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SAINT-SIMON

Publié le 02/09/2013

Extrait du document

saint simon
 
1675 -1755
CE qui rend d'ordinaire les « Mémoires « si ennuyeux, c'est que leurs auteurs attendent un âge avancé pour les écrire. Après avoir passé leur vie à faire la guerre, l'amour ou de la politique, quand il ne leur reste plus assez de force ou d'esprit pour briller dans ces occupations, ils rédigent leur apologie et donnent un tour historique à leurs petites haines.
Saint-Simon, lui, a sacrifié sa vie à ses Mémoires. Il les a commencés à dix-neuf ans et n'a, pour ainsi dire, travaillé qu'à cela tous les jours de son existence, qui fut longue. C'est sans doute qu'il était avant tout un écrivain; sa nature exigeait qu'il produisît une oeuvre littéraire. Cette oeuvre a pris la forme de mémoires, plutôt que de poèmes ou de tragédies, car c'était le seul genre qu'un duc et pair, à cette époque, pût cultiver sans déchoir. Encore Saint-Simon le cultivait-il en secret. Son manuscrit reposait « sous les plus sûres serrures «.
Le terme « Mémoires «, appliqué à l'oeuvre de Saint-Simon, est presque un terme impropre. C'est encore moins un journal, bien que l'auteur souvent ait pris ses repères sur le plat et confor¬miste Journal de Dangeau et suive un ordre chronologique quasi quotidien. Il y a dans le journal quelque chose de haché, de décousu, une vue des événements au jour le jour, bref un manque de recul et de méditation dont on ne saurait accuser Saint-Simon, à qui il arrive d'exposer la poli¬tique d'Alberoni en huit cents pages bien serrées, ou les intrigues de la Princesse des Ursins en trois cents.
Il ne faut pas s'y tromper : ces mémoires-là sont une espèce de roman, énorme, concerté, composé, plein de décors et de péripéties, avec des héros et des personnages de second plan, des passions, des entreprises, de la psychologie (et quelle!), une philosophie et un style. On peut parler de « l'univers de Saint-Simon «, comme on parle de l'univers de Balzac ou de Dickens. C'est un univers artistique, c'est-à-dire plein de cette vérité profonde qui se fait si rarement jour lorsqu'on étudie l'histoire, mais que l'on rencontre immanquablement chez les grands romanciers. Saint-Simon, en effet, analyse les hommes vivants de la même façon qu'un Dostoïewski ou un Proust développent leurs personnages : même audace, même absence de préjugés, même amour du vrai. Il décrit son duc de Noailles comme Proust son duc de Guermantes. Un tel don d'observation ressemble si fort au don créateur qu'on se demande si la seule différence entre Saint-Simon et un romancier ne réside pas dans le fait qu'il présente ses personnages sous leur nom véritable. C'est un romancier qui ne « transpose « pas.


saint simon

« élevé au-dessus du rang de consul de France à Civita-Vecchia.

De même Saint-Simon a sacrifié à son œuvre littéraire une belle carrière de ministre.

Il y a un degré de violence dans l'observation, de rigueur dans le jugement moral, d'éclat dans l'expression qui exclut la souplesse politique, l'hypocrisie, la bassesse sans lesquelles on ne réussit pas dans les affaires publiques.

Les qualités de Saint-Simon ont quelque chose de gratuit, c'est-à-dire d'essentiellement artistique.

Il n'en peut rien faire d'utile dans la société; elles ne sont pas à la mesure des intrigants qui entourent Louis XIV, ni même de Louis XIV.

Un homme de génie perd toujours contre des hommes de talent.

SAINT-SIMON se savait-il homme de lettres ? C'est probable.

Bien entendu, il n'en convient jamais; à chaque instant il s'excuse avec une modestie réelle de son style sauvage, mais il ne pouvait guère lui échapper que ce style était admirable, d'un mouvement étourdissant, plein de mots définitifs, de formules, de raccourcis, de trouvailles.

Il écrivait « à la diable », comme dit Chateaubriand, mais non sans soin; il était plein de passion; ses phrases courent à toute vitesse les unes derrière les autres; il s'embrouille, oublie des verbes, accumule les amphibologies, mais jamais il ne tâtonne, jamais il n'est plat, commun ou poncif.

Ses adjectifs sont inusités, ses verbes hardis, ses récits vastes et éclairés comme il faut, ses arguments sans faiblesses.

Il n'est ni délayé ni sommaire.

Sa langue qui est belle, savante, populaire, robuste et moderne, n'est pas exempte de ces recherches délicieuses qui sont la marque de !'écrivain.

On ne peut « avoir du bonheur » pendant vingt mille pages.

On n'écrit pas vingt mille pages « d'inspiration ».

Il fallait bien que Saint-Simon connût les ressources de son art.

En dépit de la fougue de l'auteur, qui blâme et loue avec une ardeur inlassable, ce qui frappe dans les Mémoires, c'est le ton de vérité.

Saint-Simon suit les événements et les êtres avec un instinct si juste, une si haute absence d'illusions, que derrière ses outrances d'enthousiasme ou de haine, on voit assez exactement la réalité.

Quand on sent vivement, on écrit avec chaleur; mais la chaleur ne fait pas fondre la vérité.

Elle la colore tout juste, et la rend captivante.

Du reste, on n'est pas maître de taire la vérité une fois qu'on l'a vue : c'est la tentation à laquelle succombent les grandes âmes.

« C'est même cet amour de la vérité, dit Saint-Simon, qui a le plus nui à ma fortune; je l'ai senti souvent, mais j'ai préféré la vérité à tout, et je n'ai pu me ployer à aucun déguisement; je puis dire encore que je l'ai chérie jusque contre moi-même.

»Voilà la profession de foi de l'artiste le plus intransigeant, le plus artiste.

Les haines de Saint-Simon se traduisent par des invectives, non par des calomnies.

D'ailleurs pourquoi l'histoire n'entérinerait-elle pas ces haines? Les motifs d'un homme de génie ne sont jamais bas, ni futiles.

On peut adopter les antipathies de Saint­ Simon.

On peut lui faire confiance : c'était l'homme le plus perspicace de son temps et l'un des meilleurs juges d'humanité qui aient existé.

Il ne fait jamais le procès de quelqu'un sans donner toutes les pièces.

Mais il a un talent infernal pour voir jusqu'au fond des noirceurs.

Dieu sait s'il n'aimait pas Louis XIV et s'il chérissait au contraire le Régent.

Il a beau juger sévèrement l'un, indulgemment l'autre, la vérité lui coule des doigts.

Elle ne fait pas taire son cœur, mais elle force son estime ou son mépris.

En fin de compte, le visage de ces deux hommes qui dominent les Mémoires, ressort avec une exactitude, une abondance de détails et de nuances qui emportent l'adhésion du lecteur le plus critique.

Saint-Simon n'a guère approché Louis XIV; il ne l'a pour ainsi dire vu que de loin, derrière plusieurs épaisseurs de courtisans; mais il a tout de même eu quelques entretiens avec lui; il vivait à Versailles et le suivait dans ses déplacements.

Il l'a épié pendant vingt ans et l'a saisi dans ses attitudes les plus significatives.

La figure qu'il en donne est celle d'un homme assez borné, égoïste, incroyablement orgueilleux; mais il se dégage de ce portrait une majesté et une grandeur uniques; c'est le portrait du roi le plus vraiment roi qui soit jamais apparu sur la surface de la terre.

Quant au Régent, tel que Saint-Simon le montre, avec sa faiblesse, sa gentillesse, ses extravagances, son intelligence et sa facilité, il constitue le 173. »

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