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Scène 4 de l'acte III (vers 960 au vers 1000) - Le Cid, Corneille

Publié le 17/01/2022

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Avec le Cid, Pierre Corneille, dramaturge prolifique, en s'inspirant d'une légende espagnole, édifie avec brio le jeu de l'amour et de l'honneur. Tragi-comédie en cinq actes et en vers créée au Théâtre du Marais, à Paris, début janvier 1637, et publiée en mars 1637, elle va constituer un tournant dans la carrière de Corneille, en lui apportant la gloire mais aussi l'aversion de l'académie française et de certains auteurs tel que Scudéry. Corneille dérogea légèrement aux règles de la tragédie classique (dénouement heureux, unité de lieu et unité d'action bafouées, unité de temps invraisemblable, etc.) et créa par conséquence une querelle qui lui fera renoncer par la suite à côtoyer l'irrégularité. Ce n'est pas à ces irrégularités que nous allons nous intéresser mais bien un extrait intense de la pièce à savoir la scène 4 de l'acte III du vers 960 au vers 1000. Le sujet est emprunté à l'histoire comme le veut le genre et l'action du Cid repose sur le thème des amours contrariés auxquelles sont associés l'honneur du lignage et l'autorité de l'état.

« Deuxièmement, Rodrigue montre sa bravoure en se tenant digne face à la mort, il a choisi sa façon de mourir.

Auvers 960, la césure sépare l'alexandrin en deux hémistiches qui véhiculent chacun une idée, la mort par lavengeance ou la mort par la pitié.

Sa sélection est faite et il va essayer de persuader Chimène jusqu'au bout.

Ilprouve sa résolution dans la relation antithétique mourir/vivre du vers 962.

Même s'il a vengé son père, il est toutaussi rongé que Chimène mais ici par un amour passionnel.

Puisqu'il ne peut rétablir ses liens avec Chimène, il veutmourir sur le champ.

Il s'est résolu à son sort fatidique en témoigne le champ lexical de la mort et de la fatalité : «mourir » v.962, « malheureux amant» v.961, « mourir » v.968, etc.

Il veut mourir pour sauver l'honneur de Chimène,se sacrifier et faire preuve d'abnégation, mettre fin à ses malheurs et ses conflits intérieurs.

Lorsqu'il se rendcompte que son souhait ne peut être exaucé, il devient pathétique : « Que je meure ! » v.980 (supplication, plainteou invocation) ; « je vais traîner une mourante vie » v.993 (oxymore).

Au vers 982, sa question « A quoi te résous-tu ? » (supplication ou lamentation) signifie en fait «Pourquoi fais-tu cela ? », il n'arrive pas comprendre la résolutionde Chimène, il reste perplexe devant ce nouveau coup du sort, néanmoins il reste déterminé à mourir.

Une fois sonchoix réglé, sa volonté, le lisier de ses actes demeure inexorable, inaltérable, inébranlable, immuable, impavide.

Il estdigne devant le péril de la mort.

C'est le héros tragique selon la psychologie de Corneille, c'est-à-dire qu'il élit sapropre destinée.Troisièmement, Chimène justicière mais fondamentalement terrassée par son honneur et son amour, deux axesincompatibles.

Son dilemme est révélé par un alexandrin dont les idées sont séparées à la césure (« je t'adore »/ «je te poursuis », relation antithétique) également par le vers 973/974 (« ne montre plus à ma douleur extrême/Cequ'il faut que je perde, encore que je l'aime »).

Par l'hyperbole « Et je veux que la voix de la plus noire envie/Elèveau ciel ma gloire et plaigne mes ennuis », on comprend que les gens même les plus détestables doivent en la voyantsaluer son sens de la justice et plaindre ses malheurs, on voit qu'elle est très soucieuse de sa réputation d'oùl'origine d'un conflit intérieur.

Dans la réplique décisive de Chimène (vers 981 à 984) où nous pouvons observer unemétaphore (l'amour entre les deux protagonistes est métaphoriquement identifié à des feux si beaux) qui révèle unamour en elle qui brûle comme un feu ardant.

Elle est ballotée entre deux rivages, ne sachant et ne voulant paschoisir le port à accoster.

Elle veut « ne rien pouvoir » et s'en remet à son destin fatal qui décidera pour elle.L'intervention d'Elvire (« Madame, quelques maux que le ciel nous envoie… » vers 998) enfonce le clou dutragique, elle ne peut rien contre ce fatum extraordinaire.

Personnage tragique, obstinée, remplie de souffrance etd'ardeur, déchirée entre soi qui aime et soi qui réclame vengeance et justice.Les quarante alexandrins, instruments préférés du lyrisme et de la tragédie classique créent un rythme musicalsymétrique et noble qui convient parfaitement dans l'expression des sentiments intenses, profonds, en l'occurrencel'amour.

