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Voltaire, Traité sur la Tolérance - Chapitre XXIII : « Prière à Dieu »

Publié le 01/04/2011

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   Conçu initialement pour réparer l’erreur judiciaire à l’origine de l’affaire Calas, cet ouvrage acquiert progressivement une portée universelle, devenant un plaidoyer en faveur de la tolérance.  Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.  Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant.

Si Zadig, et surtout Candide s'inspirent en grande partie de l'actualité, c'est encore l'actualité (affaire Calas qui est le point de départ du Traité sur la Tolérance publié en 1763.    L'ouvrage comprend 25 chapitres et le passage à commenter est extrait du chapitre 23. Après avoir rappelé comment Calas a été victime du fanatisme, Voltaire fait le procès de l'intolérance à travers l'histoire et aboutit à cette conclusion que la tolérance universelle est une nécessité du cœur et de la raison. Cette « Prière à Dieu « permet de mettre en lumière quelques-unes des idées philosophiques qui lui sont chères : Voltaire y exprime non seulement sa croyance en Dieu et sa haine de l'intolérance et du fanatisme, mais encore son idéal social et politique. Le texte a aussi l'avantage de montrer un nouvel aspect de sa polémique puisque, sans renoncer à l'ironie et aux sarcasmes, il atteint ici, par l'élévation de sa pensée et la sincérité de son accent, à une éloquence vigoureuse, assez rare dans son œuvre.

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« temps).

Cet Être suprême a créé non seulement les hommes, mais aussi l'univers (toi qui as tout donné) et sesdécrets sont immuables parce que souverains.

Il est infiniment bon et infiniment supérieur à ses créatures.

La vieest un bien ou un fardeau (dernière phrase), mais la terre où nous vivons ne doit être à ses yeux qu'un petit tas deboue, et toutes les inégalités de condition doivent s'effacer devant sa grandeur. Mais ce Déisme présente surtout un aspect négatif.

En déclarant qu'il croit en un Dieu de tous les mondes et detous les êtres, Voltaire se refuse à admettre non seulement que la terre est le centre de l'univers, mais encore etsurtout que l'homme faible créature perdue dans l'immensité a été créé par Dieu pour être formé à son image.

C'étaitrejeter toutes les conceptions anthropomorphiques de la Divinité.

En ajoutant que son Dieu est de tous les temps,Voltaire repousse surtout l'idée que les religions d'aujourd'hui sont supérieures à celles d'autrefois et que par suiteles sages de l'antiquité doivent être damnés parce qu'ils étaient païens.

Ainsi le déisme de Voltaire s'affirme surtouten s'opposant.

Il est essentiellement fondé sur une critique des dogmes des religions révélées.

Mais, ce faisant, ilapparaît beaucoup moins comme un élan irrésistible et irraisonné du cœur que comme une construction de l'esprit.

Ilest beaucoup plus logique et critique que mystique et sentimental.

Nous sommes loin de la Profession de Foi duVicaire Savoyard. II.

— La haine de l'Intolérance et du Fanatisme Dans son Commentaire sur les Pensées de Pascal, publié en 1734, en même temps que les Lettres Philosophiques(Lettre 25), Voltaire avait reproché à l'auteur des Pensées de dire éloquemment des injures au genre humain.

Ils'était efforcé de démontrer que les hommes ne sont ni aussi méchants ni aussi malheureux que Pascal le dit.

C'étaitl'époque du Mondain.

Dans cette prière à Dieu, au contraire, Voltaire évoque, comme dans Candide, tous lesmalheurs de l'humanité.

Après Montaigne dans Les Essais, il rappelle notre faiblesse (nos débiles corps, nos usagesridicules, nos lois imparfaites, nos opinions insensées, c'est-à-dire nos erreurs de jugement).

Il énumère les fléauxdont nous sommes les victimes, l'horreur de la tyrannie, les cruautés de la guerre, la violence des brigandages.C'était répéter ce qu'il avait déjà dit, sous une forme plaisante, dans Micromégas.

