Devoir de Philosophie

VILLIERS DE L’ISLE-ADAM : sa vie et son oeuvre

Publié le 12/11/2018

Extrait du document

VILLIERS DE L’ISLE-ADAM
VILLIERS DE L'ISLE-ADAM Jean-Marie Mathias Philippe Auguste, comte de (1838-1889). « Simplement, on le rencontra, ce fut tout ». De Villiers ainsi parla Mallarmé. Les témoignages de ceux qui ont fait cette rencontre s’accordent à saluer l’extraordinaire «personnage» qu’il fut. Ses «merveilleux discours» éblouissaient. Dès ses premières apparitions sur la scène littéraire parisienne, on flaira le génie.
 
Un siècle après, le lecteur — ou le critique — rencontre toujours une personnalité hors du commun et un écrivain du tout premier rang injustement maintenu dans le deuxième. Presque autodidacte (« Il lut considérablement, une fois pour toutes et les ans à venir », dit Mallarmé), Villiers fut disponible à tout ce que son époque offrait de plus fort et de plus talentueux. Il s’intéressa à Hegel, dont la pensée était encore mal connue, admira sans réserve Baudelaire et Poe, pleura de douleur à la mort de Musset et d’enthousiasme en écoutant Wagner, qu’il joua et chanta. Il choisit ses amis parmi les plus
 
grands : Mallarmé, Cros, Verlaine. Bloy, Huysmans. Il n’hésita pas devant les synthèses osées : hégélianisme — athée ou spiritualiste —, christianisme — orthodoxe ou folklorique —, occultisme — systématique ou diffus. Il joua comme personne de subtiles « mises ensemble » : sceptique en même temps que fasciné devant le progrès scientifique, il fit entendre l’hymne passéiste cependant qu’il était à ce point ouvert sur l’avenir que, par bien des côtés, sa production littéraire est en avance sur son temps, et qu’elle toucha puissamment la génération suivante : Gourmont, Maeterlinck, Saint-Pol Roux, Yeats, Claudel...
 
Or — et cela ajoute encore au prestige étrange du personnage —, ce génie incontestable attendit vingt-cinq ans le succès auprès de l’élite intellectuelle et artistique de la nation, et il vécut toute sa vie misérable. Ce dandy qui brillait dans les cafés et les salons fut — Verlaine ne s’y trompa pas — un poète maudit. Cause ou effet? Il fut le plus féroce pourfendeur de la société de ce temps, qui n’en manquait pas. Quoique Mallarmé le déclare « nullement intempestif », il y eut entre l’époque et lui un permanent divorce. A lire les jugements que portèrent ses contemporains sur Villiers et son œuvre, on constate avec surprise que l’œuvre les déçut, qu’elle se situa pour ainsi dire « à côté » de l’homme, et que l’on essaya assez vainement de les réajuster. Seuls les meilleurs comprirent qu’au-delà des échecs successifs, de l’apparente déception des immenses espérances mises en lui, du personnage prestigieux et insaisissable, il y avait — surtout — un grand écrivain, mal reçu parce qu’alors irrecevable, un génie authentiquement original plutôt qu’un original de génie.
 
Le brillant causeur qu’il était incitait à penser que l’œuvre allait être le produit direct, quasiment la transcription de la conversation fulgurante, que l’improvisateur magistral ne pouvait être qu’un maître à penser; mais les doctrines philosophiques ou religieuses dont on trouve mainte trace sous sa plume frappent par leur éclectisme et leurs contradictions. Si Villiers fait « penser », c’est moins en développant des théories neuves ou en épousant des thèses anciennes qu’en les mettant toutes « enjeu » d’une manière singulière, spécifiquement littéraire. Avec lui, la littérature exerce pleinement sa fonction essentielle d’ouverture et de questionnement du sens, grâce à un travail acharné d’écrivain au sens fort, artisanal, du terme.
 
Evaluer et situer aujourd’hui l’importance de Villiers dans notre histoire littéraire, c’est à la fois et solidairement rééprouver la présence vivante du personnage, explorer la diversité de la production et interroger la vaste entreprise d’écriture qui ne cessa de hanter l’homme, de relancer l’œuvre, d’interpeller les « passants ». A ce prix on peut espérer entrevoir ce que l’auteur d’Hérodiade appelait l’« énigme de l’orchestre ».
 
