Une charongne (commentaire littéraire)
Publié le 18/12/2014
Extrait du document
" Tu m'as donné ta boue, et j'en ai fait de l'or?" Baudelaire XXIX - Une Charogne Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme, Ce beau matin d'été si doux: Au détour d'un sentier une charogne infâme Sur un lit semé de cailloux, Le ventre en l'air, comme une femme lubrique, Brûlante et suant les poisons, Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d'exhalaisons. Le soleil rayonnait sur cette pourriture, Comme afin de la cuire à point, Et de rendre au centuple à la grande Nature Tout ce qu'ensemble elle avait joint; Et le ciel regardait la carcasse superbe Comme une fleur s'épanouir. La puanteur était si forte, que sur l'herbe Vous crûtes vous évanouir. Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride, D'où sortaient de noirs bataillons De larves, qui coulaient comme un épais liquide Le long de ces vivants haillons. Tout cela descendait, montait comme une vague Ou s'élançait en pétillant On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague, Vivait en se multipliant. Et ce monde rendait une étrange musique, Comme l'eau courante et le vent, Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique Agite et tourne dans son van. Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve, Une ébauche lente à venir Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève Seulement par le souvenir. Derrière les rochers une chienne inquiète Nous regardait d'un oeil fâché, Epiant le moment de reprendre au squelette Le morceau qu'elle avait lâché. - Et pourtant vous serez semblable à cette ordure, A cette horrible infection, Etoile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion! Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces, Apres les derniers sacrements, Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses, Moisir parmi les ossements. Alors, ô ma beauté! dites à la vermine Qui vous mangera de baisers, Que j'ai gardé la forme et l'essence divine De mes amours décomposés! Les Fleurs du malLes Fleurs du mal, 1857, Charles...
«
INTRODUCTION
Ce poème est extrait des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, recueil publi é en 1861.
Recueil censur
é pour son inad équation aux bonnes r ègles de la morale et de la pudeur, il ose
s’attaquer
à des motifs peu conventionnels, comme celui de cette « charogne ». XXIXe po ème
de la premi
ère partie du recueil, intitul ée « Spleen et Id éal », il refl ète bien cette double
tendance du po
ète à se diriger à la fois vers la fascination m élancolique pour le mal et le laid (le «
spleen » ) et
à tenter de s’ élever plus haut vers une Beaut é transcendante, « id éale ». Il
d
écrit un objet horrible, le plus horrible qu’on puisse imaginer peut être, et pourtant ce po ème est un
po
ème d’amour puisqu’il s’adresse à la femme qu’il aime. Comment expliquer cette étrange mani ère
de s’adresser
à l’ être aim é?
Il convient d’abord de remarquer l’allusion
évidente au « memento mori », sujet
traditionnel des beauxarts, de la peinture
à la musique en passant par la litt érature, depuis l’antiquit é,
et de voir comment Baudelaire exacerbe la violence du spectacle de la charogne.
Il faudra ensuite s’interroger sur « la le
çon » que Baudelaire cherche à nous en faire
tirer : on sait que le memento mori n’a pas la m
ême signification pour un romain de l’antiquit é (il est
alors proche du « carpe diem » ) que pour un chr
étien quelques si ècles plus tard (il signifie
que l’important n’est pas ce qui se passe en ce basmonde).
On verra comment Baudelaire nous propose une vision ni épicurienne, ni chr étienne, mais ironique et cynique de ce th ème du memento mori. Enfin, on s’interrogera sur le fait que Baudelaire m êle ce th ème à celui de l’amour. N’y atil l à qu’un cynisme gratuit de plus, ou estce un signe que l’amour et la po ésie sont capables de sublimer ce qui semblait être le comble de la laideur? I Une « vanit é » violente. Ce po ème rejoint la tradition du « memento mori », de la vanit é. (memento = Rappelez vous). Structure habituelle : contemplation d’un objet qui évoque la mort (ruines par exemple, ici une charogne) puis comparaison avec l’homme (ici la femme aim ée)( « et pourtant vous serez semblable à cette ordure » ). 1 °) Premier choc : Eros et Thanatos L’effet de violence est recherch é dès la construction de la strophe 1 : deux vers de calme beaut é (sonorit és douces et vers 2 frise le clich é) m énagent un effet de surprise par contraste (avec charogne inf âme à la rime, en antith èse avec « mon âme », mise en parall èle qui annonce la violence de la comparaison finale). Cet effet trouve peut être son apog ée dans la seconde strophe o ù Eros et Thanatos sont plus m êlés : le po èmes devient carr ément érotique (lubrique, le ventre ouvert évoque la femme en position amoureuse). 2 °) Le choc entre le vivant et le mort La mort est rendue violente par la vie qui se d égage d’elle, elle semble ainsi mena çante : cela . »
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