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TRADUCTION ET LITTÉRATURE

Publié le 08/11/2018

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TRADUCTION ET LITTÉRATURE. Depuis le Moyen Age, il appartient à la traduction d’assurer la communication littéraire entre les sociétés de langues différentes. L'histoire complète des traductions en France n’a jamais été faite, mais on peut supposer qu’à côté de la réception directe des littératures étrangères, celle qui passe par la traduction joue un rôle plus large et probablement plus profond. S’il est vrai que les principes et les modes de la traduction littéraire changent, il est non moins certain qu’une œuvre littéraire traduite peut influer sur une littérature nationale, par le sens qu’elle donne à lire et par la forme spécifique qu’elle donne souvent, comme texte-traduction, à la langue dans laquelle elle s’inscrit. La traduction littéraire présuppose, chez le traducteur, une connaissance du contexte, au sens large, du texte original, pour qu’il puisse bien juger du caractère propre du discours littéraire qu’il traduit. En plus, l’œuvre littéraire ne se traduit pas comme un texte référentiel : elle doit être considérée comme un discours comportant un fonctionnement interne d’images et de connotations, de rythme et de structures syntaxiques, fonctionnement que le traducteur doit comprendre et restituer au profit des nouveaux lecteurs. C’est en ce sens-là qu’une littérature peut « s’enrichir » d’œuvres traduites. Si ce n’est pas le cas, une « annexion » de la littérature à traduire, faite selon les normes de la langue réceptrice, risque d’appauvrir la traduction. Le rôle du traducteur, placé au centre même de la communication entre l’auteur étranger et les nouveaux lecteurs, ne peut pas être neutre. D'où les problèmes de la traduction littéraire.

 

Historique des modes de traduction

 

Les difficultés sont considérées de manière différente selon les périodes : Renaissance et Classicisme, Romantisme, XXe siècle. Pour la Réforme, la traduction est une activité cruciale, et le mouvement humaniste parallèle manifeste une nouvelle ouverture d’esprit à l’égard des classiques [voir Humanisme). Mais comment les traduire? Les grands mots d’ordre formulés par Étienne Dolet dans son petit essai sur la Manière de bien traduire d'une langue en aultre (1540) orientent le traducteur vers le contenu du texte dont il doit, avant tout, comprendre « parfaictement le sens, et matière de l’autheur, qu’il traduict : car par ceste intelligence il ne sera iamais obscur en sa traduction ». Ensuite, il faut « suyvre le commun langage » et ne pas faire trop d’emprunts, de sorte que, somme toute, Dolet recommande ce qui, de nos jours, constitue les règles fondamentales de la traduction non littéraire (voir notamment D. Seleskovitch et M. Lederer i.

 

La pratique accentue la tendance à subordonner la traduction aux normes de la culture réceptrice. Au début du xviie siècle, par exemple, lorsque les romans picaresques espagnols se répandent en France, ils sont sujets à des remaniements qui les raccordent au goût satirique français. Plus tard, Montesquieu dit dans ses Cahiers : « Difficulté de traduire. Il faut d’abord bien savoir le latin; ensuite, il faut l’oublier ». Et Voltaire déclare : « Il faut écrire pour son temps, et non pour les temps passés ». Bien des traductions d’avant 1800 sont donc des adaptations faites par égard à la réception française : on fabrique de « belles [traductions] infidèles ». Cette expression, qui nous vient de Ménage, s’applique, par exemple, à la traduction, par Antoine Galland, des Mille et Une Nuits, mutilées par des suppressions et des corrections, ou aux :raductions d'Homère par Mme Dacier (qui, tout en voulant respecter le ton de l’original, ne lui est guère fidèle) et par Houdar de La Motte qui n'hésite pas, lui, à corriger l’original.

 