Peut-être un peu pompeux, mais c'est la situation dramatique qui veut cela.

Le langage soutenu des nobleset la véhémence de leur parole magnifient leur amour qui même déchiré reste inextirpable.

Il se révèle dans cepassage sous différent visages mais est partout.

Les deux personnages sont livrés à un destin malheureux,inévitable, inexorable, inéluctable, incontournable mais sont liés par un amour fusionnel.

L'un ne peut vivre sansl'autre, c'est ce que nous allons relever maintenant.Premièrement, Chimène va tout faire pour ne pas le révéler mais par ses actions elle se trahit et dévoile un amourvoilé.

L'amour passionnel bouillonnant dans son c½ur, viscérale, reste bloquer dans son intérieur.

Elle ne veut pas luidire ouvertement qu'elle aime, elle s'en sort au vers 963 par une litote (« Va, je ne te hais point.

») qui signifie « jet'aime, je ne peux te tuer ».

C'est le contraire d'une hyperbole, son amour est exprimé de manière étouffé, sous-entendu.

Elle restera fière jusqu'au bout, on la sent vaciller à la fin du passage lorsqu'elle renvoie tout le monde(Rodrigue et Elvire) par des injonctions (« Ne m'importune plus, laisse-moi soupirer, » vers 999).

Elle ne veut pasexprimer son amour de façon ostensible, elle le cache au plus profond d'elle-même.

Elle est remplie de détresse etcherche un sein invisible pour pleurer et se recueillir.

Chimène est chaste et vertueuse.Deuxièmement, le comportement de l'un et de l'autre crée une symbiose entre les deux personnages qui mélangentleur esprit.

Effectivement, nous pouvons observer dans différents passages un vers unique composé en trois partiespartagées entre les deux personnages, ces trois parties forment un alexandrin.

On trouve deux passages deChimène et un passage de Rodrigue ou un passage de Chimène et deux passages de Rodrigue.

Il marque l'union despersonnages dans un vers unique de 12 syllabes qui montre l'amour étouffé mais l'amour présent entre les deuxprotagonistes.

Chaque partie de ce vers particulier se répondent d'eux-mêmes, se déduisent les uns des autres.

Lespensées des deux amoureux s'assemblent pour former une seule pensée, leur amour.

Ce vers unique est lyrique entémoigne les appels au destinataire (« Tu le dois » vers 963) et l'expression du moi (« Je ne puis.

» vers 963).

Nousallons retrouver ses caractéristiques dans le passage élégiaque et symbiotique du vers 985 au vers 992.

Nousconstatons des apostrophes avec anaphore de l'interjection (« Ô miracle d'amour ! » v.

985 ; « Ô comble de misères! » v.985 ; « Ah ! mortelles douleurs ! » v.991 ; « Ah ! regrets superflus ! » v.991) qui fonctionnent comme deslamentations et des jérémiades et des métaphores qui identifient par analogie « port » à « union » et « orage » à «évènement malheureux » pour montrer l'hymen brisé par le sort.

Dans le vers 987 (« Rodrigue, qui l'eût cru ? »/ «Chimène, qui l'eût dit ? »), les deux symbiotes sont unis dans un même alexandrin, les deux esprits ne font qu'un,s'interrogent.

Les lexiques de la souffrance, du malheur, de la tristesse, du chagrin, des sentiments et dessensations sont prééminents (« maux », « pleurs », « amour », « heur », « mortelles douleurs ») et forment unpassage grave et intimiste.

C'est un hymne à l'amour, les deux personnages se soudent dans la plainte, l'élégie et lepathétisme pour former une grande déploration et se dessoudent aussitôt, l'instant tragique est magnifié. Troisièmement, l'amour morcelé et fragmenté influence le jugement des personnages (« Malgré des feux si beaux, quitroublent ma colère, » vers 981).

Il est l'origine du conflit, certes, mais il attenue la violence et la brutalité du destintragique.

Le passage où Chimène et Rodrigue s'assemblent pour déplorer leur sort qui ruine leur bonheur (« Quenotre heur fût si proche et sitôt se perdit ? ») expose la mise en commun de leur douleur.

Ils interrogent dieux quine peuvent leur répondre, partagent leur mal pour souffrir un peu moins.

Leur séparation va accentuer leurdésespoir, leurs retrouvailles brèves constituent une pause dans la pièce, un moment dans lequel ils font l'état deleur situation bancale et de leurs résolutions en même temps qu'ils révèlent au public leur amour véritable qui quand. »

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