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Article de presse: RFA, un non-conformisme hétéroclite

Publié le 22/02/2012

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6 mars 1983 - A la veille des élections législatives, Claire Trean analyse le phénomène " vert " en Allemagne Fédérale. " La fête! " disent les affiches. La " chenille verte ", un autobus de 10 mètres de long, bat la campagne, donnant ici et là, grâce à la participation bénévole de groupes de rock allemands et étrangers, des " concerts électoraux ". A Bonn aussi, on se prépare pour la fête du 6 mars. " Les télévisions ont déjà prévu leur installation, nous attendons plus de cinq cents personnes, je ne vois vraiment pas où nous les mettrons. " Le siège du parti des Verts, en effet, n'est pas grand : une villa de deux étages dans le centre de la ville, où quelques militants, qui commencent à présenter des signes d'épuisement, donnent l'ultime coup de collier pour la dernière ligne droite avant l'arrivée. Leur score, ils le connaissent: " autour de 5 % ". Un peu moins et ils feront la fête quand même, fût-ce avec moins d'entrain. Un peu plus et ils vont, à vingt-cinq, secouer le sérieux professionnalisme de cinq cents autres parlementaires et porter la contestation au coeur même des institutions. Comme un aimant Dans une petite ville de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Werner Vogel, soixante-seize ans, retraité, travaille à son discours. Il est tête de liste du parti dans le Land. Si les Verts passent, il sera le doyen du nouveau Bundestag et devra, aux termes de la Constitution, prononcer le discours d'ouverture. Ainsi, des élections dont on a de toutes parts souligné la portée " historique " risquent de déboucher sur cette cérémonie qui serait, pour beaucoup, marquée d'un signe de dérision et dont la perspective a de quoi faire frémir le bourgeois conformiste. Tout est allé très vite et les Verts semblent encore pris au dépourvu par la rapidité de leur succès. Huit permanents en tout et pour tout payés par le parti, même avec les nombreuses bonnes volontés bénévoles qui prêtent la main à la campagne, c'est peu. L'argent en revanche n'est pas un problème: on emprunte sur les subventions que verse l'Etat allemand pour chaque élection: 3,5 marks par voix. L'irrésistible ascension a commencé il y a quelques années quand les écologistes, en ordre dispersé, ont fait leur entrée dans les conseils municipaux. Ils n'étaient encore qu'une constellation hétéroclite de comités d'action, et de Bürgerinitiativen, ces groupes qui ont fleuri dans toute la République fédérale pour " redonner l'initiative aux citoyens ". A la fin des années 70, certains de ces comités coordonnent leur action sur l'ensemble du territoire fédéral. C'est le cas, en particulier, de la puissante Fédération pour la protection de l'environnement (BBU), qui canalise un énorme courant de contestation contre les centrales nucléaires: on se souvient de la résistance de la " République libre de Gorleben " contre la police chargée de libérer le site nucléaire de ses occupants " sauvages ", ou de l'énorme rassemblement sur la lande gelée de Brokdorf. Des dizaines de trains, de cars, sont affrétés pour ces manifestations aux quatre coins de la RFA et de Berlin-Ouest. Les revendications de clocher sont dépassées. Le réseau écologiste couvre tout le pays et le mouvement prend conscience de lui-même. Il attire comme un aimant une multitude d'autres groupes dont les objectifs au départ étaient de nature différente: des groupes politiques, d'extrême gauche surtout, des féministes, des antimilitaristes, des " alternatifs " aussi, c'est-à-dire ceux qui participent à une " société parallèle " qui s'est dotée de ses logements communautaires, de ses écoles, de ses commerces, de ses banques même. Il attire, en bref, tout ce que la vie associative a produit en RFA ces dix dernières années, dans la société établie ou sur ses marges. C'est en janvier 1980 à Karlsruhe que certains acteurs du mouvement décident de lui donner un prolongement politique en fondant un parti. Les écologistes conservateurs font alors sécession et créent leur propre organisation, le Parti écologiste démocratique, qui ne rencontre guère de succès. En octobre 1980, le parti vert se présente pour la première fois aux élections fédérales. Il vient tout juste de naître, manque de moyens et de candidats, il n'a pas su encore définir une ligne acceptable par ses