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roman de renart

Publié le 11/05/2013

Extrait du document

Comment Renart emporta la nuit les bacons d’Ysengrin. Renart, un matin, entra chez son oncle, les yeux troubles, la pelisse hérissée. « Qu’est-ce, beau neveu ? Tu parais en mauvais point, « dit le maître du logis ; « serais-tu malade, — Oui ; je ne me sens pas bien. — Tu n’as pas déjeuné ? — Non, et même je n’en ai pas envie. — Allons donc ! Cà, dame Hersent, levez-vous tout de suite, préparez à ce cher neveu une brochette de rognons et de rate ; il ne la refusera pas. « Hersent quitte le lit et se dispose à obéir. Mais Renart attendait mieux de son oncle ; il voyait trois beaux bacons suspendus au faîte de la salle, et c’est leur fumée qui l’avait attiré. « Voilà, « dit-il, « des bacons bien aventurés ! Savez-vous, bel oncle, que si l’un de vos voisins (n’importe lequel, ils se valent tous) les apercevait, il en voudrait sa part ? À votre place, je ne perdrais pas un moment pour les détacher, et je dirais bien haut qu’on me les a volés. — Bah ! fit Ysengrin, je n’en suis pas inquiet ; et tel peut les voir qui n’en saura jamais le goût. — Comment ! Si l’on vous en demandait ? — Il n’y a demande qui tienne ; je n’en donnerais pas à mon neveu, à mon frère, à qui que ce soit au monde. « Renart n’insista pas ; il mangea ses rognons et prit congé. Mais, le surlendemain, il revint à la nuit fermée devant la maison d’Ysengrin. Tout le monde y dormait. Il monte sur le faîte, creuse et ménage une ouverture, passe, arrive aux bacons, les emporte, revient chez lui, les coupe en morceaux et les cache dans la paille de son lit. Cependant le jour arrive ; Ysengrin ouvre les yeux : Qu’est cela ? le toit ouvert, les bacons, ses chers bacons enlevés  ! « Au secours ! au voleur ! Hersent ! Hersent ! Nous sommes perdus ! « Hersent, réveillée en sursaut, se lève échevelée : « Qu’y a-t-il ? Oh ! quelle aventure ! Nous, dépouillés par les voleurs ! À qui nous plaindre  ! « Ils crient à qui mieux mieux mais ils ne savent qui accuser ; ils se perdent en vains efforts pour deviner l’auteur d’un pareil attentat. Renart cependant arrive : il avait bien mangé, il avait le visage reposé, satisfait. « Eh ! bel oncle, qu’avez-vous ? vous me paraissez en mauvais point ; seriez-vous malade ? — Je n’en aurais que trop sujet ; nos trois beaux bacons, tu sais ? on me les a pris ! — Ah ! « répond en riant Renart, « c’est bien cela ! Oui, voilà comme il faut dire : on vous les a pris. Bien, très-bien ! mais, oncle, ce n’est pas tout, il faut le crier dans la rue, que vos voisins n’en puissent douter. — Eh ! je te dis la vérité ; on m’a volé mes bacons, mes beaux bacons. — Allons ! « reprend Renart, « ce n’est pas à moi qu’il faut dire cela : tel se plaint, je le sais, qui n’a pas le moindre mal. Vos bacons, vous les avez mis à l’abri des allants et venants ; vous avez bien fait, je vous approuve fort. — Comment ! mauvais plaisant, tu ne veux pas m’entendre ? je te dis qu’on m’a volé mes bacons. — Dites, dites toujours. — Cela n’est pas bien, « fait alors dame Hersent, « de ne pas nous croire. Si nous les avions, ce serait pour nous un plaisir de les partager, vous le savez bien. — Je sais que vous connaissez les bons tours. Pourtant ici tout n’est pas profit : voilà votre maison trouée ; il le fallait, j’en suis d’accord, mais cela demandera de grandes réparations. C’est par là que les voleurs sont entrés, n’est-ce pas ? c’est par là qu’ils se sont enfuis ? — Oui, c’est la vérité. — Vous ne sauriez dire autre chose. — Malheur en tout cas, « dit Ysengrin, roulant des yeux, « à qui m’a pris mes bacons, si je viens à le découvrir ! « Renart ne répondit plus ; il fit une belle moue, et s’éloigna en ricanant sous cape. Telle fut la première aventure, les Enfances de Renart. Plus tard il fit mieux, pour le malheur de tous, et surtout de son cher compère Ysengrin. 