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Selon Jean Cocteau, la poésie "dévoile, dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement" Vous vous demanderez comment s'exerce dans "Alcools" cette fonction de dévoilement de la poésie.

Publié le 07/10/2010

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cocteau

"L'art ne restitue pas le visible, il rend visible", a dit Paul Klee. L'acuité du regard de l'artiste est effectivement telle qu'elle lui permet de faire apparaître, de révéler ce qui, ordinairement, nous échappe. Cette idée est soulignée également par Jean Cocteau lorsqu'il affirme dans Le Secret professionnel, en parlant plus particulièrement de la poésie, que celle-ci "dévoile dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement". Selon lui, le poète, grâce à son génie et à sa sensibilité, enlève le voile qui semble peser sur les choses, offre un éclairage nouveau, et donne à voir ce qui nous entoure sous un angle différent. Dans Alcools, Apollinaire, dont la devise est "j'émerveille", semble répondre à cette esthétique du dévoilement, de la révélation et de la surprise. Il veut permettre à l'objet d'apparaître dans sa nudité, dans sa beauté propre et même dans son étrangeté. Mais comment fonctionne ce dévoilement apollinarien? Quelles sont les "choses" dévoilées par le poète? Il semble intéressant d'étudier les rapports entre la réalité et la poésie, l'extérieur et l'intérieur, les choses et les mots. On peut ainsi tout d'abord analyser ce dévoilement du réel, puis montrer comment il s'opère dans Alcools, en prenant en compte la spécificité de ce poète, c'est-à-dire le rôle de l'émerveillement et, enfin, montrer qu'Apollinaire ne se contente pas de dévoiler les choses "qui nous environnent", mais également de l'être même, ses quêtes et ses douleurs.

1) Dévoilement du réel en poésie.  - la lumière - importance du feu pour Apollinaire.  - le regard du poète chez Apollinaire.  - importance de l'errance, qui participe d'une meilleure vision du monde.  - dévoilement unificateur du réel.  - Création d'une autre réalité.  2) Dévoilement du réel dans Alcools: le rôle de l'émerveillement.  - esthétique apollinarienne de la surprise.  - regard poétique de l'ivresse.  - émerveillement de la magie et des mythes.  3) Pas seulement révélation de l'environnement, mais aussi de l'Etre chez Apollinaire.  - va-et-vient entre l'extérieur et l'intérieur.  - dévoilement de ses sentiments sur l'amour et la femme.  - dévoilement de ses souffrances et angoisses.

cocteau

« j'avais à dire se sont changés en étoile".

Que la lumière provienne du soleil, des étoiles, d'une chandelle, des becsde gaz ou de l'électricité, elle éclaire le monde qui nous entoure d'une manière toute particulière, qui permet ledévoilement dont parle Jean Cocteau. A cette lumière se joint la sensibilité exacerbée du poète afin de "dévoiler" le réel, de percevoir ces "chosessurprenantes".

Dans "Cortège", les vers "Moi qui connais les autres / Je les connais par les cinq sens et quelquesautres" confirment cette idée.

En reprenant en anaphore la structure "il me suffit", il y affirme son pouvoir dereconstitution grâce à la puissance de ses sens: "Il me suffit de voir leur pieds pour pouvoir refaire ces gens àmilliers", "Il me suffit d'entendre le bruit de leur pas".

Il est ouvert au bruit: "le bruit de [sa] chaise enchaînée", "lesbruits de la ville", "le bruit des fiacres", le bruit des cors du chasse, du vent, des cloches et des chants.

Les verbes"écouter" et "entendre" reviennent plusieurs fois: "Et j'écoutai longtemps tous ces chants et ces cris", "J'entendisune voix / qui chantait", écrit-il dans "Vendémiaire".

Les harmonies imitatives présentes dans les poèmes soulignentcette écoute.

On a le vers "Les poules dans la cours caquettent" dans "Aubade chantée à Laetare un an passé", oules sonorités fricatives en "s", "z" et "f" traduisent le souffle puissant du vent sur les plantes du rivage, dans "Mai":"Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers / Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes".

Il sollicitel'imagination sonore du lecteur.

Mais c'est par le regard qu'il établit davantage le contact avec le réel.

MichelDécaudin dit que "le poème s'offre dès lors au lecteur comme un écran sur lequel il voit, selon la finesse et larichesse de son regard, plusieurs niveaux d'images".

Le verbe "regarder" revient plus d'une vingtaine de fois, et "voir"plus d'une quinzaine de fois.

Ainsi a-t-on par exemple des expressions telles que "tu vas le regarder de près", "Je lesai vus souvent" dans "Zone", "je vois le soir les couples" dans "L'ermite", , ou encore "Je le revis" répété trois foisdans "Poème lu au mariage d'André Salmon".

Dans "Le brasier", l'expression "Et voici le spectacle" montre que le réeldevient un spectacle, un tableau observé par le poète.