« L'on s'en souviendra, de cette planète! »
 
Mallarmé se demande si Villiers a vécu. Ce qu’on sait, c’est qu’il est né à Saint-Brieuc, dans une famille de la plus ancienne noblesse française, et qu’il est mort dans la plus grande misère matérielle et morale à cinquante et un ans. Son père était un original chimérique et aventureux, qui, en cherchant vainement toute sa vie des trésors enfouis, dilapida le peu de fortune qui restait dans la famille. Jean-Marie Mathias Philippe Auguste passe sa jeunesse chez sa grand-tante maternelle Marie Félix de Kérinou — qui a pratiquement pris en charge la famille —, à Saint-Brieuc, puis à Lannion. Il fait des études assez décousues à Tréguier, à Vannes, à Saint-Brieuc et à Rennes. La tradition veut qu’il ait éprouvé une douloureuse passion d’adolescence, brisée par la mort de l’aimée. Sans doute dès 1856, il fait de nombreux séjours à Paris, où, extraordinaire causeur, il se fait vite des amis — apparemment prêts à encourager ses rêves de gloire — dans les milieux littéraires et artistiques. A la brasserie des Martyrs, à Montmartre, il rencontre Léon Dierx et Jean Marras, ami sûr, ainsi que Catulle Mendès, ami inconstant. Ce sont eux qui l’introduisent auprès de Baudelaire, en 1859. Au poète des Fleurs du mal il voue une admiration enthousiaste. Ses autres maîtres, il les choisit plus haut dans le romantisme : Vigny et Musset. C’est d’ailleurs à l’art des vers qu’il s’emploie d’abord : il publie en 1858 Deux Essais de poésie. En 1859, la famille Villiers-Kérinou s’installe à Paris, et Auguste fait paraître, à compte d’auteur, ses Premières Poésies. C’est alors, semble-t-il, que son cousin Pontavice de Heussey l’« initie » à Hegel. Animé des plus grandes ambitions, Villiers collabore avec Baudelaire à la Causerie. En 1862 il publie — encore à compte d’auteur — le premier volume d’un roman, Isis, dont la
 
suite ne sera jamais écrite. La même année, et à nouveau en 1863, la famille, inquiète de le voir mener une vie quelque peu agitée, l’envoie faire un séjour à Solesmes. Apparemment l’atmosphère de l’abbaye ne déclenche aucune révolution intérieure, mais elle lui fait concevoir la grandeur poétique et symbolique du catholicisme. C’est de 1863 que daterait aussi l’épisode, non confirmé, de sa candidature au trône de Grèce. Peu à peu, en effet, en raison du brillant exceptionnel de sa conversation, de quelques éclats inattendus et d’une grande discrétion sur sa vie personnelle, la biographie de Villiers commence à se confondre avec sa légende. En 1864 il rencontre, chez le grand-père de Catulle Mendès, l’ami de toute sa vie, Stéphane Mallarmé, avec lequel il échangera une abondante correspondance. En 1865, il publie Elën\\ en 1866, Morgane. Malgré tous ses efforts, ces deux drames ne sont pas représentés. En 1866, il collabore au fameux Parnasse contemporain, où il est rapproché de Musset. En 1867, il renonce à épouser Estelle Gautier; il fonde la Revue des lettres et des arts, mais sa conception très peu commerciale du journalisme entraîne une misère matérielle qui sera la plaie de son existence entière; il écrit Claire Lenoir et son premier « conte cruel », « l’Intersigne ». En 1869, au cours d’un voyage en Autriche, il est reçu chez Richard Wagner, en compagnie de Catulle Mendès et de Judith Gautier. Il admirait depuis longtemps l’œuvre du grand musicien, mais cette rencontre l’exalte au dernier point. De 1869 date aussi la première version, sous le titre d’« Azraël », de « l’Annonciateur ».
 
