SCHWOB Marcel : critique et analyse de l'oeuvre
Publié le 13/10/2018
Extrait du document
«
Une telle esthétique de l'effet par la litot e tient les choses à distance : comme chez Hokusai, Holbein (sous l'invocation desque ls sont placées les Vies imaginaires) ou les préraphaélites, la ne tteté du détail impose une vision san s perspective, irréelle , et appelle chaque objet, chaque instant construits par le texte à une absolue, fan tastique et fugitive présence.
La reconstruction du réel par l'imaginaire accomplit ici une sorte de synthèse déli cate entre le réalisme et le symbolisme : une fascinante passion de l'indiv idualité collecte et juxtapose, dans un sty le impressionniste, des faits s ingu lie rs, murés dans leur unicité, monades énigmati q u es; mais cette mu ltipli
cité, douloureuse déchirure du tissu de l'être, renvoie , par l 'anal ogie, à un mystérieux monisme, unité répara trice : « Imaginez que la ressemblance est le langage in tellectuel des différences , que les différences sont le lang age sensible de la ressemblance.
Sachez que tout en ce monde n'est que signes, et signes de signes».
La s oif de vi e
Ce qui anime l'évocation des instants intens es où, avec une cruau té qui suscite la terreur sacrée, l'infinité des apparences révèle l'unique force qui déploie les séducti ons polymorphes - la « volonté » schopenhaué rienne qui fonde les vouloir-vivre particuliers-, c'est une pathétique libido sentiendi : à travers« le roman des crises du monde intérieur et du m o nde extérieur » qu e composent les courts récits où viennent se fondre les données de l'histoire et ses pro pres fantasmes, Ma rce l Schwob co nnaît des vies plurielles; ce « résurrection niste » (pour reprendre l'expression d'Edmond de Gon court) est un sensuel que ses temporaires aliénations comblent d'expériences voluptueuses.
Sans cette « per versité» qui commence quand « 1 'homme conçoit qu'il y a d'autres êtres semblables à lui et leur sacrifie une part de so n moi », les pèl erinage s dans le passé ne seraient que de fro .i des recons titution s ar chéologiques, ne vibreraient pas d'une si poignan te nos talgi e de l'ail leur s et d'un si tragique désir de transgresser à 1a fois la clôture de l'individu et les bornes du temps; les conte s et le s Vies imaginaires n'auraien t pas ébloui Apollinaire (qui s'en inspirera dans l'Hérésiarque et (;1• en 1910) ou l'Alfred Jarry de Messaline (1901).
Cette aspiration à l'autre , mêlée d 'hédonisme et d e pitié, culmine d ans le Livre de Monell e : les amours du poète po ur une prostituée tubercu leu se (thème roman ti que propice au poncif) se transposent en versets nietz schéens, en visions oniriques pour encadrer de délicates nouvelle s co nsacrées à toutes les nu ances de la nature féminine («l'Égoïste», «la Voluptue use», «la Per verse» ...
).
Nulle confidence: MoneUe.
«cell e qui est seule>>, est une figure à l'allé gorisme hiératique; elle sor t de la nuit; é phémère , elle ordonne et prescrit : « n faut détruire les formes », tuer la pensée du passé et de l'avenir, oublier la raison et la connaissance de soi, et surtout ne vivre que dans l'instantanéité labi le et fulgurante :
Pense dans le moment.
Toute pensée qui dure est contradiction.
Aime le moment.
Tout amour qui dure est haine.
Sois sincère avec le moment.
Tout amour qui dure est
haine.
Ce cu lte grave de l'i nstant, du jaillissement sau vage de l a s pontanéité vitale, sera b ientôt développé - ou dilué - dans les Nourritures terrestres de Gide et sen sualisé par Colette.
Sans doute la dernière partie du livre enrobe - t-elle la mort et la permanence idéale de Monelle dans une brume crépusculaire par trop symboliste; du moins livre-t-elle mieux que toute confessio n l 'angoisse et l'enfa ntine douceur d'un voyage hermétique aux por
tes de l'au-delà, d'u n abandon à l'a mor fa ti.
L'art, ici, comme dans l 'œuvre en ti ère de Ma rcel Schwob, est rédemption de la vie; discret, sévère, armé d'érudition, il arrache la minute à son évanescence, le passé à sa nuit, le fantasme à son indécise incertitude; la trouble ardeur qui J'anime s'épanouit et se nje en formes qu i , sous la limpidité de leur perfection, glacent et capti vent les passions, les jouissances, les effrois de l'exis
tence.
En cette paradoxale maîtrise des mots et des cho ses, un ta lent mineur, au souffle un peu court, trou ve sa place et son prix.
BffiLIOGRAPH!E Éd itions.
- Œuvres complètes.
Paris, Bernouard , 1927-1930, 10, vol ; Cœur double, Mimes, le Livr e de Monelle, Spicilège, l'Etoile de bois, il Libro della mla memoria , le Roi au masque
d'or, Vies imaginaires, la Croisade des enfants, Paris, U.
G.
E., « 10/18 », 1979; Chr01ûques , éd.
J.
A.
Green, Genève, Dro z, 1981; Mœurs des diu males.
trait é du journalisme.
Paris, Éd.
des Cendres, 1985; Correspondan ce inédi t e, éd.
J.
A.
Green, Genève.
Droz, 1985.
C rit iq ue.
- Pierre Cham pion, Marcel Sclawob er son temps.
Paris, Grasset, 1927; G.
Tremb le y, Marcel Schwob, faussaire de
l a nawrc , Genève , Droz., 1969; M.
lutrin , Scltwob «C œur dou ble », Lausanne, Éd.
de l'Aire, 1982..
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