2 Comment Renart entra dans la ferme de Constant Desnois ; comment il emporta Chantecler et comment il ne le mangea pas. Puis, un autre jour, il arrive à Renart de se présenter devant un village au milieu des bois, fort abondamment peuplé de coqs, gelines, jars, oisons et canards. Dans le plessis, messire Constant Desnois, un vilain fort à l’aise, avait sa maison abondamment garnie des meilleures provisions, de viandes fraîches et salées. D’un côté, des pommes et des poires ; de l’autre le parc aux bestiaux, formé d’une enceinte de pieux de chêne recouverts d’aubépines touffus. C’est là que Constant Desnois tenait ses gelines à l’abri de toute surprise. Renart, entré dans le plessis, s’approche doucement de la clôture. Mais les épines entrelacées ne lui permettent pas de franchir la palissade. Il entrevoit les gelines, il suit leurs mouvements, mais il ne sait comment les joindre. S’il quitte l’endroit où il se tenait accroupi, et si même il ose tenter de bondir au-dessus de la barrière, il sera vu sans aucun doute, et pendant que les gelines se jetteront dans les épines, on lui donnera la chasse, on le happera, il n’aura pas le temps d’ôter une plume au moindre poussin. Il a beau se battre les flancs et, pour attirer les gelines, baisser le cou, agiter le bout de sa queue, rien ne luy réussit. Enfin, dans la clôture, il avise un pieu rompu qui lui promet une entrée facile : il s’élance et tombe dans une plate-bande de choux que le vilain avait menagée. Mais le bruit de sa chute avait donné l’éveil à la volatile ; les gelines effrayées se sauvent vers les bâtiments. Ce n’était pas le compte de Renart. D’un autre côté, Chantecler le coq revenait d’une reconnaissance dans la haie ; Il voit fuir ses vassales, et ne comprenant rien à leur effroi, il les rejoint la plume abaissée, le col tendu. Alors, d’un ton de reproche et de mécontentement : « Pourquoi cette presse à regagner la maison ? Êtes-vous folles ? « Pinte, la meilleure tête de la troupe, celle qui pond les plus gros œufs, se charge de la réponse : « C’est que nous avons eu bien peur. — Et de quoi ? Est-ce au moins de quelque chose ? — Oui. — Voyons. — C’est d’une bête des bois qui pouvait nous mettre en mauvais point. — Allons ! « dit le coq, « ce n’est rien apparemment ; restez, je réponds de tout. — Oh ! tenez « cria Pinte, « je viens encore de l’apercevoir. — Vous ? — Oui ; au moins ai-je vu remuer la haie et trembler les feuilles de chou sous lesquelles il se tient caché. — Taisez-vous, sotte que vous êtes «, dit fièrement Chantecler, comment un goupil, un putois même pourrait-il entrer ici : la haie n’est-elle pas trop serrée ? Dormez tranquilles ; après tout, je suis là pour vous défendre. Chantecler dit, et s’en va gratter un fumier qui semblait l’intéresser vivement. Cependant, les paroles de Pinte lui revenaient, et sans savoir ce qui lui pendait à l’œil, il affectait une tranquillité qu’il n’avait pas. Il monte sur la pointe d’un toit, là, un oeil ouvert et l’autre clos, un pied crochu et l’autre droit, il observe et regarde çà et là par intervalles, jusqu’à ce que las de veiller et de chanter, il se laisse involontairement aller au sommeil. Alors il est visité par un songe étrange ; il croit voir un objet qui de la cour s’avance vers lui, et lui cause un frisson mortel. Cet objet lui présentait une pelisse rousse engoulée ou bordée de petites pointes blanches ; il endossait la pelisse fort étroite d’entrée, et, ce qu’il ne comprenait pas, il la revêtait par le collet, si bien qu’en y entrant, il allait donner de la tête vers la naissance de la queue. D’ailleurs, la pelisse avait la fourrure en dehors, ce qui était tout à fait contre l’usage des pelisses. Chantecler épouvanté tressaille et se réveille : « Saint-Esprit ! « dit-il en se signant, « défends mon corps de mort et de prison ! « Il saute en bas du toit et va rejoindre les poules dispersées sous les buissons de la haie. Il demande Pinte, elle arrive. « Ma chère Pinte, je te l’avoue, je suis inquiet à mon tour. — Vous voulez vous railler de nous apparemment,  « répond la geline ; « vous êtes comme le chien qui crie avant que la pierre ne le touche. Voyons, que vous est-il arrivé  ? — Je viens de faire un songe étrange, et vous allez m’en dire votre avis. J’ai cru voir arriver à moi je ne sais quelle chose portant une pelisse rousse, bien taillée sans trace de ciseaux. J’étais contraint à m’en affubler ; la bordure avait la blancheur et la dureté de l’ivoire ; la fourrure était en dehors, on me la passait en sens contraire, et comme j’essayais de m’en débarrasser, je tressaillis et me réveillai. Dites-moi, vous qui êtes sage, ce qu’il faut