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Saint-Réal : « Dom Carlos »

Publié le 23/03/2018

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Saint-Réal : « Dom Carlos »

Rien ne peut faire mieux sentir la différence entre le roman baroque et le roman classique que de lire le Dom Carlos de Saint-Réal aussitôt après le Faramond de La Calprenède. Le style est devenu sobre et dense, tout le déploiement spec­taculaire de festivités et de combats a disparu, ainsi que les descriptions fastueuses, les monologues, les tirades; l'exaltation des sentiments généreux est remplacée par une tristesse et une ironie discrètes sur un fond d'impartialité. L'œuvre témoigne d'une intelligence sans illusion et d'un art hostile aux effets de rhétorique.

 

Saint-Réal fut surtout célèbre comme historien; en 1671 il publia sept discours : De l' Usage de l'histoire, en 1674 son œuvre la plus connue, Histoire de la conjura­tion que les Espagnols formèrent en 1618 contre la République de Venise. L'historien selon Saint-Réal se livre à l'exploration du cœur humain : << Sçavoir l'Histoire, c'est connoître les Hommes, qui en fournissent la matiere, c'est juger de ces hommes sainement; étudier l'Histoire, c'est étudier les motifs, les opinions, et les passions des hommes, pour en connoître tous les ressorts, les tours et les détours, enfin toutes les illusions qu'elles sçavent faire aux esprits, et les surprises qu'elles font aux cœurs 1 ». La psychologie de Saint-Réal est très désabusée, la confiance en la grandeur de l'âme humaine n'est plus de saison : << Ce ne seroit sçavoir qu'à demi l'étendue de l'Esprit de l'Homme que de n'en connoître que la Bizarrerie, si on n'en connoissoit aussi la malignité; et l'on se trompe aussi souvent dans le. commerce du monde, faute de croire les Hommes aussi méchans qu'ils sont, que faute de les croire fous 11 ». Saint-Réal fut comparé à Salluste par les critiques du xvme siècle; nous penserions aussi et plus encore à Tacite, en raison du style serré, de l'impor­tance primordiale donnée à la psychologie et du pessimisme; mais c'est à toute la grande tradition historiographique de l'Antiquité que Saint-Réal se rattache, lorsqu'il approfondit le caractère et les mobiles de ses personnages pour atteindre à une vérité humaine universelle dont leur rang élevé garantit la portée; l'effet de leur vie intérieure se marque dans des événements que tout le monde constate, au lieu que la vie intérieure des simples particuliers se fragmente selon les mille petites circonstances insignifiantes d'une existence sans éclat; la tragédie et l'his­toire vont ici de pair, elles doivent toutes deux considérer les grands << par ce qu'ils ont de plus personnel et de plus séparé de leur qualité, par les illusions de leur esprit et les foiblesses de leur cœur, par le détail de leur intérieur, leur vie secrette et domestique; qui sont toutes choses, qui leur sont communes avec les autres hommes 3 >) : mais il serait inutile d'examiner chez les grands ces << choses com­munes » si elles n'avaient chez eux un éclairage et un relief plus forts. L'histoire de Saint-Réal ne s'intéresse pas à la politique : elle ne tombe pas pour cela dans les petitesses et les indiscrétions de l' << histoire secrète », elle est œuvre de moraliste.

« Les qualités de l'historien ainsi entendu sont aussi celles du romancier ; Dom Carlos, paru en 1672, porte comme sous-titre: nouve lle histori que; l'histoire n'y est traitée ni comme chez La Calprenède ou Mlle de Scudéry, ni comme chez Mme de Laf ayette : elle est la matière même du roman ; le romancier applique aux faits historiques son intelligence pour retrouver la psychologie cachée des personnages, les recréer de l'intérieur, démêler leurs intentions, leurs réactions intimes, les faire comprendre par des mots et des gestes révélateu rs.

Dom Carlos étant précédé d'un Avis où l'auteur énumère force sources historiques et ponctué de réf érences nombreus es, on peut se demander en quoi cette nouvelle historique diffère d'un récit historique comme celui de la Conjuration des Espagnols contre Ve nise, sauf en ce que le sujet de la première est d'ordre privé, puisqu'elle raconte l'amour de Dom Carlos et de la reine d'Espagne Elisabeth, la jalousie et la vengeance du roi Philippe II, et le sujet du second, d'ordre public; la façon dont l'auteur a désigné ces deux œuvres prouve bien qu'il les considérait comme relevant de deux genres distincts : mais la méthode d'exposé et le but visé sont les mêmes et, aux yeux d'un historien moderne, Saint-Réal commet la faute, dans l'un et l'autre ouvrage, de sacrifier la stricte vérité historique à la vraisemblance psychologique et à l'a rrangement romanesque 1• Dom Carlos ne ressemble pourtant pas à un roman arrangé; l'auteur n'y fait rien pour flatter le lecteur dans sa curiosité du scandale ou dans son goût de l'aven­ ture extraordinaire; jamais il ne cherche à exciter indignation, enthousiasme ou lamentat ions; le ton reste réservé, l'auteur se tient à distance de son sujet, il communique au lecteur ses sentences et laisse, en général, à deviner ses sen­ timents .

Tout ce qui pourrait faire saillie, trahir une impul sion passionnelle ou descendre à l'anecdote est éliminé, la noble élévation et l'obj ectivité du récit sont sauvegardées par divers moyens : des maximes expliquent le comportement des personnages ; elles sont le plus souvent pessimistes et réduisent les individus, même les plus haut placés, à illustrer les lois auxquellés est asservie la condition huma ine; elles énoncent le motif profond qui les fait agir sans qu'ils le sachent :. »

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