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Une « banale » rencontre : Raymond Radiguet – Le Diable au corps

Publié le 06/07/2010

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radiguet

Au cours de cette promenade, je devais remarquer qu’elle fronçait souvent les sourcils, ce qui couvrait son front de rides auxquelles il fallait une minute pour disparaître. Afin qu’elle eut tous les motifs pour me déplaire, sans que je me reprochasse d’être injuste, je souhaitais qu’elle employât des façons de parler assez communes. Sur ce point, elle me déçut.

Le père, lui, avait l’air d’un brave homme, ancien sous-officier, adoré de ses soldats. Mais où était Marthe ? Je tremblais à la perspective d’une promenade sans autre compagnie que celle de ses parents. Elle devait venir par le prochain train, « dans un quart d’heure, expliqua Mme Grangier, n’ayant pu être prête à temps. Son frère arriverait avec elle. «

Quand le train entra en gare, Marthe était debout sur le marchepied du wagon. « Attends bien que le train s’arrête «, lui cria sa mère… Cette imprudente me charma.

Sa robe, son chapeau, très simples, prouvaient son peu d’estime pour l’opinion des inconnus. Elle donnait la main à un petit garçon qui paraissait avoir onze ans. C’était son frère, enfant pâle, dont tous les gestes trahissait la maladie.

Sur la route, Marthe et moi marchions en tête. Mon père marchait derrière, entre les Grangier. Mes frères, eux, bâillaient, avec ce nouveau petit camarade chétif, à qui l’on défendait de courir.

Comme je complimentais Marthe sur ses aquarelles, elle me répondit modestement que c’étaient des études. Elle n’y attachait aucune importance. Elle me montrerait mieux des fleurs « stylisées. « Je jugeais bon pour la première fois, de ne pas lui dire que je trouvais ces sortes de fleurs ridicules.

Sous son chapeau elle ne pouvait bien me voir. Moi, je l’observais.

- Vous ressemblez peu à madame votre mère, lui dis-je.

C’était un madrigal*.

- On me le dit quelquefois ; mais quand vous viendrez à la maison, je vous montrerai les photographies de maman lorsqu’elle était jeune : je lui ressemble beaucoup.

Je fus attristé de cette réponse et je priai Dieu de ne point voir Marthe quand elle aurait l’âge de sa mère.

Voulant dissiper le malaise de cette réponse pénible, et ne comprenant pas que, pénible, elle ne pouvait l’être que pour moi puisque heureusement Marthe ne voyait point sa mère avec mes yeux, je lui dis :

- Vous avez tort de vous coiffer de la sorte, les cheveux lisses vous iraient mieux.

Je restai terrifié, n’ayant jamais dit pareille chose à une femme. Je pensais à la façon dont j’étais coiffé, moi.

- Vous pourrez le demander à maman (comme si elle avait besoin de se justifier !) d’habitude, je me coiffe pas si mal, mais j’étais en retard et je craignais de manquer le second train. D’ailleurs, je n’avais pas l’intention d’ôter mon chapeau.

« Quelle fille est-ce donc, pensais-je pour admettre qu’un gamin la querelle à propos de ses mèches ? «

J’essayai de deviner ses goûts en littérature ; je fus heureux qu’elle connût Baudelaire et Verlaine*, charmé de la façon dont elle aimait Baudelaire, qui n’était pourtant pas la mienne. J’y discernais une révolte. Ses parents avaient fini par admettre ses goûts…

Son fiancé, dans ses lettres, lui parlait de ce qu’il lisait, et s’il lui conseillait certains livres, il lui en défendait d’autres. Il lui avait défendu Les Fleurs du Mal*. Désagréablement surpris d’apprendre qu’elle était fiancée, je me réjouis de savoir qu’elle désobéissait à un soldat assez nigaud pour craindre Baudelaire. Je fus heureux de sentir qu’il devait souvent choquer Marthe…

Son fiancé lui avait aussi défendu les académies de dessin. Moi, je n’y allais jamais, je lui proposais de l’y conduire, ajoutant que j’y travaillais souvent. Mais, craignant ensuite que mon mensonge ne fut découvert, je la priai de n’en point parler à mon père. Il ignorait que je manquais les cours de gymnastique pour me rendre à la Grande Chaumière*. Car je ne voulais pas qu’elle pût se figurer que je cachais l’Académie à mes parents, parce qu’ils me défendaient de voir des femmes nues. J’étais heureux qu’il se fit un secret entre nous, et moi, timide, me sentais déjà tyrannique avec elle.

 Radiguet est âgé de dix-sept ans, lorsqu’il écrit ce roman qui le rendra célèbre. L’histoire débute en avril 1917. Le narrateur qui a seize ans fait la connaissance, lors d’une promenade familiale, de Marthe, dix-huit ans, fiancée à un certain Jacques Lacombe, mobilisé, et qu’elle doit épouser en octobre…

radiguet

« 35 40 45 50 livres, il lui en défendait d'autres.

Il lui avait défendu Les Fleurs du Mal *. Désagréablement surpris d'apprendre qu'elle était fiancée, je me réjouis de savoir qu'elledésobéissait à un soldat assez nigaud pour craindre Baudelaire.

Je fus heureux de sentirqu'il devait souvent choquer Marthe… Son fiancé lui avait aussi défendu les académies de dessin.

Moi, je n'y allais jamais, jelui proposais de l'y conduire, ajoutant que j'y travaillais souvent.

Mais, craignantensuite que mon mensonge ne fut découvert, je la priai de n'en point parler à mon père.Il ignorait que je manquais les cours de gymnastique pour me rendre à la GrandeChaumière*.

Car je ne voulais pas qu'elle pût se figurer que je cachais l'Académie à mesparents, parce qu'ils me défendaient de voir des femmes nues.

J'étais heureux qu'il sefit un secret entre nous, et moi, timide, me sentais déjà tyrannique avec elle. Lexique : * Madriga l : Poème galant.

Ici, le mot prend le sens de compliment. * Baudelaire et Verlaine : Poètes de la deuxième moitié du XIXème siècle, qualifiés de « maudits » tant à cause de leurs vies dissolues que de la hardiesse de leurs écrits. * Les Fleurs du Mal : Célèbre recueil poétique de Baudelaire ayant fait scandale à son époque (1857) et par conséquent, synonyme de révolte et d'interdit. * La Grande Chaumière : Ecole de dessin de Paris encore appelée Académie à cette époque. Questions :. »

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