penser de tout cela. « « Eh bien tout cela, « dit sérieusement Pinte, « n’est que songe, et tout songe, dit-on, est mensonge. Cependant je crois deviner ce que le vôtre peut annoncer. L’objet porteur d’une rousse pelisse n’est autre que le goupil, qui voudra vous en affubler. Dans la bordure semblable à des grains d’ivoire, je reconnais les dents blanches dont vous sentirez la solidité. L’encolure si étroite de la pelisse c’est le gosier de la méchante bête ; par elle passerez-vous et pourrez-vous de votre tête toucher la queue dont la fourrure sera en dehors. Voilà le sens de votre songe ; et tout cela pourra bien vous arriver avant midi. N’attendez donc pas, croyez-moi ; lâchons tous le pied, car je vous le répète, il est là, là dans ce buisson, épiant le moment de vous happer. « Mais Chantecler, entièrement réveillé, avait repris sa première confiance. « Pinte, ma mie «, dit-il, « voilà de vos terreurs, et votre faiblesse ordinaire. Comment pouvez-vous supposer que moi, je me laisse prendre par une bête cachée dans notre parc ! Vous êtes folle en vérité, et bien fou celui qui s’épouvante d’un rêve. — Il en sera donc, « dit Pinte « ce que Dieu voudra : mais que je n’aie plus la moindre part à vos bonnes grâces, si le songe que vous m’avez raconté demande une autre explication. — Allons, allons, ma toute belle « dit Chantecler en se rengorgeant, « assez de caquet comme cela. « Et de retourner au tas qu’il se plaisait à gratiller. Peu de temps après, le sommeil lui avait de nouveau fermé les yeux. Or Renart n’avait rien perdu de l’entretien de Chantecler et de Pinte. Il avait vu avec satisfaction la confiance du coq, et quand il le crut bien rendormi, il fit un mouvement, mit doucement un pas devant l’autre, puis s’élança pour le happer d’un seul bond. Mais si doucement ne put-il avancer que Chantecler ne le devinât, et n’eût le temps de faire un saut et d’éviter l’atteinte, en volant de l’autre côté du fumier. Renart voit avec dépit qu’il a manqué son coup ; et maintenant, le moyen de retenir la proie qui lui échappe ? « Ah ! mon Dieu, Chantecler, « dit-il de sa voix la plus douce, « vous vous éloignez comme si vous aviez peur de votre meilleur ami. De grâce, laissez-moi vous dire combien je suis heureux de vous voir si dispos et si agile. Nous sommes cousins germains, vous savez. « Chantecler ne répondit pas, soit qu’il resta défiant, soit que le plaisir de s’entendre louer par un parent qu’il avait méconnu lui ôta la parole. Mais pour montrer qu’il n’avait pas peur, il entonna un brillant sonnet. « Oui, c’est assez bien chanté, « dit Renart, « mais vous souvient-il du bon Chanteclin qui vous mit au monde ? Ah ! c’est lui qu’il fallait entendre. Jamais personne de sa race n’en approchera. Il avait, je m’en souviens, la voix si haute, si claire, qu’on l’écoutait une lieue à la ronde, et pour prolonger les sons tout d’une haleine, il lui suffisait d’ouvrir la bouche et de fermer les yeux. — Cousin, « fait alors Chantecler, « vous voulez apparemment railler. — Moi railler un ami, un parent aussi proche ? ah ! Chantecler, vous ne le pensez pas. La vérité c’est que je n’aime rien tant que la bonne musique, et je m’y connais. Vous chanteriez bien si vous vouliez ; clignez seulement un peu de l’œil, et commencez un de vos meilleurs airs. — Mais d’abord, « dit Chantecler, « puis-je me fier à vos paroles ? éloignez-vous un peu, si vous voulez que je chante : vous jugerez mieux, à distance, de l’étendue de mon fausset. — Soit, « dit Renart, en reculant à peine, « voyons donc cousin, si vous êtes réellement fils de mon bon oncle Chanteclin. « Le coq, un oeil ouvert l’autre fermé, et toujours un peu sur ses gardes, commence alors un grand air. « Franchement «, dit Renart, « cela n’a rien de vraiment remarquable ; mais Chantecler, ah ! c’était lui : quelle différence ! Dès qu’il avait fermé les yeux, il prolongeait les traits au point qu’on l’entendait bien au delà du plessis. Franchement, mon pauvre ami, vous n’en approchez pas. « Ces mots piquèrent assez Chantecler pour lui faire oublier tout, afin de se relever dans l’estime de son cousin : il cligna des yeux, il lança une note qu’il prolongeait à perte d’haleine, quand l’autre croyant le bon moment venu, s’élance comme une flèche, le saisit au col et