diverses composantes et recueille un piètre score de 1,5 % des voix. Mais la machine est en marche: les Verts sont déjà représentés aux parlements de Brême et du Bade-Wurtemberg; ils entrent à celui de Berlin-Ouest en mai 1981, faisant perdre à Hans-Jochen Vogel la mairie de la ville. Mais, surtout, un autre mouvement surgit en République fédérale, dans lequel les Verts immédiatement s'engagent et qui va leur apporter du sang neuf. C'est le Mouvement pour la paix, qui enrôle d'autres secteurs de la société ouest-allemande, en particulier l'Eglise évangélique. Avec cent mille manifestants, Brokdorf avait été le plus grand rassemblement de l'histoire de la RFA. Ils sont trois cent mille à Bonn, en octobre 1981, à manifester " pour la paix ". Les arbitres Toute l'aile gauche des partis au pouvoir (sociaux-démocrates et libéraux) s'émeut, se laisse séduire, ou bien pense en tout cas qu'elle ne peut plus rester indifférente à un tel courant d'opinion. Le mouvement est devenu une force politique. En juin 1982, à Hambourg, les Verts chassent le Parti libéral du parlement régional, laissant entre les mains du seul SPD un gouvernement minoritaire dont la survie est à leur discrétion. Le changement de coalition à Bonn est dès lors programmé. Mais, alors que s'ouvre déjà la campagne électorale pour les élections générales du 6 mars, les Verts ont désormais à se battre sur deux fronts : celui de la peur, voire de la haine, que suscite dans l'opinion conservatrice la perspective de leur entrée au Bundestag; et celui, plus crucial pour eux, de la concurrence sans merci que décident de leur livrer les sociaux-démocrates sur leur propre terrain. Ils ont en outre à concilier deux impératifs contradictoires : représentants d'un mouvement social, ils doivent se poser en défenseurs radicaux des revendications de ce mouvement, sous peine de déchoir. Parti politique, ils doivent apparaître comme crédibles et disposés à jouer le jeu parlementaire. C'est la quadrature du cercle que le parti, à la veille des élections, n'a pas encore découverte. Certes, ils disposent dans leur combat électoral (ne visant, on l'oublie trop souvent, que 5 % des voix) de puissants atouts. La population ouest-allemande offre en effet aux thèmes dont ils ont fait leurs chevaux de bataille une sensibilité sans égale en Europe. Près des deux tiers des Allemands, les sondages l'ont montré, sont hostiles au déploiement prochain de nouveaux missiles de l'OTAN. La moitié environ se méfient du nucléaire civil. Tous ont à coeur la protection de l'environnement, notamment de la forêt ravagée par les " pluies acides ". Les Verts sont les seuls à opposer un non clair et définitif aux nouvelles armes atomiques, à prôner l'arrêt du programme nucléaire en matière d'énergie, à lutter efficacement-et ils ont déjà certains succès locaux à leur actif-pour que soit respecté le milieu naturel. Ils sont les seuls aussi à n'avoir pas été éclaboussés ces dernières années par les scandales qui ont fait les gros titres d'une certaine presse politique. Les Verts apparaissent aussi comme le parti de la sincérité, celui de la convivialité, en regard de formations au langage stéréotypé qui se sont trop livrées, ces derniers temps, aux jeux exquis du pouvoir et de l'électoralisme. Ils sont fils de paysans chez les agriculteurs menacés par la construction du canal Rhin-Main-Danube ou d'une centrale nucléaire. Ils sont, dans les familles protestantes, des enfants qui pour une fois ne prêchent pas la révolution et qui donnent à penser. Sans parler de la caution morale que leur ont apportée des personnalités comme Heinrich Böll ou, dans un autre domaine, Wolfgang Biermann, chanteur et transfuge de RDA. Avec une soixantaine de candidats, les Verts s'apprêtent à mener trois combats. En Bavière, où se présentent trois vedettes du mouvement, Petra Kelly, le général Bastian et Dieter Burgmann, tous trois originaires de la région, c'est le combat frontal, " l'élite des Verts contre l'élite de la guerre froide que représente à lui tout seul Strauss ". En Rhénanie-du-Nord-Wesphalie, ils affrontent un SPD très solidement implanté, très orthodoxe et proche des syndicats. C'est la région-test, qui, avec un tiers de la population allemande et le plus fort taux de chômage, sera la plus difficile à convaincre. Ailleurs, ce sera la course de vitesse avec un SPD qui s'est mis depuis quelques semaines à " parler vert " CLAIRE TREAN Le Monde du 27-28 février 1983