Beaucoup de choses changent — et se compliquent — avec le Romantisme. En Angleterre, Tytler (Essay on the Principles of Translation, 1791) attire l’attention sur « le style et la manière d’écrire » de l’auteur à traduire, et en Allemagne, Schleiermacher (Ueher die verschiedenen Methoden des Uebersetzens, 1813) suggère la possibilité de rapprocher le lecteur de l’auteur, tout comme le traducteur s’en est rapproché. En France, Chateaubriand tranche la question de la fidélité envers l'original d'une façon radicalement différente : dans ses Remarques à sa traduction du Paradise Lost, il déclare avoir « calqué le poème de Milton à la vitre ». Ne voulant pas « hacher le style » du poète anglais, se refusant à en corriger les obscurités, mais visant à « des effets d'harmonie semblables », même « aux dépens de la syntaxe » française, Chateaubriand dénonce indirectement le système des traductions-adaptations. Chez les romantiques, ce respect de l’original tient, bien évidemment, à leur conception du génie créateur (qu'ils attribuent donc à l’auteur plutôt qu’au traducteur). C’est ainsi que Nerval, dans la Préface à sa traduction du Faust de Goethe, traduction d'une fidélité remarquable, renvoie à l'original pour défendre « quelques passages singuliers » : « cette prétention de tout traduire exposera, aux yeux de beaucoup de personnes. ma prose et mes vers à paraître martelés et souvent insignifiants; je laisse à ceux qui connaissent l’original à me laver de ce reproche autant que possible ». Néanmoins, ajoute-t-il, aucune traduction ne saurait donner une idée complète de l’original... réserve démentie, si cela se peut, par les traductions d’Edgar Allan Poe faites par Baudelaire (les Histoires extraordinaires} et, surtout, par Mallarmé (les Poèmes, traduction en prose).

 

Théories modernes

 

L’idée romantique de l’originalité de chaque langue (et de chaque littérature) avait trouvé chez l’Allemand Wilhelm von Humboldt une forme particulièrement marquée : chaque langue détermine une conception spécifique du monde, conception qui se reflète inversement dans la langue. Ce circuit clos semble s’opposer à toute traduction. Pour les Américains E. Sapir et B.L. Whorf, chez qui on retrouve au XXe siècle la théorie hum-boldticnne, les structures linguistiques règlent la vision du monde chez l’individu. Dans la mesure où la langue est le seul outil dont nous disposons pour exprimer notre pensée sur le monde, la théorie semble plausible, mais le fait qu’il existe des traductions compréhensibles la démentit. Pourquoi? Certains ont suggéré l’existence d'éléments linguistiques universels : E.A. Nida pense qu’il existe dans toutes les langues des mots correspondant aux catégories sémantiques Objet, Événement, Abstraction; il suffirait donc de transformer les différentes espèces de mots pour arriver à une traduction claire. C.R. Taber en conclut logiquement qu’il est légitime de séparer la traduction (le transfert) du sens et la traduction (le remaniement) du « style » (syntaxe et morphologie). L’opération faite par le traducteur consisterait, dès lors, à « transporter tout [le] bagage [sémantique] de l’autre côté, dans la langue réceptrice, avec le moins de perte possible », et dans un second temps, à « trouver la forme qui rend le mieux possible la valeur stylistique de l’original ». Aux yeux de certains, ce procédé a l’avantage de dégager (en particulier dans les textes éloignés de notre culture dans le temps ou dans l’espace) les unités de sens qu’une traduction directe ne saurait rendre et qu’il faudra donc « revêtir » de formes « équivalentes ». Pour d'autres, le transfert du sens aux dépens du style n’est un procédé valable que pour les textes non littéraires.

 

C’est que le langage littéraire n’est pas seulement véhiculaire d'un sens, surtout pas d’un sens universel. Le fonctionnement interne du texte littéraire repose sur l’interaction forme-sens qu’on ne séparerait qu’au prix de textes-traductions qui se ressemblent. Au lieu de distinguer, à partir d’une théorie linguistique, le sens de la forme, on peut procéder à une interprétation initiale et intégrale, à partir d’une théorie de la littérature, du texte à traduire. Sur ce point, l'herméneutique de Hans-Georg Gadamer a inspiré des théoriciens et des traducteurs soucieux de mener, avec le texte, un dialogue qui rapprocherait le texte-traduction du texte de départ. Enfin, pour George Steiner, comprendre, interpréter et traduire sont des activités apparentées les unes aux autres. Et le traducteur n’accédera à une compréhension totale et valable pour la traduction que lorsqu’il aura saisi le texte comme prise de conscience. Il s’installe quasiment dans le texte pour le recréer ensuite sous une forme qui doit « restaurer la balance des forces, la présence intégrale que sa compréhension avait rompue ».

 

Henri Meschonnic s’oppose à cette tendance interprétative comme (avec George Steiner) à la paraphrase et à l’annexion. Tout en refusant de séparer le style et le sens et de considérer l’esthétique comme un « plus » séparable du texte, Meschonnic considère celui-ci comme un discours spécifique ayant son système propre qu’il faut réénoncer dans la langue réceptrice. La contradiction éventuelle entre le langage de ce texte et la langue réceptrice ne doit pas être dissimulée; au contraire,

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