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Vous étudierez la valeur dramatique de ce dialogue et vous direz ce qu'il nous apprend sur le caractère et les sentiments des personnages.

Publié le 11/09/2014

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TEXTE

  Mademoiselle, monsieur votre père ne voudrait ni partager, ni vendre ses biens, ni payer des droits énormes pour l'argent comptant qu'il peut posséder. Donc, pour cela, il faudrait se dis­penser de faire l'inventaire de toute la fortune qui aujourd'hui se trouve indivise entre vous et monsieur votre père...

  Cruchot, êtes-vous bien sûr de cela, pour en parler ainsi devant un enfant ?

  Laissez-moi dire, Grandet.

  Oui, oui, mon ami. Ni vous ni ma fille ne voulez me dépouiller. N'est-ce pas, fifille ?

  Mais, monsieur Cruchot, que faut-il que je fasse ? demanda Eugénie impatientée.

  Eh ! bien, dit le notaire, il faudrait signer cet acte par lequel vous renonceriez à la succession de madame votre mère, et laisseriez

à    votre père l'usufruit de tous les biens indivis entre vous, et dont il vous assure la nue propriété...

  Je ne comprends rien à tout ce que vous me dites, répondit Eugénie, donnez-moi l'acte, et montrez-moi la place où je dois signer.

Le père Grandet regardait alternativement l'acte et sa fille, sa fille et l'acte, en éprouvant de si violentes émotions qu'il s'essuya quelques gouttes de sueur venues sur son front.

  Fifille, dit-il, au lieu de signer cet acte qui coûtera gros à faire enregistrer, si tu voulais renoncer purement et simplement

à    la succession de ta pauvre chère mère défunte, et t'en rapporter

à   moi pour l'avenir, j'aimerais mieux ça. Je te ferais alors tous les mois une bonne grosse rente de cent francs. Vois, tu pourrais payer autant de messes que tu voudrais à ceux pour lesquels tu en fais dire... Hein ! cent francs par mois, en livres ?

  Je ferai tout ce qu'il vous plaira, mon père.

  Mademoiselle, dit le notaire, il est de mon devoir de vous faire observer que vous vous dépouillez...

  Eh ! mon Dieu, dit-elle, qu'est-ce que cela me fait ?

  Tais-toi, Cruchot. C'est dit, c'est dit, s'écria Grandet en prenant la main de sa fille et y frappant avec la sienne. Eugénie, tu ne te dédiras point, tu es une honnête fille, hein !

  Oh ! mon père !...

Il l'embrassa avec effusion, la serra dans ses bras à l'étouffer.

  Va, mon enfant, tu donnes la vie à ton père ; mais tu lui rends ce qu'il t'a donné : nous sommes quittes. Voilà comment doivent se faire les affaires. La vie est une affaire. Je te bénis !

Tu est une vertueuse fille, qui aime bien son papa. Fais ce que tu voudras maintenant. A demain donc, Cruchot, dit-il en regardant le notaire épouvanté. Vous verrez à bien préparer l'acte de renonciation au greffe du Tribunal.

 

BALZAC, Eugénie Grandet.

suggérant l'usage qu'elle pourrait faire de cet argent pour le salut de l'âme de la chère disparue. Il est hypocrite jusque dans la forme qu'il donne à ses propos, affecte un ton de bonhomie (« Fifille «) et présente en une longue phrase insinuante, au conditionnel, le point capital de sa proposition. Il se garde bien d'avoir recours à une injonction brutale et pressante. Enfin, quand tout a été réglé comme il l'entendait, Grandet laisse éclater sa joie et sa reconnaissance. Cet homme, d'ordinaire si mesuré dans ses mots, est devenu intarissable. Il emploie des formules emphatiques (« Va, mon enfant, tu donnes la vie à ton père «), s'attache curieusement à montrer qu'en l'occurrence il ne s'agit pas d'un marché de dupes mais d'un prêté pour un rendu : « Nous sommes quittes «.

 

Il mêle enfin à ses protestations affectueuses une profession de foi : « La vie est une affaire«. Le décousu de ces propos hétéroclites montre qu'il ne se possède plus. Ainsi l'amour de l'argent, qui avait orienté toute sa vie, est devenu, avec l'âge, plus tyrannique et plus desséchant. Il va s'accuser plus maladi­vement encore dans les dernières années de sa vie. Cette passion de l'avarice sous laquelle Grandet a écrasé les autres, se retour­nera contre lui-même et l'écrasera à son tour.

« BALZAC 65 Tu est une vertueuse fille, qui aime bien son papa.

Fais ce que tu voudras maintenant.

A demain donc, Cruchot, dit-il en regardant le notaire épouvanté.

Vous verrez à bien préparer l'acte de renonciation au greffe du Tribunal.

BALZAC, Eugénie Grandet.

Vous étudierez la valeur dramatique de ce dialogue et vous direz ce qu'il nous apprend sur le caractère et les sentiments des personnages.

COMMENTAIRE PROPOSÉ INTRODUCTION Après la mort de sa femme, le père Grandet craint de voir sa fille réclamer la part d'héritage qui lui revient légitimement.

Aussi s'applique-t-il à régler ce problème au plus vite et au mieux de ses intérêts.

La scène a d'abord une valeur drama­ tique.

Dans la discussion qui s'engage, on voit progressivement s'esquisser et se préciser les intentions de l'avare qui ne ménage rien pour arriver à ses fins.

Le détail des répliques est aussi très riche de sens.

Bien que Balzac ne l'accompagne d'aucune analyse, le lecteur n'a pas de peine à dégager à travers les propos la psychologie des ·personnages.

1.

UN DIALOGUE DRAMATIQUE Le dialogue occupe dans la scène une place prépondérante.

Quelques lignes seulement nous peignent, à un moment essentiel de la discussion, l'attitude de Grandet.

Tout le reste du texte se borne à enregistrer les répliques qui s'échangent.

Et il suffit d'en suivre le déroulement pour apprécier l'adresse cauteleuse que déploie Grandet pour aboutir à énoncer, puis à faire adopter son projet.

C'est dans la savante et adroite exécution de ce plan que réside l'intérêt dramatique du passage.

Dans la première partie le notaire prend le plus longuement la parole.

En homme de loi qui connaît son affaire, il développe successivement les mesures à éviter et celles qu'il convient de prendre pour laisser l'héritage dans l'indivision.

Suivant le vœu de Grandet il s'attache à obtenir d'Eugénie qu'elle laisse à son père l'usufruit de sa part d'héritage.

Cette disposition qui priverait la jeune fille, dans l'immédiat, de ce qui lui est dû, aurait au moins l'avantage. »

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