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« Tous les jours, à la même heure, le maître d'école, en bonnet... » (Flaubert, Madame Bovary)

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

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« Tous les jours, à la même heure, le maître d'école, en bonnet de soie noire, ouvrait les auvents de sa maison, et le garde champêtre passait, portant son sabre sur sa blouse. Soir et matin, les chevaux de la poste, trois par trois, traversaient la rue pour aller boire à la mare. De temps à autre, la porte d'un cabaret faisait tinter sa sonnette ; et quand il y avait du vent, l'on entendait grincer sur les deux tringles les petites cuvettes en cuivre du perruquier, qui servaient d'enseigne à sa boutique. Elle avait pour décoration une vieille gravure de modes collée contre un carreau et un buste de femme en cire, dont les cheveux étaient jaunes. Lui aussi, le perruquier, il se lamentait de sa vocation arrêtée, de son avenir perdu, et, rêvant quelque boutique dans une grande ville, comme à Rouen, par exemple, sur le port, près du théâtre, il restait toute la journée à se promener en long, depuis la mairie jusqu'à l'église, sombre, et attendant la clientèle. Lorsque Mme Bovary levait les yeux, elle le voyait toujours là, comme une sentinelle en faction avec son bonnet grec et sa veste de lasting. «    Flaubert, Madame Bovary.

 

Introduction ■ Situation de Mme Bovary.

Situation de ce passage dans le Roman. ■ Indication des Thèmes. Première partie : l'exaspération de l'Ennui. ■ Monotonie. ■ Eternel recommencement. ■ Phrases et paragraphes composés en lent crescendo pour « empâter «. ■ Uniformité de la durée. Deuxième partie : la présentation réaliste du quotidien et du monde extérieur. ■ Observation, mais assez différente de celle de Balzac. ■ Laideur et médiocrité. ■ Inhumanité. Conclusion Caricature. ■ Satire ■ Mais aussi portée universelle de l'observation et du type dépeint.

 

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« ne peut plus supporter le retour à son existence terne.

Flaubert consacre un chapitre entier, d'un réalisme étouffant, à l'évocationdes longues journées d'ennui où Emma éprouve des « bouffées d'affadissement ».

« Pour elle, rien n'arrivait, Dieu l'avait voulu.L'avenir était un corridor tout noir et qui avait au fond sa porte bien fermée ».

C'est donc cette exaspération de l'ennui qui dominele texte, ennui tel qu'Emma en tombera malade et que le ménage sera obligé de quitter Tostes.

Mais ce qui frappe aussi, c'est laprésence froide des choses, le décor de la vie quotidienne, fouillé dans le détail, et dont la banalité et la laideur ne peuventprovoquer que l'écœurement. * * * L'ennui s'étale en couche brumeuse sur tout le paragraphe.

Chaque phrase, chaque terme le distille dans sa monotonieaccablante.

Tout est insipide, prévu, inlassablement recommencé : « Tous les jours...

», « à la même heure »..., « soir et matin...

»,« elle le voyait toujours là...

».

Les seules notions d'imprévu sont dues au rythme de rares sonorités et des variationsatmosphériques ; « de temps à autre » : un « tintement » (un bruit qui perce le brouillard d'ennui) ; « quand il y avait du vent » : «un grincement » (autre bruit).

La monotonie du temps qui s'écoule sans changement est comme scandée par un mouvement debalancier, celui de la marche du perruquier, éternellement identique, « depuis la mairie jusqu'à l'église ».

Les coupes mêmes desphrases imitent le tic-tac du temps ; de la 1re, aux mouvements secs de métronome : « Tous les jours/à la même heure,/le maîtred'école/ en bonnet de soie noire/...

», où tous les brefs membres de phrase sont à peu près de même longueur ; jusqu'à ladernière période, plus lente, plus étouffante, engluant le perruquier, cet être aigri, raté, lamentable, véritable bête en cage quitourne indéfiniment derrière les barreaux d'une vie médiocre.

Le paragraphe entier dans sa composition savante,harmonieusement bâti sur l'allongement progressif des cadences et l'élargissement des phrases est un piège qui se referme surEmma.

Car de phrase en phrase se déroule la pauvre vision journalière d'une jeune femme qui ne sait ni s'occuper, ni se dévouer,mais seulement se nourrir d'illusions creuses.

L'héroïne tente toujours de se saisir ailleurs.

Or elle est « toujours là », et « toujourslà » sont aussi les personnages falots qui s'agitent sous ses regards, chaque fois qu'elle « lève les yeux ».

Uniformité de la durée,permanence des actes, et pour finir l'image illusoire du pauvre homme mal vêtu, mal content, à la « vocation arrêtée », à l'« avenirperdu »..., comme elle-même ? Elle ne peut qu'éprouver cette crainte désespérante.

Comme lui « attendant la clientèle », elle esten attente, et comme à lui, rien ne lui arrive qu'une réalité bien peu reluisante : un « bonnet grec » et une « veste de lasting » àcontempler, et sur lesquels vient sans cesse buter le rêve d'évasion de la jeune femme romanesque. * * * Mais plus encore que les êtres, qu'elle pourrait se donner la petite consolation de mépriser et qui sont au moins donnés demouvement, ce sont les choses contre lesquelles son éternel désir d'un « ailleurs » vient s'arrêter.

Flaubert, écrivain réaliste, dansla lignée des romanciers d'observation dont Balzac est le 1er grand maître, sait présenter avec minutie ce monde inerte qui frappeles sens.

Mais — grande différence avec Balzac, — les choses, chez Flaubert, n'entrent pas en contact avec le cœur.

Rien enelles qui émeuve la sensibilité ou s'adresse à l'âme.

Les maisons, les objets, les mille petits riens qui encerclent la vie et qui chezbeaucoup « la font » ou la complètent, n'ont ici aucune résonance intérieure.

11 ne s'établit aucun courant, aucune sympathie entrel'être humain et le monde extérieur.

Que nous sommes loin de la célèbre exclamation de Lamartine (tant lu et relu d'Emmaécolière) : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? » ! Aucune poésie dans les choses qui apparaissent heure après heure.

Simplement une présentation froide d'entomologiste.

D'où unvocabulaire minutieux, précis, exact.

Seuls les traits principaux sont dessinés.

Dessin de savant ou caricature ? Les contours seulsdemeurent : « bonnet de soie noire, auvents, sabre, chevaux 3 par 3, tringles, cuvettes de cuivre, bonnet grec, veste de lasting ».Le trait est sec, net, sans bavure.

Au milieu de ces objets, viennent s'inscrire les gestes des hommes, comme dans un puzzle bienajusté et sans qu'il se tisse plus d'affinité entre êtres et objets qu'entre les créneaux des morceaux du puzzle : « ouvrait (lesauvents) », « passait, portant (son sabre) », « traversaient (la rue) », « on entendait grincer (les tringles) ».

Flaubert donnel'impression que son héroïne est prisonnière de cet univers de choses dont l'indifférence est inhumaine.

(Mais l'égoïsme etl'ambition d'Emma ne deviendront-ils pas inhumains eux aussi ?).

Même les êtres vivants — sauf le perruquier dont les sentiments,les états d'âme, les dégoûts sont précisés, — sont inhumanisés.

Ils apparaissent dans l'horizon d'Emma comme des silhouetteslointaines sans contact avec elle, et elle voit du même œil le « garde champêtre », que « son sabre » ou « sa blouse », comme un. »

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