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SAINT-ÉVREMOND

Publié le 13/10/2018

Extrait du document

L’œuvre critique de Saint-Évremond ne prend cependant jamais un caractère systématique ; fait significatif, il n’intitule pas ses ouvrages « critique » ou — synonyme plus usuel à l’époque — « censure », mais « réflexions » ou « observations ». De fait, il préserve toujours les droits du «je ne sais quoi ». Mais, par l’alliage original qu’il réalise du savoir érudit et de la distinction par le « bon goût », il apparaît comme un représentant exemplaire de l’attitude classique, autant ou plus que Boileau, lequel — solidarité de coteries littéraires oblige — ne l’appréciait pas. Son œuvre, à travers son aspect fragmentaire, ses facettes multiples, fait donc figure de synthèse des tendances de fond de son époque. Et dans l’ordre esthétique, comme dans ses contenus éthiques et philosophiques, elle joue un rôle de trait d’union entre les composantes de la pensée indépendante du XVIIe siècle et entre celle-ci et la critique historique et sociale du siècle suivant. La double distance instaurée par l’exil et par le regard ironique du sage lui confère à la fois ce pouvoir de synthèse et l’originalité d’une méditation toute personnelle.
VIE ŒUVRE
1610 Janv. : naissance, à Saint-Denis-le-Gast (près de Coutan-ces), de Saint-Évremond. Il fera ses études chez les jésuites du collège de Clermont à Paris, puis à l’université de Caen. 1633 Rencontre avec Gassendi; devient son disciple. 1640 Entre dans l’état-major du prince de Condé; devient l'intime de ce dernier. 1649 Condé lui retire ses fonctions. 1652 Nommé maréchal de camp pour avoir servi la Cour durant la Fronde. 1661 Lors de l'affaire Fouquet, découverte de la lettre de 1659. Doit fuir en exil, en Angleterre, en Hollande (où il rencontre Vossius), puis à nouveau en Angleterre où il demeure jusqu’à sa mort (le 20 sept. 1703), à Londres. On ignore le détail de son existence durant cette période de l’exil. 1643 La Comédie des académistes pour la réformation de la langue française (publiée sans nom d’auteur en 1650). 1659 Lettre au duc de Créqui sur la paix des Pyrénées (contre Mazarin). 1662 Sir Politick Would-be, comédie. 1663 Réflexions sur les divers génies du peuple romain dans les différents temps de la république. 1664 Sur Sénèque, Plutarque et Pétrone. 1665? Conversation du maréchal d’Hocquincourt avec le P. Canaye (à la suite d’un entretien auquel il a assisté en 1654). 1667 Dissertation sur le Grand Alexandre (= la tragédie de Racine). Le libraire Barbin entreprend la publication des Œuvres mêlées, qui, par augmentations successives, se poursuivra jusqu’en 1701.

« ensemble exe mple et théorie : « Où 1' esprit a si peu à faire, c'est une nécessité que les sens viennent à lan guir ».

Toujour s fo nd ée s ur l'exercice de la raison , sur la recherch e de l'expressio n jus te, son écriture s'in seri t bien dans le fil de 1 'esthétiq u e classique ; dés involt ure e t fantaisie n 'y sont jamai s né glige nce ou licence.

Un hé ritier des libertin s Élève de Gassend i et lecteur de Montaign e, Saint­ Év remond a pour thème de réflexion favori l' h omme et la société.

D 'où, dans le domaine litt érair e, sa prédilec­ tion pour les historien s, qui donnent le récit des actio ns des homm es, e t pour les aut eur s tragiqu es, qui en do n­ nent la représentation.

D'o ù aussi, comme chez M ont ai­ gne, un e extrême aue n tion à s oi-même .

Mai s il affi rm e que la conscience de soi passe surtout par l'image que l'on se constr uit : «L'idée qu'on a de soi par la simple atte ntion à se con sidérer du dedan s est tou jours un peu confuse : l'image qui s'e n exp rime au-dehor s est beau­ co up plus nen e, et fait juger de nous beaucoup plus sai nement quand e lle repasse à 1 'exame n de l'espri t après s'ê tre présentée à nos yeux».

Le « connais -toi to i -mê me » se trouve de la sone géplacé ve rs l'« être- là» et le «f aire », et Saint ­ Evremond récuse l'idée d'un «être», d'une « nature humaine » éternels ou intempore ls.

Pour lui, il s varie nt au fi 1 de l' histoire : « Ce n'es t pas tant la natuT e hum ai ne qu'il faut expliq u er que la conditio n humaine qu'il faut représenter » .

Cette option, très m oderne pour J'époqu e, le co nduit à un scept ici sme so u riant ma is impitoyabl ement ironi ­ que .

11 se ma nifeste en particulier dans ses commentaire s s ur les ouvrages historiques : Saint-Évremond est un démolisseur de héros, s'ingén iant à disce rn er sous l es images brillante s et le s l ége nde s créées par les historio­ graphes bien-p ensants l es travers et les mesquineries d es personnages les plus illustres; un bon exemple en est la façon dont il démythifie M écène, que tous les écrivains d e son temps pré sentaient sous un jour avantageux en sa q u alité de protecteur des lettr es.

Ou bien il conserve so n admiration envers un grand homme, mais en la gauchis­ sant : en César il remarque les mérites du cyn i sme, que les historie ns et com men tate urs évitaien t de souligner.

Sceptique à l'égard de l' homme , il se for ge une morale où les illus ions gé nére u ses n'ont pas de plac e.

En d isci ple de l 'ép icurisme que Ga sse ndi lui a enseigné , il fonde son éthique per so nnelle s ur la rec herche d' une volupté qu 'il assimil e à la sagesse, à l'art du divertisse­ ment modéré (il condamn ait les éc lats des libe rtins débauchés).