« trois cent mille à Bonn, en octobre 1981, à manifester " pour la paix ". Les arbitres Toute l'aile gauche des partis au pouvoir (sociaux-démocrates et libéraux) s'émeut, se laisse séduire, ou bien pense en tout casqu'elle ne peut plus rester indifférente à un tel courant d'opinion. Le mouvement est devenu une force politique. En juin 1982, à Hambourg, les Verts chassent le Parti libéral du parlement régional, laissant entre les mains du seul SPD ungouvernement minoritaire dont la survie est à leur discrétion.

Le changement de coalition à Bonn est dès lors programmé. Mais, alors que s'ouvre déjà la campagne électorale pour les élections générales du 6 mars, les Verts ont désormais à se battresur deux fronts : celui de la peur, voire de la haine, que suscite dans l'opinion conservatrice la perspective de leur entrée auBundestag; et celui, plus crucial pour eux, de la concurrence sans merci que décident de leur livrer les sociaux-démocrates surleur propre terrain. Ils ont en outre à concilier deux impératifs contradictoires : représentants d'un mouvement social, ils doivent se poser endéfenseurs radicaux des revendications de ce mouvement, sous peine de déchoir.

Parti politique, ils doivent apparaître commecrédibles et disposés à jouer le jeu parlementaire.

C'est la quadrature du cercle que le parti, à la veille des élections, n'a pasencore découverte. Certes, ils disposent dans leur combat électoral (ne visant, on l'oublie trop souvent, que 5 % des voix) de puissants atouts.

Lapopulation ouest-allemande offre en effet aux thèmes dont ils ont fait leurs chevaux de bataille une sensibilité sans égale enEurope.

Près des deux tiers des Allemands, les sondages l'ont montré, sont hostiles au déploiement prochain de nouveauxmissiles de l'OTAN.

La moitié environ se méfient du nucléaire civil.

Tous ont à coeur la protection de l'environnement, notammentde la forêt ravagée par les " pluies acides ".

Les Verts sont les seuls à opposer un non clair et définitif aux nouvelles armesatomiques, à prôner l'arrêt du programme nucléaire en matière d'énergie, à lutter efficacement-et ils ont déjà certains succèslocaux à leur actif-pour que soit respecté le milieu naturel. Ils sont les seuls aussi à n'avoir pas été éclaboussés ces dernières années par les scandales qui ont fait les gros titres d'unecertaine presse politique. Les Verts apparaissent aussi comme le parti de la sincérité, celui de la convivialité, en regard de formations au langagestéréotypé qui se sont trop livrées, ces derniers temps, aux jeux exquis du pouvoir et de l'électoralisme.

Ils sont fils de paysanschez les agriculteurs menacés par la construction du canal Rhin-Main-Danube ou d'une centrale nucléaire.

Ils sont, dans lesfamilles protestantes, des enfants qui pour une fois ne prêchent pas la révolution et qui donnent à penser.

Sans parler de la cautionmorale que leur ont apportée des personnalités comme Heinrich Böll ou, dans un autre domaine, Wolfgang Biermann, chanteur ettransfuge de RDA. Avec une soixantaine de candidats, les Verts s'apprêtent à mener trois combats.

En Bavière, où se présentent trois vedettes dumouvement, Petra Kelly, le général Bastian et Dieter Burgmann, tous trois originaires de la région, c'est le combat frontal, " l'élitedes Verts contre l'élite de la guerre froide que représente à lui tout seul Strauss ". En Rhénanie-du-Nord-Wesphalie, ils affrontent un SPD très solidement implanté, très orthodoxe et proche des syndicats.

C'estla région-test, qui, avec un tiers de la population allemande et le plus fort taux de chômage, sera la plus difficile à convaincre.Ailleurs, ce sera la course de vitesse avec un SPD qui s'est mis depuis quelques semaines à " parler vert " CLAIRE TREAN Le Monde du 27-28 février 1983. »

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