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VERLAINE, Sagesse: Le son du cor s'afflige

Publié le 12/02/2011

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verlaine

Le son du cor s'afflige vers les bois D'une douleur on veut croire orpheline, Qui vient mourir au bas de la colline Parmi la bise errant en courts abois.    L'âme du loup pleure dans cette voix Qui monte avec le soleil qui décline, D'une agonie on veut croire câline Et qui ravit et qui navre à la fois.    Pour faire mieux cette plainte assoupie La neige tombe à longs traits de charpie A travers le couchant sanguinolent    Et l'air a l'air d'être un soupir d'automne, Tant il fait doux par ce soir monotone Où se dorlote un paysage lent.    VERLAINE, Sagesse.    Vous ferez de ce texte un commentaire composé, que vous organiserez de façon à mettre en lumière l'intérêt qu'il vous inspire. Vous pourriez, par exemple, étudier comment ce langage poétique mêle à l'évocation d'un paysage une rêverie à la fois douloureuse et douce. Mais ces indications ne sont pas contraignantes : vous avez toute latitude pour orienter votre lecture à votre gré.     

Dès la période de ses vagabondages, Verlaine («Homo duplex Verlaine«, selon sa propre formule) éprouvait le désir d'être «Sage« (la majuscule est de lui). «Sage« — comme le montre bien cette expression naïve — c'est revenir au monde heureux et surprotégé d'une enfance lumineuse et sans problèmes. Aussi, après la souffrance de l'arrestation (il a tiré en 1873 sur son ami Rimbaud), après le choc terrible de la condamnation («Une fois rentré... dans le vestibule où les gendarmes m'attendaient, je me mis à pleurer comme un enfant«, Mes Prisons), après enfin l'annonce au prisonnier du jugement en séparation de corps et biens au profit de sa femme, sa conversion est — d'après lui — un élan passionné vers Dieu qui le sauvera sans doute («Mon Dieu m'a dit...«).   

plan    I. Un paysage lent    — où toutes les sensations se mêlent en équivoque,    — que musicalité et fluidité suggèrent.    II. Un paysage... état d'âme et symbole    — est-il suggéré,    — ou suggère-t-il?    — tout est complexité, contrastes, transpositions...   

verlaine

« — sont toutes de «douceur», car «l'air» est un «soupir»; même ce verbe d'état «est» se révèle trop marqué; «l'air a[seulement] l'air» — notons cette affectation de négligence de style — d'être un souffle.

Tout d'ailleurs « semble »plutôt que n'«est».

Car ce «jour d'automne» est déjà un hiver précoce, puisqu'il neige; le jour lui-même est saisi àl'heure crépusculaire d'un «soir monotone».

La même imprécision volontaire, exemple de cet art savant «où l'indécisau précis se joint» (Art poétique), domine les sensations auditives et visuelles.

Curieusement, puisqu'il s'agit d'unpaysage, c'est le son qui apparaît le premier.

«Le son du cor...

» Verlaine cite souvent cet instrument.

Ainsi dansL'Art poétique, où il affirme que...

la nuance seule fiance // le rêve au rêve et la flûte au cor!» : le cor représente làun certain type de sonorité : profonde; ou dans Sagesse (I.

19) : «Voix de l'Orgueil : un cri puissant comme uncor», texte dans lequel l'instrument devient nettement symbolique.

Ici le cor «s'afflige», ce qui adoucit au moinssentimentalement sa force, on ne l'entend d'ailleurs que «vers les bois» — encore une imprécision choisie = du côtédes bois, dans leurs environs...

— et en «courts abois», comme la brise avec laquelle ses accents se confondent,tant qu'on ne sait plus très bien si cette dernière formule s'applique au cor ou au vent.

D'ailleurs la syntaxe s'enmêle, avec laquelle Verlaine — comme assez souvent, relisons Charleroi — prend bien des libertés.

Car c'est une impropriété, mais voulue, que ce«cor [qui] s'afflige»; et que penser de la construction du vers suivant : « une douleur on veut croire orpheline »?Est-ce elle ou le son du cor qui «vient mourir au bas»? Non seulement le vocabulaire est imprécis et la syntaxeindécise, mais les sensations s'interpénétrent, car dès la 1re strophe les éléments formels — donc visuels — dupaysage apparaissent aussi; et l'on passe constamment de l'une à l'autre sensation.

Nous voyons d'une part le fondde décor : des « bois » et une « colline » assez uniformément blancs — bien que nulle part cette couleur ne soitprononcée —, parce que la «neige tombe [sans cesse] à longs traits de charpie».

Là encore mélange volontairedans les moyens utilisés, car si l'ensemble de la présentation est flou, ce passage fait au contraire penser à undessin à la pointe sèche, aux «longs traits» nets et fins.