se met à la fuite avec sa proie. Pinte qui le suivait des yeux, pousse alors un cri des plus aigus. « Ah ! Chantecler, je vous l’avais bien dit ; pourquoi ne m’avoir pas crue ! Voilà Renart qui vous emporte. Ah ! pauvre dolente ! Que vais-je devenir, privée de mon époux, de mon seigneur, de tout ce que j’aimais au monde ! « Cependant au moment où Renart saisissait le pauvre coq, le jour tombait, et la vieille femme, gardienne de l’enclos, ouvrait la porte du gelinier. Elle appelle Pinte, Bise, Roussette ; personne ne répond ; elle lève les yeux, elle voit Renart emportant Chantecler à toutes jambes. « Haro, Haro ! « s’écria-t-elle, « au Renart, au voleur ! « et les vilains d’accourir de tous côtés. « Qu’y a-t-il ? pourquoi cette clameur ? — Haro ! « crie de nouveau la vieille, « le goupil emporte mon coq. — Eh ! pourquoi, méchante vieille «, dit Constant Desnois, « l’avez-vous laissé faire ? – Parce qu’il n’a pas voulu m’attendre. — Il fallait le frapper. — Avec quoi ? — De votre quenouille. — Il courait trop fort : vos chiens bretons ne l’auraient pas rejoint. — Par où va-t-il ? — De ce côté ; tenez, le voyez-vous là-bas ? « Renart franchissait alors les haies ; mais les vilains l’entendirent tomber de l’autre côté et tout le monde se mit à sa poursuite. Constant Desnois lâche Mauvoisin, son gros dogue. On retrouve la piste, on l’approche, on va l’atteindre. Le Goupil ! le goupil ! Renart n’en courait que plus vite. « Sire Renart, « dit alors le pauvre Chantecler d’une voix entrecoupée, « laisserez-vous ainsi maugréer ces vilains ? À votre place je m’en vengerais, et je les gaberais à mon tour. Quand Constant Desnois dira à ses valets : Renart l’emporte ; répondez : Oui, à votre nez, et malgré vous. Cela seul les fera taire. « On l’a dit bien souvent ; il n’est sage qui parfois ne folie. Renart, le trompeur universel, fut ici trompé lui-même, et quand il entendit la voix de Constant Desnois, il prit plaisir à lui répondre : Oui, vilains, je prends votre coq, et malgré vous. Mais Chantecler, dès qu’il ne sent plus l’étreinte des dents, fait un effort, échappe, bat des ailes, et le voilà sur les hautes branches d’un pommier voisin, tandis que, dépité et surpris, Renart revient sur ses pas et comprend la sottise irréparable qu’il a faite. « Ah ! mon beau cousin « lui dit le coq, « voilà le moment de réfléchir sur les changements de fortune. — Maudit soit, « dit Renart, « la bouche qui s’avise de parler quand elle doit se taire ! — Oui «, reprend Chantecler, « et la malegoute crève l’œil qui va se fermer quand il devait s’ouvrir plus grand que jamais. Voyez-vous, Renart, fol toujours sera qui de rien vous croira : au diable votre beau cousinage ! J’ai vu le moment où j’allais le payer bien cher ; mais pour vous, je vous engage à jouer des jambes, si pourtant vous tenez à votre pelisse. « Renart ne s’amusa pas à répondre. Une fourrée le mit à l’abri des chasseurs. Il s’éloigna l’âme triste et la panse vide, tandis que le coq, longtemps avant le retour des vilains, regagnait joyeusement l’enclos, et rendait par sa présence le calme à tant d’amies que son malheur avait douloureusement affectées . 3 Comment Berton le Maire fut trompé par Renart, et comment Renart fut trompé par Noiret. Pierre, qui vint au monde à Saint-Cloud, cédant au désir de ses amis, a longtemps veillé pour mettre en vers plusieurs joyeux tours de Renart, ce méchant nain dont tant de bonnes âmes ont eu droit de se plaindre. Si l’on veut faire un peu silence, on pourra trouver ici matière à plus d’un bon enseignement. C’était au mois de mai, temps où monte la fleur sur l’aubépine, où les bois, les prés reverdissent, où les oiseaux disent, nuit et jour, chansons nouvelles. Renart seul n’avait pas toutes ses joies, même dans son château de Maupertuis : il était à la fin de ses ressources ; déjà sa famille, n’ayant plus rien à mettre sous la dent, poussait des cris lamentables, et sa chère Hermeline, nouvellement relevée, était surtout épuisée de besoin. Il se résigna donc à quitter cette retraite ; il partit, en jurant sur les saintes reliques de ne pas revenir sans rapporter au logis d’abondantes provisions. Il entre dans le bois, laissant à gauche la route frayée ; car les chemins n’ont pas été faits pour son usage. Après mille et