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À l'artiste, tout est-il permis ?

Publié le 30/01/2004

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On peut donc, en gardant à l'esprit les réserves ci-dessus, tenter quelques rapprochements et distinctions : on pourrait dire de l'art qu'il est le plus souvent une technique ou un savoir-faire. Il peut de ce fait être rapproché de l'artisanat. La pièce produite par un artisan peut elle-même acquérir le statut d'oeuvre d'art, bien qu'elle soit prioritairement destinée à être utilisée. L'art n'est cependant pas toujours une technique : en témoigne certaines oeuvres contemporaines qui ne réclament aucune maîtrise (l'urinoir de Duchamp est un produit industriel !). L'expression « monde de l'art » souligne aussi le fait que l'art est largement institutionnalisé aujourd'hui : il est lié à des processus commerciaux (échanges entre musées, expositions, performances, etc.), ce qui interdit de parler d'une absolue gratuité de l'art. L'art n'a pas toujours pour but de viser le beau, comme en témoignent des oeuvres comme les Papes franchement morbides de Francis Bacon : art et beauté ne se confondent donc pas. L'oeuvre d'art n'est pas nécessairement perceptuelle : une performance, un geste, peut être artistique. L'art contemporain manifeste largement cette tendance à la dématérialisation de l'art, au glissement du perceptuel vers le conceptuel. Demander si tout est permis à l'artiste, c'est poser la question des règles : y a-t-il des règles de l'art ou bien l'artiste peut-il faire n'importe quoi ?

Avant de chercher à proposer une réflexion sur cette question, nous devons d’abord prendre garde à sa considérable extension. En effet, si nous nous demandons si « à l’artiste tout est permis ? « ce « tout « englobe une extrême pluralité de questions : parlons-nous de permissions uniquement dans le domaine artistique ? Ou bien dans le domaine de l’action dans le monde, ce qui nous inviterait à questionner la singularité du personnage social qu’est l’artiste, à nous demander s’il détient des permissions d’actions et de pensées inconnues aux autres hommes ? Nous prendrons le parti de limiter notre réflexion à ce qui fait la spécificité de l’être sur lequel nous avons à réfléchir, c'est-à-dire, nous nous bornerons à explorer les permissions qu’il détient dans la pratique de son art.

Le concept de permission désigne une autorisation donnée par une autorité, officielle ou morale, d’agir d’une certaine manière et de poursuivre certains buts. A première vue, notre concept contemporain d’artiste semble entièrement étranger à cette dimension d’autorisation, dans la mesure où l’artiste incarne généralement à nos yeux le détenteur d’une liberté radicale qui ne reconnaît pour seule autorité que la sienne. Néanmoins, cette conception n’est-elle pas historiquement datée, et des règles de l’art n’ont-elles pas été édictées pour légiférer sur le permis et l’interdit en art ? Nous nous demanderons donc si la liberté de l’artiste est irréductible à toute permission et toute interdiction, ou si, en dépit de cet affranchissement prétendu relativement à l’autorité officielle et morale, il ne demeure pas des règles définissant un domaine limité de permissions artistiques ?

« un produit industriel.

Le caractère reproductible de la photographie nie le caractère unique d'une oeuvre. Toutes les règles qui distinguaient l'art classique de ce qu'il n'était pas sont abolies par l'art contemporain.

Il seraitde plus déraisonnable de prétendre que celui-ci n'est alors pas de l'art.

Cela en effet reviendrait à juger l'artcontemporain à partir des règles de l'art classique.

Mais pourquoi alors ne pas faire l'inverse ? Il semble que le choixsoit totalement arbitraire et ne puisse pas être fondé objectivement.

De plus, l'art contemporain, malgré lesréticences possibles du grand public, demeure artistique du point de vue du « monde de l'art » : il est bien exposédans les musées, étudié comme art, etc. A ce point de notre réflexion, rien ne permet de distinguer ce qui est de l'art de ce qui n'en est pas.

Aussi doit-onau moins temporairement admettre que tout est permis à l'artiste.

Pourtant, tout n'est pas de fait de l'art : nosustensiles de cuisines, la plupart des objets de notre quotidien, ne sont pas des oeuvres d'art. II – Comment ce qui n'est pas de l'art en devient ? D'après ce que nous avons dit, tout peut légitimement devenir de l'art.