So n sce pticisme e st tout aussi pr ofond en matière de re ligion (mê me s'il évitait de cho quer ouverteme nt).

Comme les lib ertins érudits, il dé te s te les jésuites (Conve rsation du maréchal d'Hocquincourt et du P.

Canaye, 1665?) et leur prosélytisme (qu 'il connaissait de première main, ayant été leur élève), dénonce les croya nces en la sorcellerie el tou s les fanatism e s.

Ho stile à la métaphysique, il rejette l'esprit de sys tème dans tous l es domai ne s de la connaissance et op te pour l'humilité deva nt ce qui est inacces sibl e à 1' enten deme nt humain , pour l'acce ptation d 'un savoir limité.

Cette attitude de d o ut e critique apprise des liber tin s le rapproche de cer­ tains dissidents hugueno ts (B ay l e) ct prépare la voie aux Philosophes du siècle sui vant .

Sa critique de la société n 'es t pas moins radicale.

Gentilhomme de vieille souche, il n 'hésite pas à dénon ­ ce r ce qui fais ait la base même de l'idéologie nobiliai re, l'honne u r érigé en valeu r suprême e~ symbo le de la défense du lignage.

n n'y voit qu'un art de fein dre , qui dissimule mal la toute-puissance des penc hant s pe rsan - nels : «C 'est l'honneur gui s'effo rce quelquefoi s de cache r les défa uts du cœur, qui joue le per sonnage de la tendresse, qui sauv e les apparences pour quelque temps, jusqu 'à ce que l'inclina tion se réveille et qu'elle reprenne sa premi ère vig ueu r».

Pas p lus que les vale urs de l'héroïsme nob ili aire, les valeurs n atio nales ne trouvem grâce à ses yeux.

Ses Observat ions sur le goar et le discernement des Fran çais (1684 ) r emenent en question Je chauvinisme culturel alors en vogue et e ntretenu par l es dirigeants politiques.

Avec lut naît une co nception du cosmopo liti sme qui , empruntant au sièc le p r écéde nt l'image d'un e« rép ubli ­ que des lettres » rassemblant sans souci des fronti ères tous les bons esprits, envi sage une Europe des es prit s libres où l'exi l n 'aur ait plus de sens.

A l'égard d e l'absol uti sme , ses critiqu es ne sont pas moindres.

Elles lui valurent le bannissement, et iJ les tim par la suite aussi secrètes que possi ble.

Mais son attitude est typique de la dupli cité pratiqu ée PB! les libertin s.

Il se déclare attaché au roi, qui incarne l' Etat.

il join t à ce respec t celui de la reH gion d'État, qu 'il tient pour un cadre nécessaire au peuple.

Mais en sec ret , il inclin e au républicanisme.

Ses comme ntaires cri tique s s ur l'his­ toire récente (dont , bien sQ r, la Lettr e de 1659) ou ses Réfl exions sur la république r oma ine (1663) laissen t per­ cer ses option s, qu 'il évita cepe nda nt de formuler en termes sys témati sé s, soucie ux de ne pas jouer, dan s son e xil, .le personnage d 'un opposant militant.

Au contrair e.

i l affirmait q ue la poliriqu e suivi e par Louis XIV confir­ mait s es propre s critiq u es co ntre Maz ari n (Lettre à Lionne , 1668) .

Un critique de goût Le s OIPtions éthiques et sociales de Saint-Évremond n • app araisse nt, au fil de ses ou v rages, que de façon frag­ mentée; ses options d 'ordre esth6tique s'y affirmen t de façon plus s u ivie.

C'est d" ailleurs en sa qualité de critiq ue qu'il jouis sait auprès de ses contemporains de 1 'autorité la plu s grande .

Celle-ci était avant tout fond ée sur sa qu alité de «co nnaisse ur».

Car s'il feignait de mépri ser l'érudition , so n savoir était reconnu et lui confé rait l es compétences d'un «do cte».

Mai s l es critè res sur lesque ls il appuie ses jugements se veulent avant tout « mondains », et il se pose en critique de goût, non en théoricien.

C h ez lui.

le goût est indépendant de la mode : il est, au co nLr:aire , émanation de la raison.

Ainsi, dans une le ttre à Corneille, qui se plaignait d'etre attaqué par les partisans de Raci ne (avril 1668), il met en avant, contre les opin ions à la mode , l'avi s du sava nt Vossi us (favora­ ble à Corneille) et enchaîne : « Serait-il arrivé du bon goût comme des modes, qui comme ncent à s'é tablir che z l es étra nger s quand elles se passen t à Paris? L ...

] Je crois que l'infl uence du mauvai s goût s'e n va passer, et la première pièce que vous donnere z au pubüc fera voir par l e retour de ses applaudissem e nts le recouvrement de son b o n sens et le rétabli ssemen t de sa rai so n ».

Comme l'a montré Q.M .

Hope, le bon goû t selon Saint -Év remo nd s'o rdonne autour de trois notions clefs : l a délicatesse , le bon sens, le naturel.

La délicatesse permet de djgcerner les qualité s de 1' expression, qui d oit être aussi mesurée et exacte que possib le.

Le bon sens p réserve les prérogatives de la raison.

Le naturel dé fen d les droits de l'émotion et du plai sir .

Car la d on née première, chez cet homme de raison, r est e le mouvement de la sensib ilité : un ouvrage n'e s t digne d'inté rêt que s'~l «to uch e» e t «anime».

De cc fait, le goût de Sain t- Evremond accorde une place pré­ pondérante , parmi les genre s litt éraires, à la tragédie, plus que toute autre forme capable d'« enleve r l'âme» .

Mais cette réaction première ne fait pas disparaître les. »

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