mille détours, il descend enfin dans la prairie. « Ah ! sainte Marie  ! « dit-il alors, « où trouver jamais lieux plus agréables ! C’est le Paradis terrestre ou peu s’en faut : des eaux, des fleurs, des bois, des monts et des prairies. Heureux qui pourrait vivre ici de sa pleine vie, avec une chasse toujours abondante et facile ! Mais les champs les plus verts, les fleurs les plus odorantes n’empêchent pas ce proverbe d’être vrai : le besoin fait vielles trotter. « Renart, en poussant un long gémissement, se remit à la voie. La faim, qui chasse le loup hors du bois, lui donnait des jambes. Il descend, il monte, il épie de tous côtés si d’aventure quelque oiseau, quelque lapin ne vient pas à sa portée. Un sentier conduisait à la ferme voisine ; Renart le suit, résolu de visiter les lieux à ses risques et périls. Le voilà devant la clôture : mais tout en suivant les détours de haies et de sureaux, il dit une oraison pour que Dieu le garde de malencontre, et lui envoie de quoi rendre la joie à sa femme et à toute sa famille. Avant d’aller plus loin, il est bon de vous dire que la ferme était au vilain le plus aisé qu’on pût trouver d’ici jusqu’à Troies (j’entends Troies la petite, celle où ne régna jamais le roi Priam). La maison tenant au plessis était abondamment pourvue de tout ce qu’il est possible de désirer à la campagne : bœufs et vaches, brebis et moutons ; des gelines, des chapons, des œufs, du fromage et du lait. Heureux Renart, s’il peut trouver le moyen d’y entrer ! Mais c’était là le difficile. La maison, la cour et les jardins, tout était fermé de pieux longs, aigus et solides, protégés eux-mêmes par un fossé rempli d’eau. Je n’ai pas besoin d’ajouter que les jardins étaient ombragés d’arbres chargés des plus beaux fruits ; ce n’était pas là ce qui éveillait l’attention de Renart. Le vilain avait nom Bertaud ou Berton le Maire ; homme assez peu subtil, très-avare et surtout désireux d’accroître sa chevance. Plutôt que de manger une de ses gelines, il eût laissé couper ses grenons, et jamais aucun de ses nombreux chapons n’avait couru le danger d’entrer dans sa marmite. Mais il en envoyait chaque semaine un certain nombre au marché. Pour Renart il avait des idées toutes différentes sur le bon usage des chapons et des gelines ; et s’il entre dans la ferme, on peut être sûr qu’il voudra juger par lui-même du goût plus ou moins exquis de ces belles pensionnaires. De bonheur pour lui, Berton était, ce jour-là, seul à la maison. Sa femme venait de partir pour aller vendre son fil à la ville, et les garçons étaient dispersés dans les champs, chacun à son ouvrage. Renart, parvenu au pied des haies par un étroit sentier qui séparait deux blés, aperçut tout d’abord, en plein soleil, nombre chapons, et Noiret tout au milieu, clignant les yeux d’un air indolent, tandis que près de lui, gelines et poussins grattaient à qui mieux mieux la paille amassée derrière un buisson d’épines. Quel irritant aiguillon pour la faim qui le tourmentait ! Mais ici l’adresse et l’invention servaient de peu : il va, vient, fait et refait le tour des haies, nulle part la moindre trouée. À la fin, cependant, il remarque un pieu moins solidement tenu et comme pourri de vieillesse, près d’un sillon qui servait à l’écoulement des eaux grossies par les pluies d’orage. Il s’élance, franchit le ruisseau, se coule dans la haie, s’arrête, et déjà ses barbes frissonnent de plaisir à l’idée de la chair savoureuse d’un gros chapon qu’il avise. Immobile, aplati sous une tige épineuse, il guette le moment, il écoute. Cependant Noiret, dans toutes les joies de la confiance, se carre dans le jardin, appelle ses gelines, les flatte ou les gourmande, et se rapprochant de l’endroit où Renart se tient caché, il y commence à grateler. Tout à coup Renart paraît et s’élance ; il croit le saisir, mais il manque son coup. Noiret se jette vivement de côté, vole, saute et court en poussant des cris de détresse. Berton l’entend ; il sort du logis, cherche d’où vient le tumulte, et reconnaît bientôt le goupil à la poursuite de son coq. « Ah ! c’est vous, maître larron ! vous allez avoir affaire à moi. « Il rentre alors à la maison, pour prendre non pas une arme tranchante (il sait qu’un vilain n’a pas droit d’en faire usage contre une bête fau...

