau Supplément au Voyage de Bougainville, où la pureté des passions primitives se heurte aux corruptions de notre vie sociale.

Partout la passion mène à la folie et à la mort.

Dans Pauliska, les frontières sont boulever­ sées, la Pologne est condamnée à disparaître de la carte, chaque personnage est menacé dans son identité sexuelle.

La folie se tapit au creux de chacun de ces livres, publiés anonymement ou signés de sigles : c'est le moi de l'auteur qui s'y disperse et s'y perd.

La démence devait le frapper à son tour.

On l'a comparé à Laclos, autre officier du génie, à Sade, dont les héroïnes sont les sœurs dans le malheur de Pauliska.

Il est aussi le contemporain exact des romantiques allemands qui, de Kleist à Holderlin, ont suivi leur rêve jusqu'à la folie et à la mort.

B IB LIOGRAPHlE Le roman Pa11liska a été réédité par B.

Didier (Paris, Régine Deforges, 1976) et par M.

Delon (Paris, Desjonquères, 1992).

Il e s t analysé par M.

Foucault dans « Un si cruel savoir», Critique, ju iUe t 1962, par H.

Coulet dans le Roman j11squ'à la Révolution.

Colin.

t.

1.

p.

47•)-471, et par M.

Delon ...

Machines gothiques», Europe, mars 1984 (n° spécial « le Roman gothique » ).

M.

DELON. »

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