Mais pourquoi le porte-bouteilles de Duchampest-il artistique alors qu'un quelconque porte-bouteilles ne l'est pas ? Nelson Goodman, bien conscient de seproblème, propose de remplacer la question « qu'est ce que l'art ? » par « quand y a-t-il art ? ». Nous pouvons émettre deux remarques à partir de notre exemple : premièrement, il semble y avoir art parce que leporte-bouteilles se situe dans un musée ; deuxièmement, parce qu'il est attaché au nom de l'artiste MarcelDuchamp.

Notre seconde remarque ne peut pas être retenue : en effet, elle ne fait que déplacer le problème del'oeuvre vers l'artiste.

On pourrait alors très bien demander pourquoi Duchamp est un artiste plutôt qu'un charlatan.La première remarque n'est pas non plus pertinente : si je rentre dans un musée et que je remplace une oeuvre parmon porte-bouteilles, celui-ci ne devient pas comme par magie une oeuvre d'art, même si je suis un artiste. Une autre hypothèse peut être formulée à partir des acquis de notre première partie : nous avons dit de l'artcontemporain qu'il s'opposait aux règles communément admises.

En cela précisément, une oeuvre d'art ne peut pasêtre n'importe quoi : en s'opposant aux règles de l'art, l'art contemporain signe son inscription dans l'histoire de l'art.On ne peut dire du porte bouteilles qu'il est artistique parce qu'il constitue une prise de position par rapport àl'histoire de l'art.

Pour le dire autrement, s'opposer à quelque chose suppose de le connaître, de l'avoir préalablementanalysé.

Cela pourrait expliquer pourquoi les artistes dont on critique la plupart du temps les oeuvres (« mon filspourrait dessiner comme Picasso ! ») produisent le plus souvent des oeuvres tout à fait classiques au début de leurcarrière.

Par conséquent, tout n'est pas permis à l'artiste : il ne doit justement pas s'exclure de l'histoire de l'art. Transition : On pourrait encore rétorquer que Duchamp pour l'art contemporain ou Picasso pour l'art moderne étaient desartistes aux débuts de leurs carrières et ne l'étaient plus ensuite.

Il nous faut donc encore tenter de comprendrecomment cette entrée dans l'histoire de l'art s'opère. III – Qu'est-ce que se positionner par rapport à l'histoire de l'art ? Référence : Kant, Critique de la faculté de juger « Le génie est le talent (don naturel), qui donne les règles à l'art.

Puisque letalent, comme faculté productive innée de l'artiste, appartient lui-même à lanature, on pourrait s'exprimer ainsi : le génie est la disposition innée del'esprit par laquelle la nature donne les règles à l'art.

Quoi qu'il en soit decette définition, qu'elle soit simplement arbitraire, ou qu'elle soit ou nonconforme au concept que l'on a coutume de lier au mot de génie, on peuttoutefois déjà prouver que suivant la signification en laquelle ce mot est prisici, les beaux-arts doivent nécessairement être considérés comme des arts dugénie. Tout art en effet suppose des règles sur le fondement desquelles un produitest tout d'abord représenté comme possible, si on doit l'appeler un produitartistique.

Le concept des beaux-arts ne permet pas que le jugement sur labeauté de son produit soit dérivé d'une règle quelconque, qui possède commeprincipe de détermination un concept, et par conséquent il ne permet pas quel'on pose au fondement un concept de la manière dont le produit est possible.Aussi bien les beaux-arts ne peuvent pas eux-mêmes concevoir la règled'après laquelle ils doivent réaliser leur produit.

Or puisque sans une règle quile précède un produit ne peut jamais être dit un produit de l'art, il faut que lanature donne la règle à l'art dans le sujet (et cela par la concorde des facultés de celui-ci); en d'autres termes les beaux-arts ne sont possibles que comme produits du génie.

» Selon Kant, le génie est celui qui arrive à imposer ses règles à l'art.

Si nous reprenons l'exemple de Duchamp, nouspouvons alors dire qu'il a imposé le fait qu'une oeuvre ne doit pas absolument être une production originale.

Lanouvelle règle, c'est l'absence de règle ! Le caractère artistique de l'oeuvre ne provient par conséquent pas de. »

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