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SAINTE-BEUVE EN DEHORS DU « PORT-ROYAL »

Publié le 02/05/2011

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I

Mon livre de Port-Royal, écrivait Sainte-Beuve vers la fin de sa vie, est le plus approfondi et le plus personnel de ceint que j'ai faits ; et c'est là, à y bien regarder, qu'on me trouvera tout entier, lorsque je suis livré à moi-même et à mes goûts. Et cela est si vrai que, s'il n'avait pas écrit les quarante volumes d'études critiques qui ont suivi, son oeuvre, — j'entends comme impulsion donnée, comme exemple fourni et comme idées directrices, serait, à bien peu prés, tout ce qu'elle est déjà. Dans la suite des Portraits Littéraires ou Contemporains, dans le Chateaubriand, dans les Lundis et Nouveaux Lundis, Sainte-Beuve n'a guère fait que monnayer le fond d'idées, de doctrines et de procédés critiques qu'il avait appliqués dans Port-Royal. s'était résigné à la critique, non sans des retours, parfois amers, Vers ses ambitions d'autrefois. Tout en poursuivant son Port-Royal, pour vivre d'abord, et puis parce que ce genre de production convenait assez bien à son tempérament et à son caractère, il s'était laissé reprendre à la critique au jour le jour, et il s'était remis à faire des portraits.

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« est le prix que coûtent les choses parfaites, les choses durables ! »On a tout dit sur les Lundis ; et peut-être l'admiration très légitime que l'on a professée pour cette partie del'oeuvre de Sainte-Beuve s'est-elle parfois exercée aux dépens de ses autres écrits : on ne veut souvent voir queles Lundis dans son oeuvre, et l'on oublie trop aisément et le Port-Royal et les premiers Portraits.

D'autre part, cetteadmiration, un peu générale et confiante ne gagnerait-elle pas en vivacité et en profondeur à se soumettre àl'épreuve de la critique, à admettre certains tempéraments et quelques réserves, et à ne porter en définitive que surles seules portions qui, expérience faite, en paraîtraient entièrement dignes ? Les légendes ne conviennent àpersonne moins qu'à Sainte-Beuve.

Lui qui n'aimait point à être dupe, il nous en voudrait d'être la sienne.

Il estd'ailleurs assez grand pour n'avoir pas besoin d'être surfait, et pour n'avoir rien à craindre de la vérité.Tout d'abord, il convient de maintenir le Port-Royal hors de pair et au-dessus de toute comparaison avec les autresétudes de Sainte-Beuve.

Les recueils d'articles sont des recueils d'articles : qui n'est point capable d'écrire desarticles et de li s réunir en volume ? C'est au livre, — au livre composé, ordonné et maîtrisé en vue d'une findéterminée, au livre organique et vivant que l'on attend et que l'on juge l'ouvrier.

Et quand ce livre,indépendamment de sa valeur d'art, de composition et de style, a la complexité, la profondeur et la portée du Port-Royal, alors, il prend place parmi les chefs-d'oeuvre de la littérature universelle.

On n'en saurait dire autant, — etSainte-Beuve eût été le premier à en convenir, — d'aucun autre de ses écrits, non pas même des Lundis.Port-Royal reste donc unique dans l'oeuvre de Sainte-Beuve.

Et cela est d'autant plus remarquable que Sainte-Beuve a dans sa vie rencontré un autre sujet qui, à quelques différences près, lui offrait l'équivalent de celui qu'il aconsacré aux écrivains de Port-Royal, qu'il en a fait aussi l'objet d'un cours, et qu'il a essayé d'en tirer un livre, unvrai livre'.

Oui, si l'auteur du Chateaubriand avait voulu suivre la méthode qui lui avait si bien réussi dans son coursde Lausanne, si, en même temps qu'une simple étude d'histoire littéraire, il avait fait de son livre une étude depsychologie et d'histoire religieuses, s'il y avait apporté toute la conscience scrupuleuse, tout le désir d'équité,toute la sympathie critique surtout dont il avait lui-même jadis donné l'exemple, il aurait pu nous donner un pendantà son Port-Royal, et un nouveau chef-d'oeuvre.

Il n'y a point consenti ! Un nouvel état d'esprit, dont nous avonssuivi à la trace les progrès dans les derniers volumes et dans certaines notes du Port-Royal, s'était définitivementemparé de lui et lui avait fermé bien des horizons.

Il n'a pas vu tout l'intérêt, même simplement historique, d'un sujetqu'il aurait pu traiter mieux que tout autre écrivain.

Et le livre, très intéressant certes, et amusant, et habile, maistrès perfide aussi, et très incomplet, qu'il a publié sur Chateaubriand et son groupe littéraire est, à parler franc, unlivre manqué.