1870 est une année importante pour Villiers. Ami de Victor Noir, il assiste le 12 janvier aux funérailles de ce dernier, que le prince Bonaparte a tué, deux jours auparavant, d’un coup de revolver. A l’occasion de ce scandale, il aurait songé avec ses amis à fomenter un véritable complot contre le régime impérial. Le 6 mai, il fait représenter au Vaudeville un court drame, la Révolte, dont l’échec le blessera profondément. En juin, il revoit Wagner; en août, Mallarmé à Avignon. A la fin de l’année, il défend Paris dans la garde nationale. Il prend parti sans équivoque pour la Commune (le retournement opportuniste qui suivra ne doit pas faire mésestimer la violence des articles qu’il écrit alors dans le Tribun du peuple). En 1871, il écrit encore deux drames, VÉvasion et la Tentation. La mort de la tante Kérinou consacre la ruine de la famille. De 1872 à 1874 paraît la Renaissance littéraire et artistique, qui regroupe tous les grands noms littéraires de l’époque et à laquelle Villiers donne le premier acte d’Axel. En 1873, son projet de mariage avec une riche héritière anglaise échoue; en 1875, il remanie Morgane, qui devient le Prétendant', la même année, il remporte avec le Nouveau Monde le 2e prix à un concours organisé par Théodore Michaëlis et dans le jury duquel se trouve Victor Hugo, à qui Villiers a été présenté l’année précédente. Ce drame, pour lequel il improvise des airs, ne sera représenté qu’en 1883. En 1877, Villiers intente un procès aux héritiers de l’auteur d’un drame intitulé Perrinet Leclerc et aux éditeurs de cet ouvrage parce qu’un de ses ancêtres y est, selon lui, mal traité. Il est débouté. De 1876 à 1879, il met en chantier, à partir du Nouveau Monde — dont les droits sont bloqués par Michaëlis —, un roman dont le premier chapitre, « le Manoir de Swinmore », est seul écrit; mais en 1880, le Nouveau Monde est publié en librairie. L’Ève nouvelle commence à paraître en feuilleton. En 1881, Villiers est candidat légitimiste aux élections municipales dans le XVIIe arrondissement de Paris; il est battu. De sa liaison avec une pauvre servante, Marie Dantine, naît Victor, dit « Totor ».
 
En 1883, la publication chez Calmann-Lévy des Contes cruels lui apporte — enfin! — la notoriété, avec la possibilité de publier plus facilement; mais cela n’entraîne aucun changement notable dans ses conditions

« qui n'en manquait pas.

Quoique Mallarmé le déclare «nullement intempestif», il y eut entre l'époque et lui un permanent divorce.

A lire les jugements que portèrent ses contemporains sur Villiers et son œuvre, on constate avec surprise que l'œuvre les déçut, qu'elle se situa pour ainsi dire> de l'homme, et que l'on essaya assez vainement de les réajuster.

Seuls les meilleurs compri­ rent qu'au-delà des échecs successifs, de l'apparente déception des immenses espérances mises en lui, du per­ sonnage prestigieux et insaisissable, il y avait -surtout - un grand écrivain, mal reçu parce qu'alors irreceva­ ble, un génie authentiquement original plutôt qu'un ori­ ginal de génie.

Le brillant causeur qu'il était incitait à penser que 1' œuvre allait être le produit direct, quasiment la transcription de la conversation fulgurante, que l'impro­ visateur magistral ne pouvait être qu'un maître à penser; mais les doctrines philosophiques ou religieuses dont on trouve mainte trace sous sa plume frappent par leur éclectisme et leurs contradictions.

Si Villiers fait «pen­ ser>>, c'est moins en développant des théories neuves ou en épousant des thèses anciennes qu'en les mettant toutes « en jeu »d'une manière singulière, spécifiquement litté­ raire.

Avec lui, la littérature exerce pleinement sa fonc­ tion essentielle d'ouverture et de questionnement du sens, grâce à un travail acharné d'écrivain au sens fort, artisanal, du terme.

É valuer et situer aujourd'hui l'importance de Villiers dans notre histoire littéraire, c'est à la fois et solidaire­ ment rééprouver la présence vivante du personnage, explorer la diversité de la production et interroger la vaste entreprise d'écriture qui ne cessa de hanter 1 'homme, de relancer l'œuvre, d'interpeller les « pas­ sants >>.

A ce prix on peut espérer entrevoir ce que l'au­ teur d'Hérodiade appelait J'>,. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles