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SCHWOB Marcel : critique et analyse de l'oeuvre

Publié le 13/10/2018

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SCHWOB Marcel (1867-1905). Dédicataire, à la fois, d’Ubu roi, d’Alfred Jarry, et de l'Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, de Paul Valéry, raffiné, passionné par toutes les marginalités, Marcel Schwob apparaît, dans la dernière décennie du XIXe siècle, comme un des princes de la vie littéraire parisienne : maître en toutes nuances dans le symbolisme décadent, inspirateur secret, juge subtil.
 
Issu d’une bourgeoisie juive où le goût des lettres est vif — son oncle, Léon Cahun, est romancier, historien, chroniqueur; son père, Georges Schwob, a touché à la poésie, côtoyé Gautier, Baudelaire, Jules Verne —, Marcel Schwob, après des études fantasques au lycée Louis-le-Grand, des succès remarqués à la Sorbonne et un échec à l’agrégation, se livre à ses intérêts variés : la philologie grecque, sanscrite ou française, Villon et les coquillards, Schopenhauer, Poe, R.-L. Stevenson...; à partir de 1890, il mène de front une carrière de journaliste-chroniqueur (il regroupera en 1896 ses meilleurs articles dans Spicilège), d’érudit (en 1889, l'Étude sur l'argot français inaugure une série de travaux sur Villon), de traducteur (il donne Moll Flanders de De Foe en 1895), et surtout de conteur (Cœur double, 1891; le Roi au masque d'or, 1892; la Croisade des enfants et Vies imaginaires, 1896). Avec Mimes (1894) il s’affirme comme un virtuose du néo-classicisme hellénisant et du poème en prose, genre périlleux qu’il illustre d’un chef-d’œuvre, le Livre de Monelle (1894). Son mariage avec l’actrice Marguerite Moreno, en 1900, couronne une réussite dont Schwob, sous le pseudonyme de Loyson-Bridet, dévoilera les coulisses journalistiques (Mœurs des diurnales, 1903), avant de sortir douloureusement de la scène, à trente-huit ans, après une longue réclusion qui avait fait de sa chambre du Palais-Royal le rendez-vous du Paris littéraire.
 
Le démon de la curiosité
 
Auteur à la mode, observateur aigu de la vie littéraire, découvreur de talents nouveaux — Jarry, qu’il est le
premier à publier dans VÉcho de Paris, l’André Gide des Cahiers d'André Walter —, Marcel Schwob préférait déployer ses habiles quêtes dans le monde des livres, avec une prédilection pour l’étrange, l’inconnu, l’exception. Son anthologie d’articles, joliment nommée Spicilège (« glane d’épis »), suggère la diversité de ses visées : recherches érudites (biographie de Villon, légende de saint Julien l’Hospitalier, histoire des deux courtisanes grecques Plangôn et Bacchis), initiation du public français à Robert-Louis Stevenson et à George Meredith,

« Une telle esthétique de l'effet par la litot e tient les choses à distance : comme chez Hokusai, Holbein (sous l'invocation desque ls sont placées les Vies imaginaires) ou les préraphaélites, la ne tteté du détail impose une vision san s perspective, irréelle , et appelle chaque objet, chaque instant construits par le texte à une absolue, fan ­ tastique et fugitive présence.

La reconstruction du réel par l'imaginaire accomplit ici une sorte de synthèse déli­ cate entre le réalisme et le symbolisme : une fascinante passion de l'indiv idualité collecte et juxtapose, dans un sty le impressionniste, des faits s ingu lie rs, murés dans leur unicité, monades énigmati q u es; mais cette mu ltipli ­ cité, douloureuse déchirure du tissu de l'être, renvoie , par l 'anal ogie, à un mystérieux monisme, unité répara­ trice : « Imaginez que la ressemblance est le langage in tellectuel des différences , que les différences sont le lang age sensible de la ressemblance.

Sachez que tout en ce monde n'est que signes, et signes de signes».