Par quelque biais qu'on le prenne aujourd'hui, on le voit qui s'écaille et qui s'effrite.

Et cet ouvrage qui,au point de vue moral, ne fait pas un grand honneur à Sainte-Beuve, ne lui en fait pas un très grand non plus ausimple point de vue critique et littéraire.Nous n'en dirons pas autant des Lundis.

Là pourtant, il y a lieu de préciser et de distinguer.

On a loué avec uncertain luxe d'hyperbole quelquefois, l'étonnante fécondité du « travail héroïque » auquel il s'est livré durant lesvingt dernières années de sa vie, On a vanté l'étendue et la précision & son information, son « exactitudemerveilleuse », les infinis scrupules de sa curiosité érudite, de sa soif de savoir et de sa conscience professionnelle ;on nous l'a représenté donnant toujours le dernier état de toutes les questions qu'il abordait, et ne négligeantaucune recherche pour épuiser tout le connu actuel des problèmes historiques qu'il étudiait.

On nous l'a montré surtous sujets plein de vues justes, pénétrantes, profondes, ingénieuses, de pressentiments féconds, doué en un motd'un sens historique et critique et d'une puissance de divination des plus remarquables.

Enfin, on nous l'a dépeintpossédant une faculté de rajeunissement et de renouvellement incroyable, sensible jusqu'au bout au vrai talent,ouvert à toutes les innovations d'art et de pensée, à toutes les juvéniles ambitions, et toujours heureux de lessignaler au grand public et de « sonner le coup de cloche ».

Et il y a certes, du vrai, beaucoup de vrai dans ceportrait.

— Avouerai-je cependant qu'il me paraît çà et là un peu idéalisé et qu'il ne me semble ne pas convenir aussiexclusivement qu'on le prétend au seul Sainte-Beuve ? Nous connaissons tous des critiques contemporains qui ontau moins autant travaillé et autant produit que l'auteur des Lundis, et nous en connaissons au moins un dont lapuissance d'information et de lecture dépasse très probablement celle de Sainte-Beuve.

Je crains même parfois que,si l'on s'avisait, avec les seuls instruments de travail, bien entendu, et dans le même laps de temps dont il disposait,de refaire quelques-unes des enquêtes auxquelles Sainte-Beuve s'est livré, on n'y découvrît plus d'une lacune.Mettons cela, j'y consens, sur le compte.

des nécessités impérieuses du journalisme contemporain.

Mais je ne puisentièrement souscrire à ce que M.

Lanson disait un jour des articles des Lundis : « Quiconque, après quarante oucinquante ans, repasse sur un sujet de Sainte-Beuve, s'étonne de ce qu'il a vu, su, aperçu, deviné.

» Cela est vraiquelquefois, souvent même, non pas toujours.

Je sais plus d'un article de Sainte-Beuve où l'on s'étonne qu'il n'aitpas vu plus juste et percé plus avant.

Et si nous en venons à ses appréciations des contemporains, — la partie laplus délicate du métier, et la vraie pierre de touche du vrai critique, — que constatons-nous ? D'abord la critiquedramatique est à peu près entièrement exclue de ses études'.

Et dans les autres genres mêmes, le jugement de lapostérité n'est pas toujours celui qu'il a porté.

Parlant de Fromentin et de son roman de Dominique, Scherer, siindulgent d'ordinaire pour le critique des Lundis, faisait cet aveu : « L'article que Sainte-Beuve a consacré à ceroman est l'un des péchés, l'une des défaillances du moins, d'un juge à qui l'on en a si peu à reprocher.

» Schereravait raison ici ; mais n'exagérait-il pas singulièrement en sens contraire, quand il déclarait ailleurs : « Sainte-Beuveest le seul grand critique de poésie que nous ayons eu ? » Car aujourd'hui, nous sommes tentés de trouver que ce «grand critique de poésie » s'est montré quelque peu froid pour le premier recueil de Sully Prudhomme ; et noussommes plus scandalisés encore de le voir nous parler moins longuement, moins chaudement, et dans la mêmeétude, du second volume de Leconte de Lisle, ses Poèmes barbares, que...

du Poème des Champs, de Calemard, deLafayette.

Ne rappelons enfin que pour mémoire ses jugements sur Vigny et sur Balzac, sur Musset et surChateaubriand.

Non, décidément, sur chacun de ces points, plus d'un critique nous paraît valoir au moins Sainte-Beuve ; et, à ces divers points de vue, l'auteur des Lundis mérite, si l'on veut, infiniment d'estime, mais non pasl'admiration sans réserve qu'on lui a si souvent prodiguée.Sur un autre point encore, il semble qu'en parlant de Sainte-Beuve, on ait parfois commis plus d'une méprise.

On nes'est pas contenté de louer comme il convient l'étendue, la largeur, la précision et l'exactitude de son érudition ; on. »

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