« Renart cependant arrive : il avait bien mangé, il avait le visage reposé, satisfait.

« Eh ! bel oncle, qu'avez-vous ? vous me paraissez en mauvais point ; seriez-vous malade ? — Je n'en aurais que trop sujet ; nos trois beaux bacons, tu sais ? on me les a pris ! — Ah ! » répond en riant Renart, « c'est bien cela ! Oui, voilà comme il faut dire : on vous les a pris.

Bien, très-bien ! mais, oncle, ce n'est pas tout, il faut le crier dans la rue, que vos voisins n'en puissent douter.

— Eh ! je te dis la vérité ; on m'a volé mes bacons, mes beaux bacons.

— Allons ! » reprend Renart, « ce n'est pas à moi qu'il faut dire cela : tel se plaint, je le sais, qui n'a pas le moindre mal.

Vos bacons, vous les avez mis à l'abri des allants et venants ; vous avez bien fait, je vous approuve fort.

— Comment ! mauvais plaisant, tu ne veux pas m'entendre ? je te dis qu'on m'a volé mes bacons.

— Dites, dites toujours.

— Cela n'est pas bien, » fait alors dame Hersent, « de ne pas nous croire.

Si nous les avions, ce serait pour nous un plaisir de les partager, vous le savez bien.

— Je sais que vous connaissez les bons tours.

Pourtant ici tout n'est pas profit : voilà votre maison trouée ; il le fallait, j'en suis d'accord, mais cela demandera de grandes réparations.

C'est par là que les voleurs sont entrés, n'est-ce pas ? c'est par là qu'ils se sont enfuis ? — Oui, c'est la vérité.

— Vous ne sauriez dire autre chose.

— Malheur en tout cas, » dit Ysengrin, roulant des yeux, « à qui m'a pris mes bacons, si je viens à le découvrir ! » Renart ne répondit plus ; il fit une belle moue, et s'éloigna en ricanant sous cape.

Telle fut la première aventure, les Enfances de Renart.

Plus tard il fit mieux, pour le malheur de tous, et surtout de son cher compère Ysengrin. 2 Comment Renart entra dans la ferme de Constant Desnois ; comment il emporta Chantecler et comment il ne le mangea pas. Puis, un autre jour, il arrive à Renart de se présenter devant un village au milieu des bois, fort abondamment peuplé de coqs, gelines, jars, oisons et canards.

Dans le plessis, messire Constant Desnois, un vilain fort à l'aise, avait sa maison abondamment garnie des meilleures provisions, de viandes fraîches et salées.

D'un côté, des pommes et des poires ; de l'autre le parc aux bestiaux, formé d'une enceinte de pieux de chêne recouverts d'aubépines touffus. C'est là que Constant Desnois tenait ses gelines à l'abri de toute surprise.

Renart, entré dans le plessis,. »

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