Devoir de Philosophie

voyager, observer, critiquer

Publié le 19/01/2020

Extrait du document

> QUESTION [4 points]

Après avoir justifié le rapprochement de ces trois textes, vous en préciserez les différences. Par quel moyen essentiel la critique est-elle rendue possible dans ces textes ? Votre réponse n’excédera pas une vingtaine de lignes.

> TRAVAIL D'ÉCRITURE [16 points]

I - Commentaire

Vous commenterez le texte de Montesquieu (texte 2).

II - Dissertation

Quel est l’intérêt de recourir à un regard extérieur pour argumenter ? Vous organiserez votre réponse en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos connaissances et lectures personnelles.

III - Écrit d'invention

Imaginez la réponse de l’homme au réquisitoire du juge dans le texte de Cyrano de Bergerac, sous la forme d’un plaidoyer en faveur de l’humanité.

> CORPUS

1. C. DE BERGERAC, Les États et Empires du Soleil, 1662.

2. MONTESQUIEU, Lettres persanes, 1721.

3. F. BROWN, En sentinelle, 1958.

Texte 2 : Montesquieu, Lettres persanes, 1721

Lettre XXX

Rica au même1, à Smyrne

Les habitants de Paris sont d’une curiosité qui va jusqu’à l’extravagance. Lorsque j’arrivai, je fus regardé comme si j’avais été envoyé du ciel : vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres ; si j’étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi ; les femmes mêmes faisaient un arc-en-ciel nuancé de mille couleurs, qui m’entourait ; si j’étais aux spectacles, je trouvais d’abord cent lorgnettes dressées contre ma figure : enfin jamais homme n’a tant été vu que moi. Je souriais quelquefois d’entendre des gens qui n’étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient entre eux : « Il faut avouer qu’il a l’air bien persan. » Chose admirable ! Je trouvais de mes portraits partout ; je me voyais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m’avoir pas assez vu.

Tant d’honneurs ne laissent2 pas d’être à charge3 : je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare ; et quoique j’aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d’une grande ville où je n’étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l’habit persan et à en endosser un à l’européenne, pour voir s’il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d’admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement : libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J’eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m’avait fait perdre en un instant l’attention et l’estime publique : car j’entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu’on m’eût regardé, et qu’on m’eût mis en occasion d’ouvrir la bouche. Mais, si quelqu’un, par hasard, apprenait à la compagnie que j’étais persan, j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement : « Ah ! ah ! Monsieur est persan ? c’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être persan ? »

De Paris, le 6 de la lune de Chalval 1712

1. À son ami Usbek.

2. Ne laissent pas : n’empêchent pas.

3. Être à charge : causer une gêne.

Commentaire
Les Lettres persanes sont un roman par lettres écrit par Montesquieu, philosophe des Lumières. Les lettres fictives qui composent cet ouvrage sont signées de deux Persans, qui voyagent en Europe et décrivent les coutumes des pays qu'ils traversent à leurs amis. Montesquieu se sert de ce procédé pour critiquer la société et les mœurs de son temps. Chacune des lettres est donc un apologue dans la mesure où elle constitue un récit à visée argumentative ou morale. La création de personnages fictifs a plusieurs avantages : elle autorise une critique acerbe (ici c'est la curiosité des Parisiens dont on se moque), elle introduit, dans la critique, une vivacité et un humour susceptibles de charmer le lecteur (notez ici la succession de tableaux en formes de caricatures, la présence du discours direct qui dynamise le récit, le mélange entre la description des Parisiens et les réflexions personnelles de Rica) ; elle permet aussi de contourner la censure. Vous pouvez remarquer que cette lettre présente un paradoxe : Rica est si curieux des réactions des Parisiens qu'il va jusqu'à tenter des expériences (il se fait faire un habit à l’européenne), et pourtant il critique la curiosité de ceux qu'il est lui-même en train d'observer !

« Sujets non corrigés / CONVAINCRE, PERSUADER, DÉLIBÉRER avoir deux libres ; se casse les deux jambes par la moitié, en sorte qu'il tombe sur ses gigots; puis avec des paroles magiques qu'il bourdonne, j'ai pris garde que ses jambes rompues se rattachent, et qu'il se relève après aussi 20 gai qu'auparavant.

Or, vous savez, messieurs, que de tous les animaux, il n'y a que l'homme seul dont l'âme soit assez noire pour s'adonner à la magie, et par conséquent celui-ci est homme.

Il faut maintenant examiner si, pour être homme, il mérite la mort.

«Je pense, messieurs, qu'on n'a jamais révoqué en doute que toutes les 25 créatures sont produites par notre commune mère, pour vivre en société.

Or, si je prouve que l'homme semble n'être né que pour la rompre, ne prouverai-je pas qu'en allant contre la fin de sa création, il mérite que la nature se repente de son ouvrage ? .

«La première et la plus fondamentale loi pour la manutention 2 d'une 30 république, c'est l'égalité ; mais l'homme ne la saurait endurer éternelle­ ment : il se rue sur nous pour nous manger ; il se fait accroire que nous n'avons été faits que pour lui ; il prend, pour argument de sa supériorité prétendue, la barbarie avec laquelle il nous massacre, et le peu de résistance qu'il trouve à forcer notre faiblesse, et ne veut pas cependant avouer à ses 35 maîtres, les aigles, les condors, et les griffons, par qui les plus robustes d'entre eux sont surmontés.

« Mais pourquoi cette grandeur et disposition de membres marquerait­ elle diversité d'espèce, puisque entre eux-mêmes il se rencontre des nains et des géants ? 4o « Encore est-ce un droit imaginaire que cet empire dont ils se flattent; ils sont au contraire si enclins à la servitude, que de peur de manquer à servir, ils se vendent les uns aux autres leur liberté.

C'est ainsi que les jeunes sont esclaves des vieux, les pauvres des riches, les paysans des gentils­ hommes, les princes des monarques, et les monarques mêmes des lois qu'ils 45 ont établies.

Mais avec tout cela ces pauvres serfs ont si peur de manquer de maîtres, que comme s'ils appréhendaient que la liberté ne leur vînt de quelque endroit non attendu, ils se forgent des dieux de toutes parts, dans l'eau, dans l'air, dans le feu, sous la terre.

1.

Contention : effort, application.

2.

Manutention : maintien.

Il Texte 2 : MONTESQUIEU, Lettres persanes, 1721 Lettre XXX Rica au même1, à Smyrne Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à 1' extravagance .

.

Lorsque j'arrivai, je fus regardé comme si j'avais été envoyé du ciel: 136. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles