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Selon votre préférence, faites soit un résumé soit une analyse de ce texte de Bergson, puis développez, en utilisant les affirmations de l'auteur lui-même, ce passage : « ... de la machine à vapeur, avec les inventions de tous genres qui lui font cortège, on parlera peut-être comme nous parlons du bronze ou de la pierre taillée ; elle servira à définir un âge. »

Publié le 16/02/2011

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bergson

A quelle date faisons-nous remonter l'apparition de l'homme sur la terre ? Au temps où se fabriquèrent les premières armes, les premiers outils. On n'a pas oublié la querelle mémorable qui s'éleva autour de la découverte de Boucher de Perthes dans la carrière de Moulin-Quignon'. La question était de savoir si l'on avait affaire à des haches véritables ou à des fragments de silex brisés accidentellement. Mais que, si c'étaient des hachettes, on fût bien en présence d'une intelligence, et plus particulièrement de l'intelligence humaine, personne un seul instant n'en douta. Ouvrons, d'autre part, un recueil d'anecdotes sur l'intelligence des animaux. Nous verrons qu' à côté de beaucoup d'actes explicables par l'imitation, ou par l'association automatique des images, il en est que nous n' hésitons pas à déclarer intelligents; en première ligne figurent ceux qui témoignent d'une pensée de fabrication, soit que l'animal arrive à façonner lui-même un instrument grossier, soit qu'il utilise à son profit un objet fabriqué par l'homme. Les animaux qu'on classe tout de suite après l'homme au point de vue de l'intelligence, les Singes et les Eléphants, sont ceux qui savent employer, à l'occasion, un instrument artificiel. Au-dessous d'eux, mais non très loin d'eux, on mettra ceux qui reconnaissent un objet fabriqué : par exemple le Renard, qui sait fort bien qu'un piège est un piège. Sans doute, il y a intelligence partout où il y a inférence ; mais l'inférence, qui consiste en un infléchissement de l'expérience passée dans le sens de l'expérience présente, est déjà un commencement d'invention. L'invention devient complète quand elle se matérialise en un instrument fabriqué. C'est là que tend l'intelligence des animaux, comme à un idéal. Et si, d'ordinaire, elle n'arrive pas encore à façonner des objets artificiels et à s'en servir, elle s'y prépare par les variations mêmes qu'elle exécute sur les instincts fournis par la nature. En ce qui concerne l'intelligence humaine, on n'a pas assez remarqué que

l'invention mécanique a d'abord été sa démarche essentielle, qu'aujourd'hui encore notre vie sociale gravite autour de la fabrication et de l'utilisation d'instruments artificiels, que les inventions qui jalonnent la route du progrès en ont aussi tracé la direction. Nous avons de la peine à nous en apercevoir, parce que les modifications de l'humanité retardent d'ordinaire sur les transformations de son outillage. Nos habitudes individuelles et même sociales survivent assez longtemps aux circonstances pour lesquelles elles étaient faites, de sorte que les effets profonds d'une invention se font remarquer lorsque nous en avons déjà perdu de vue la nouveauté. Un siècle a passé depuis l'invention de la machine à vapeur, et nous commençons seulement à ressentir la secousse profonde qu'elle nous a donnée. La révolution qu'elle a opérée dans l'industrie n'en a pas moins bouleversé les relations entre les hommes. Des idées nouvelles se lèvent. Des sentiments nouveaux sont en voie d'éclore. Dans des milliers d'années, quand le recul du passé n'en laissera plus apercevoir que les grandes lignes, nos guerres et nos révolutions compteront pour peu de chose, à supposer qu'on s'en souvienne encore ; mais de la machine à vapeur, avec les inventions de tout genre qui lui font cortège, on parlera peut-être comme nous parlons du bronze ou de la pierre taillée ; elle servira à définir un âge. Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à ce que l'histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique constante de l'homme et de l'intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo sapiens, mais Homo faber. En définitive, l'intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d'en varier indéfiniment la fabrication... L'instrument fabriqué intelligemment est un instrument imparfait... Mais, comme il est fait d'une matière inorganisée il peut prendre une forme quelconque, servir à n'importe quel usage, tirer l'être vivant de toute difficulté nouvelle qui surgit et lui conférer un nombre illimité de pouvoirs... Surtout, il réagit sur la nature de l'être qui l'a fabriqué, car, en l'appelant à exercer une nouvelle fonction, il lui confère, pour ainsi dire, une organisation plus riche, étant un organe artificiel qui prolonge l'organisme naturel. Pour chaque besoin qu'il satisfait, il crée un besoin nouveau, et ainsi, au lieu de fermer, comme l'instinct, le cercle d'action où l'animal va se mouvoir automatiquement, il ouvre à cette activité un champ indéfini, où il la pousse de plus en plus loin et la fait de plus en plus libre.