La s oif de vi e Ce qui anime l'évocation des instants intens es où, avec une cruau té qui suscite la terreur sacrée, l'infinité des apparences révèle l'unique force qui déploie les séducti ons polymorphes - la « volonté » schopenhaué­ rienne qui fonde les vouloir-vivre particuliers-, c'est une pathétique libido sentiendi : à travers« le roman des crises du monde intérieur et du m o nde extérieur » qu e composent les courts récits où viennent se fondre les données de l'histoire et ses pro pres fantasmes, Ma rce l Schwob co nnaît des vies plurielles; ce « résurrection­ niste » (pour reprendre l'expression d'Edmond de Gon­ court) est un sensuel que ses temporaires aliénations comblent d'expériences voluptueuses.

Sans cette « per­ versité» qui commence quand « 1 'homme conçoit qu'il y a d'autres êtres semblables à lui et leur sacrifie une part de so n moi », les pèl erinage s dans le passé ne seraient que de fro .i des recons titution s ar chéologiques, ne vibreraient pas d'une si poignan te nos talgi e de l'ail­ leur s et d'un si tragique désir de transgresser à 1a fois la clôture de l'individu et les bornes du temps; les conte s et le s Vies imaginaires n'auraien t pas ébloui Apollinaire (qui s'en inspirera dans l'Hérésiarque et (;1• en 1910) ou l'Alfred Jarry de Messaline (1901).

Cette aspiration à l'autre , mêlée d 'hédonisme et d e pitié, culmine d ans le Livre de Monell e : les amours du poète po ur une prostituée tubercu leu se (thème roman ti­ que propice au poncif) se transposent en versets nietz­ schéens, en visions oniriques pour encadrer de délicates nouvelle s co nsacrées à toutes les nu ances de la nature féminine («l'Égoïste», «la Voluptue use», «la Per ­ verse» ...

).

Nulle confidence: MoneUe.

«cell e qui est seule>>, est une figure à l'allé gorisme hiératique; elle sor t de la nuit; é phémère , elle ordonne et prescrit : « n faut détruire les formes », tuer la pensée du passé et de l'avenir, oublier la raison et la connaissance de soi, et surtout ne vivre que dans l'instantanéité labi le et fulgurante : Pense dans le moment.

Toute pensée qui dure est contra­diction.

Aime le moment.

Tout amour qui dure est haine.

Sois sincère avec le moment.

Tout amour qui dure est haine.

Ce cu lte grave de l'i nstant, du jaillissement sau vage de l a s pontanéité vitale, sera b ientôt développé - ou dilué - dans les Nourritures terrestres de Gide et sen ­ sualisé par Colette.

Sans doute la dernière partie du livre enrobe - t-elle la mort et la permanence idéale de Monelle dans une brume crépusculaire par trop symboliste; du moins livre-t-elle mieux que toute confessio n l 'angoisse et l'enfa ntine douceur d'un voyage hermétique aux por ­ tes de l'au-delà, d'u n abandon à l'a mor fa ti.

L'art, ici, comme dans l 'œuvre en ti ère de Ma rcel Schwob, est rédemption de la vie; discret, sévère, armé d'érudition, il arrache la minute à son évanescence, le passé à sa nuit, le fantasme à son indécise incertitude; la trouble ardeur qui J'anime s'épanouit et se nje en formes qu i , sous la limpidité de leur perfection, glacent et capti­ vent les passions, les jouissances, les effrois de l'exis ­ tence.

En cette paradoxale maîtrise des mots et des cho­ ses, un ta lent mineur, au souffle un peu court, trou ve sa place et son prix.

BffiLIOGRAPH!E Éd itions.

- Œuvres complètes.

Paris, Bernouard , 1927-1930, 10, vol ; Cœur double, Mimes, le Livr e de Monelle, Spicilège, l'Etoile de bois, il Libro della mla memoria , le Roi au masque d'or, Vies imaginaires, la Croisade des enfants, Paris, U.

G.

E., « 10/18 », 1979; Chr01ûques , éd.

J.

A.

Green, Genève, Dro z, 1981; Mœurs des diu males.

trait é du journalisme.

Paris, Éd.

des Cendres, 1985; Correspondan ce inédi t e, éd.

J.

A.

Green, Genève.

Droz, 1985.

C rit iq ue.

- Pierre Cham pion, Marcel Sclawob er son temps.

Paris, Grasset, 1927; G.

Tremb le y, Marcel Schwob, faussaire de l a nawrc , Genève , Droz., 1969; M.

lutrin , Scltwob «C œur dou­ ble », Lausanne, Éd.

de l'Aire, 1982.. »

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