"Ce n'est pas la bizarrerie qui me plaît", écrit-il à HenriMartineau, "c'est la vie et quand on sait voir autour de soi, on voit les choses les plus curieuses et les plusattachantes [...] si je suis lettré [...] c'est plutôt par un goût naturel qui me fait bien sentir l'intensité de la vie [...]c'est plutôt par une sorte d'intuition, dis-je, que par l'étude".

Il sait comment regarder, sentir le réel pour le"dévoil[er] dans toute la force du terme". Ce regard et cette lumière poétiques entraînent le poète dans une contemplation du monde qui nous entoure, dansune contemplation de l'errance et de la rêverie.

En effet, Apollinaire explore le monde en marchant.

A travers unepoésie déambulatoire, il découvre d'autres facettes des "choses qui nous environnent": "Maintenant tu marchesdans Paris", "Tu marches vers Auteuil" dit-il dans "Zone", "Un soir un passant le long des quais déserts et sombres"dans "Vendémiaire".

Comme l'écrit Marie-Jeanne Durry dans Guillaume Apollinaire, Alcools, "Apollinaire était la mobilitémême".

Il suit un voyou dans les rues de Londres dans "La chanson du Mal-Aimé".

Les images de marches, de pas,de routes, de chemins reviennent régulièrement.

"L'ermite" "marche et fuit".

Le fils de Merlin "marchera tout seul enregardant le ciel".

Cette marche, cette errance, permet au poète un contact plus rapproché avec "ces choses [...]".La rêverie le permet également.

Comme le dit Bachelard dans Poétique de la rêverie, "dans la rêverie, les sensrestent en éveil, [...] le contact du rêveur avec le monde réel est constamment maintenu [...].

Chez les grandpoètes, la création est portée par la rêverie qui la ramène toujours au réel".

Ainsi dans "Palais", le poète parle de ses"rêveuses pensées", ou encore "de rêveuses pensées en marche à l'Orient", de ses "beaux rêves mort-nés".

Leregard onirique du poète, dans sa déambulation contemplative, à travers différents lieux, dévoile à sa façon le réel,révèle les "choses" sous différents angles. Le regard et la "lumière" du poète dans cette errance permettent, en outre, l'union, l'embrassement du mondeentier.

Le poète entreprend un dévoilement unificateur du réel en jouant sur l'alliage de l'ancien et du nouveau sur lasimultanéité.

La démarche d'Apollinaire est effectivement une démarche unifiante.

Il s'intéresse aux élémentsanciens et modernes, au monde entier, à tous les gens.

Morhange-Bégué écrit qu'"une humanité cosmopolite, unkaléidoscope de visages et d'attitudes traverse ainsi, d'une manière originale, les poèmes d'Alcools: fruit d'uneobservation attentive et amusée".

Le champ de la poésie s'élargit avec lui.

Il se fait visionnaire du quotidien.

Il tente"d'habiter poétiquement le monde", selon l'expression d'Hölderlin.

Il veut un "lyrisme neuf et humaniste à la fois".Dans "Zone", "l'esprit nouveau" d'Apollinaire se révèle.

Se refusant à une rupture totale avec le "monde ancien", sonesthétique se tourne quand même vers une esthétique moderniste, comme le montre le champ lexical du quotidien,les termes techniques et les néologismes: "Tour Eiffel", "les prospectus des catalogues, les affiches", "les livraisons à25 centimes", "Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes", "cette rue industrielle".

Dans sonarticle "Autour du futurisme", Laurence Campa affirme qu'Apollinaire s'enthousiasme pour les machines modernes,mais il n'y a pas chez lui de "modernolatria" (le terme est de Marinetti).

La présence des "hangars de Port-Aviation",des "automobiles" dans "Zone", des "tramways", des "rails leur folie des machines" dans "La chanson du Mal-Aimé",des "sonneries électriques des gares chant des moissonneuses" dans "Le voyageur" le prouve.

Son regard s'arrêtesur des lieux, des objets, des gens que l'on n'avait peut-être pas considéré comme poétiques, mais dont il nousdévoile la beauté, la poésie: "Les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut / Voilà la poésie cematin".

La modernité côtoie la religion, les images du Christ par exemple.

Le dévoilement du réel se fait dans saglobalité, avec les éléments les plus divers.Cette volonté d'unifier le réel par son regard se retrouve dans son esthétique de la simultanéité.

Il souhaiteembrasser l'ensemble du réel dans sa diversité, sa multiplicité et son unité.

Il juxtapose les tons, les points de vue.Les poèmes "Les femmes" et "Vendémiaire" rendent compte de cette simultanéité.

Didier Alexandre, dans guillaumeApollinaire, Alcools, dit que "Vendémiaire" "actualise cette simultanéité dans une structure qui semble empruntée auxtextes théâtraux".

Annonçant les poèmes conversation, "Les femmes", par le passage du présent au passé, la"démultiplication des points de vue par la polysémie" joue sur des effets de simultanéité.

On peut rapprocher cettesimultanéité de la peinture cubiste.

Même si Apollinaire refuse l'appellation de "cubisme littéraire", Peter Read, dansson article "La révolution cubiste", dit qu'"il n'empêche qu'une conception simultanéiste sous-tend à la fois. »

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