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Une philosophie de la vie - Jacques le fataliste de Diderot

Publié le 08/01/2020

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comprendre ou qui dépendent de lui. Or le déterminisme, qui dénie toute liberté à l’individu, n’est sur ce point guère satisfaisant pour l’esprit. Mais, dans d’autres textes, Diderot en assume totalement les conséquences. Il affirme par exemple dans ses Commentaires sur Hemsterhuis : «J’avoue que j’ai beau m’interroger sur moi-même, il m’est évidemment démontré, et par la raison et par l’expérience, que j’ai toujours été passif avant que d’être actif, effet avant que d’être cause1 2».

Que conclure de cette contradiction? Que Jacques le Fataliste ne livre pas au lecteur la pensée toute faite de son auteur. L’œuvre est au contraire une façon pour Diderot de dialoguer avec lui-même, de faire le point sur sa propre philosophie, de marquer ses hésitations, voire ses doutes, en prêtant à ses personnages des thèses que tantôt il partage et que tantôt il récuse en partie, au moins dans leurs conclusions les plus extrêmes. Roman philosophique, Jacques le Fataliste est le lieu ouvert d’un débat intellectuel.

DÉTERMINISME,

RESPONSABILITÉ ET MORALE

La négation de la liberté soulève un problème considérable. Si l'homme n’est pas libre, comment peut-il opter pour le bien ou pour le mal? Comment peut-il être tenu pour responsable de ses actes?

Jacques estime que l’homme ne choisit pas son comportement et qu’il n’en est donc pas responsable : selon lui, on «s’achemin [e] nécessairement à la gloire ou à l’ignominie» (p. 217), et il y a simplement des êtres qui sont «heureusement nés» et d'autres qui sont «malheureusement nés» (p. 45). Les premiers sont bons par nature, comme les seconds sont méchants par nature.

Il n’existe plus dans ces conditions de bien et de mal absolus, de lois morales objectives, universelles et intemporelles. Vertus et vices

1. François Hemsterhuis : philosophe hollandais du xviiie siècle, surnommé le « Platon du Nord ». Diderot écrit des Commentaires sur son œuvre en 1774.

2, Jacques dit quelque chose de semblable : «Une cause n’a qu’un effet; j’ai toujours été une cause une; je n’ai donc jamais eu qu’un effet à produire; ma durée n'est donc qu'une suite d’effets nécessaires» (p. 217-218).

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« Si tout est matière, d'où viennent dès lors la pensée et les idées, qui sont par nature impalpables et non mesurables? Jacques rejette la théorie des idées innées qui, selon Descartes découlent d'un prin­ cipe spirituel (Dieu) auteur de notre être pensant.

Pour Jacques, les idées naissent toujours de la sensation, des informations que les sens nous transmettent.

Tant que son maître ne souffre pas personnelle­ ment du genou, il ne peut comprendre la douleur de son valet atteint d'une balle au genou.

Aussitôt qu'il en souffre après être tombé de cheval, il admet que c'est «une des plus cruelles» blessures qui soient : il lui a donc fallu éprouver cette douleur particulière pour s'en faire une idée (p.

51).

La sensation est donc à l'origine des idées.

On peut évidemment objecter que chacun de nous élabore des idées qui ne correspondent pas à des sensations intimement vécues.

Le maître de Jacques reconnaît ainsi qu'accoucher cause de grandes douleurs.

Comment le sait-il puisqu'il n'a jamais accouché et qu'il prétend par ailleurs que toute connaissance vient des sensa­ tions? C'est qu'un second facteur joue dans la formation de la pen­ sée.

Il s'agit de l'expérience d'autrui qui se transforme en savoir col­ lectif et qui permet d'intégrer à ses propres connaissances ce que d'autres ont éprouvé.

Mais à la source de ce savoir indirect, trans­ mis, correspond encore une sensation.

Jacques et avec lui Diderot se rangent ainsi dans le camp des sen­ sualistes2, ceux qui considèrent que les opérations mentales, même les plus complexes, ne se fondent que sur la succession et l'addition des sensations.

DÉTERMINISME ET LIBERTÉ Si, d'une part, comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, l'homme est déterminé et si, d'autre part, tout repose sur un enchaî- 1.

Selon Descartes (1596-1650), «l'âme est totalement distincte du corps; la nature de cette âme est de penser».

Or cette âme étant d'origine divine, la faculté de penser précède donc l'acquisition d'un savoir : elle est innée.

2.

Sensualistes : partisans du sensualisme, doctrine selon laquelle toutes les connais­ sances viennent des sensations.

Au xv111• siècle, Condillac (1714-1780) en est le princi­ pal représentant.

76 PROBLËMATIQUES ESSENTIELLES. »

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