C'était proclamer, pour que lecontraste soit plus saisissant, en face de la puissance et de la grandeur de Dieu, la petitesse et la misère del'homme. Pourtant, loin de sombrer avec les Jansénistes dans un pessimisme qui ne connaîtrait d'apaisement que dans lerenoncement et la prière, Voltaire trouve aussi et surtout dans le spectacle de nos misères la raison même quijustifie la tolérance.

A ses yeux, seule la tolérancpermettra aux hommes d'adoucir leurs maux, elle les rapprocherales uns des autres, elles les invitera à l'humilité; elle apaisera les haines ridicules et stériles, elle empêchera que noserreurs deviennent des calamités.

Puissent tous les hommes, dit-il, se souvenir qu'ils sont frères! Après nous avoirexhortés dans Candide à considérer le travail comme une consolation et un remède à nos misères, il dégage ici denos misères mêmes la nécessité de mieux nous comprendre et de mieux nous aimer.

Comme chez Montesquieu(Esprit des Lois, livre XXV, chap.

23), comme chez Rousseau (Contrat Social, livre IV, chap.

8), comme chez tousles philosophes du siècle, l'esprit de tolérance ne se fonde pas sur la pitié, il n'est même pas la conséquence de laliberté.

Il est pour ainsi dire une nécessité de la raison. Cette conception a l'avantage de mieux mettre en relief l'absurdité des querelles religieuses qui, au lieu derapprocher les hommes, les jettent au contraire les uns contre les autres et déchaînent les haines de l'intolérance etles persécutions du fanatisme.

Au lieu de reconnaître que, sous des formes et des pratiques différentes, ellesadorent toutes le même Dieu, au lieu d'aider leurs fidèles à soulager mutuellement leurs misères communes, lesreligions aggravent encore leurs malheurs en se déchirant entre elles pour les motifs les plus futiles.

Affectant deridiculiser, en les minimisant, les questions dogmatiques ou liturgiques (couleur des robes — emploi des cierges —utilisation ou non du latin), Voltaire n'a toujours vu dans les guerres de religion que des folies criminelles qui neseraient que des stupidités, si elles n'avaient pas entraîné les plus sanglantes conséquences.

C'est cette idée qu'ilexprime ici quand il demande à Dieu de mettre un terme à toutes ces querelles pour le plus grand bien de l'humanité. Sans ces remarques, ce texte perdrait beaucoup de son mouvement et de son éloquence, car Voltaire a trouvé,pour exprimer sa haine du fanatisme, des accents passionnés que son déisme un peu froid ne lui aurait certainementpas inspirés.

Mais ce que cette «Prière» gagne en chaleur, elle le perd aussi en sérénité.

Voltaire est tropirrévérencieux et trop moqueur (emploi du mot péjoratif jargon ; allusion ironique à ceux qui allument des cierges enplein midi) pour être impartial.

Ce n'est pas le meilleur moyen de prêcher la tolérance que de condamner ainsil'intolérance sur le ton de la polémique. III.

— Idéal social et politique Tout en laissant la première place aux questions religieuses qui ont été la préoccupation constante de son esprit, cetexte permet aussi de connaître sur un certain nombre de points les idées sociales et politiques de Voltaire. a) D'abord Voltaire est un conservateur.

Il reconnaît que toutes les différences entre nos conditions sontdisproportionnées, mais il semble s'y résigner ; en tout cas, il ne souhaite pas qu'elles soient une raison suffisantepour tout bouleverser.

On sait que Voltaire n'est pas un démocrate.

Tout en affirmant que les hommes sont égauxnaturellement, il a toujours proclamé que l'égalité sociale est une chimère. b) D'autre part, il estime que l'or et les grandeurs ne sont pas de véritables Biens.

Il invite les puissants et les richesà ne pas les envier.

Déjà, dans Candide, il avait évoqué ce que peut être un pays idéal où les fragments arrondis. »

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