Henri BERGSON. L'Évolution créatrice (P.U.F.)

1. Boucher de Perthes y découvrit, au cours de ses fouilles, des instruments de pierre grossièrement taillés.

bergson

« Tout le texte tend à détruire la suprématie de l'homo sapiens sur l'homo faber ; Bergson utilise comme premierargument l'attitude des paléontologistes : on fait remonter l'apparition de l'homme sur la terre à l'époque où sefabriquèrent les premiers instruments.

Or, lors de la découverte de Boucher de Perthes, la question posée fut desavoir s'il s'agissait d'outils, non de savoir si ces outils prouvaient l'existence d'une intelligence.

Le philosophe tireson deuxième argument des critères selon lesquels on distingue l'intelligence chez les animaux : dans le domaineanimal, on parle d'intelligence à partir d'une utilisation de l'instrument qui dépasse la simple imitation ou association.La conclusion est évidente pour Bergson : c'est la matérialisation par l'outil qui caractérise l'intelligence inventive.Puis l'auteur argumente à partir de notre monde actuel, notant l'importance de cette forme d'intelligence quiconditionne notre vie sociale, dominée par la fabrication et l'utilisation d'objets artificiels.

L'histoire contemporainefournit une dernière preuve par l'exemple : bien que les habitudes nous masquent l'évolution, la machine à vapeur,qui a révolutionné notre industrie, nos idées, nos sentiments définira peut-être un âge.

La conclusion affirme laprimauté de l'homo faber : au départ, l'intelligence est l'art de fabriquer des objets artificiels qui confèrent à l'hommeun pouvoir illimité. COMMENTAIRE Bergson lui-même souligne, avant de conclure en ces termes, les divers aspects de la révolution provoquée parl'invention de la machine à vapeur.

Certains sont évidents : tous les livres d'histoire évoquent l'importance dumachinisme lorsqu'il apparaît au xixe siècle ; il bouleverse les procédés de production, transforme les usines qui seconcentrent et disposent d'une puissance accrue ; il crée les moyens de transport qui conditionneront désormaistoute l'organisation de la vie matérielle.

Il entraîne, avec la naissance de la grande industrie, la concentration de lamain-d'œuvre, les brassages de population, la croissance des cités.Toute l'organisation de la société s'en trouve modifiée.

Le bien-être accru est la première forme de cette course à laconsommation que notre monde contemporain ne parvient plus à freiner.

L'organisation des usines et des banquesnécessite la concentration des capitaux et engendre un type d'économie nouveau : l'enrichissement des uns a pourcorollaire la misère des autres, les crises de surproduction, les conflits sociaux de toutes sortes.

Les guerres qui endécoulent prennent des proportions inouïes jusque-là; la dernière guerre mondiale doit peut-être son atrocité auraffinement technique qui permit la mort de millions de déportés.Aussi la découverte de la machine à vapeur a-t-elle posé des problèmes philosophiques nouveaux.

L'ancien «science sans conscience n'est que ruine de l'âme » de Rabelais a repris son caractère d'avertissement urgent.L'homme se demande si son destin se trouve bien entre ses propres mains ; tous les penseurs socialistes du XIXesiècle ont cherché à donner un sens à ce destin.

De façon différente, mais avec un égal optimisme, Bergson affirmesa foi dans le progrès.

La question demeure entière, et son acuité, son caractère purement humain sont bien signesd'une ère nouvelle.. »

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