Au milieu de cette couleur uniforme qui «monotonise» lavision, une seule tache différente, mais est-elle si vive? Le couchant est qualifié de «sanguinolent», or le suffixe —s'il ajoute une impression pénible — diminue quand même la notion attachée au mot «sang», choisi pour transposer ànos yeux la couleur du «soleil qui décline».

Voici donc les sensations visuelles qui se sont superposées au «son ducor», — mais au fur et à mesure des strophes les autres sensations se mêlent à nouveau à ces visions; lessensations auditives surtout s'entrecroisent avec l'esquisse du paysage : «courts abois» qui «errent» (verbe demouvement appliqué à un son), en même temps que «pleure» «l'âme du loup» et que sa «voix» «monte» en une«plainte assoupie».

Même équivoque volontaire encore dans la composition de l'ensemble.

Ce sonnet — tout à faitrégulier, marotique, i.e.

de forme stricte, de versification arrêtée et aux rimes riches — rappelle que Verlaine futd'abord parnassien : et pourtant quoi de plus « symboliste » que cette pièce de vers? — bien que Verlaine se soittoujours défendu d'être le père de cette école.

Ce n'est qu'une mélodie sinuant de vers en vers grâce à undécasyllabe sans césure ni ponctuation, ou presque; une phrase musicale se prolongeant avec langueur de stropheen strophe jusqu'aux «soupirs» des tercets, monotones et dolents.

Car la sensation auditive la plus nette est cellequi touche l'oreille du lecteur par la musicalité continue, envoûtante de mélancolie, la mélodie caressante etdélicate, bien plus semblable à un violon qu'à un cor (nouvelle ambiguïté!) ou à cette pluie de notes, à ces accordséthérés que Debussy sait tirer du piano et particulièrement pour illustrer ce poème dont il composa l'accompagnement. * * * Ainsi toutes les ressources de cette musique poétique peignent le paysage.

Mais déjà le poète romantique allemandNovalis affirmait : « Un paysage est un état d'âme.

» Celui que suggère Verlaine — plus qu'il ne le peint — estinséparable des émotions qui peuplent le cœur du «Pauvre Lélian».

La mélodie insinuante qui pénètre l'âme, c'est saplainte «envolée»; c'est lui, l'être torturé qui se raconte, sans le chercher, en demi-teintes, à demi-voix, se libérantlui-même dans sa création.

Le crépuscule d'hiver est d'abord la notation de son état d'«écœurement», de la douleurdevant sa vie pécheresse, de cette «âme qui se lamente II En cette plainte dormante»...

(Romances sans paroles).Toutes les images contiennent une remarquable puissance suggestive : verbes ou adjectifs peuvent bien mieuxs'adapter à un homme qu'à une colline ou à un instrument de musique.

C'est Verlaine qui «s'afflige» à travers la voixdu cor (et l'impropriété apparente disparaît alors).

C'est lui «qui pleure » en une agonie câline (l'alliance osée estadoucie par la forme — peu orthodoxe grammaticalement : «on veut croire»; et la suppression volontaire du relatifdur provoque une liaison plus souple).

Les contours des expressions s'estompent quand coule le flux des impressionsprofondes, tels les adjectifs «assoupie» et*«monotone», ou les prépositions et périphrases vagues; rimes masculinessourdes pour débuter et achever le sonnet, rimes féminines douces et légères : ine, puis ouatées : ie, oue,s'étouffent lentement comme le sentiment qu'elles traduisent.

Tout un jeu de sonorités, d'allitérations discrètes maissensibles soutiennent de leurs harmonies imitatives la plainte de l'âme meurtrie : nombreuses labiales et liquidesdouces : «vers les bois, au bas, la brise, en courts abois; — l'âme du loup pleure; soleil qui décline, câline»; puisprédominance des chuintantes (ch) et sifflantes (s f) à travers tout le sonnet : «son, s'afflige, brise, assoupie,soupir, paysage, charpie, couchant, orpheline»...

Ce ne sont, semble-t-il, qu'impressions funèbres et dolentes, maiscurieusement il s'y mêle une certaine douceur et jamais Verlaine n'atteint l'angoisse qui tord Baudelaire; car laplainte est «assoupie» par la neige et devient «soupir»; l'anxiété douloureuse du sentiment de la mort pourrait êtresuggérée par l'«agonie» du «soleil qui décline» et la blessure «sanguinolente» du ciel, confirmée par l'emploi de«charpie» qui servait autrefois pour les pansements; mais elle «ravit et navre à la fois» le poète — «navrer» gardeson sens propre de «blesser».

Sentiment romantique que cette jouissance de la mélancolie, mais aussi sentimentprofond, propre au «pauvre Gaspard», second surnom pitoyable qu'il aimait à se donner, car il se jugeait toujours. »

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