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Bergson: imagination et connaissance

Publié le 10/05/2005

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bergson
« ... Laissons de côté l'imagination qui n'est qu'un mot et considérons une faculté bien définie de l'esprit, celle de créer des personnages dont nous nous racontons à nous-mêmes l'histoire. Elle prend une singulière intensité de vie chez les romanciers et les dramaturges... Ils nous font toucher du doigt l'existence... d'une faculté spéciale d'hallucination volontaire... La même faculté entre en jeu chez ceux qui sans créer eux-mêmes des êtres fictifs s'intéressent à des fictions comme ils le feraient à des réalités. Quoi de plus étonnant que de voir des spectateurs pleurer au théâtre ?... Comment les psychologues n'ont-ils pas été frappés de ce qu'une telle faculté a de mystérieux? On répondra que toutes nos facultés sont mystérieuses en ce sens que nous ne connaissons le mécanisme intérieur d'aucune d'elles. Sans doute, mais s'il ne peut être question ici d'une reconstruction mécanique, nous sommes en droit de demander une explication psychologique. Et l'explication est en psychologie ce qu'elle est en biologie ; on a rendu compte de l'existence d'une fonction quand on a montré comment et pourquoi elle est nécessaire à la vie... Nous passons sans peine du roman d'aujourd'hui à des contes plus ou moins anciens, aux légendes, à la mythologie. Ici nous touchons à... une exigence fondamentale de la vie ; cette exigence a fait surgir la faculté de fabulation ; la fonction fabulatrice se déduit... des conditions d'existence de l'espèce humaine. Posez l'espèce humaine, c'est-à-dire le saut brusque par lequel la vie qui évoluait est parvenue à l'homme individuel et social ; du même coup vous vous donnez l'intelligence fabricatrice et par suite un effort qui se poursuivra, en vertu de son élan, au-delà de la simple fabrication pour laquelle il était fait, créant ainsi un danger. Si l'espèce humaine existe, c'est que le même acte par lequel était posé l'homme avec l'intelligence fabricatrice, avec l'effort continué de l'intelligence, avec le danger créé par la continuation de l'effort, suscitait la fonction fabulatrice. » (Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, chap. II.)
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« « ...

une faculté spéciale d'hallucination volontaire.

Quoi de plus étonnant que de voir des spectateurs pleurer authéâtre? Comment les psychologues n'ont-ils pas été frappés de ce qu'une telle faculté a de mystérieux? » Le dondu philosophe est le don d'étonnement.

Le philosophe est celui qui transforme les évidences en problèmes, quiremarque ce dont l'habitude masque, pour tous les autres, le mystère.

Or ce qui est étonnant et mystérieux c'est lecaractère de quasi-conviction qui s'attache aux fonctions de l'imagination.

Le romancier vit avec ses personnages,Flaubert écrivant la mort de Mme Bovary croyait ressentir lui-même les symptômes d'un empoisonnement à l'arsenic!Toute imagination implique un certain degré de croyance.

Au niveau des représentations religieuses les plusprimitives l'imaginaire est cru avec la plus entière conviction.

« Il faut remarquer que la fiction, quand elle a del'efficace, est comme une hallucination naissante : elle peut contrecarrer le jugement et le raisonnement qui sont lesfacultés proprement intellectuelles.

» « Il ne peut être question ici d'une reconstruction mécanique, nous sommes en droit de demander une explicationpsychologique...

On a rendu compte de l'existence d'une fonction quand on a montré comment et pourquoi elle estnécessaire à la vie.

» Ce passage est essentiel car il définit clairement la méthode adoptée par Bergson pour étudierl'imagination créatrice.

Cette méthode est déjà indiquée dans l'expression même dont se sert Bergson pour désignerla faculté de créer des fictions.

C'est la fonction fabulatrice.

Bergson oppose explicitement (et par là il se rapprochedes méthodes contemporaines phénoménologiques et psychanalytiques) l'explication mécanique à l'explicationpsychologique.

Le fait psychologique est ici abordé sous l'angle de la signification, et non plus sous l'angle descauses.

On ne se demande pas quel est le mécanisme causal qui produit les images mais on cherche quelle est lafonction de cette production d'images, quelle est la fonction des fables et des mythes, quelle est leur finalitépsychologique.

Politzer qui détestait Bergson, son contemporain, ne parlait pas autrement que lui quand il disait quele fait psychique n'est pas le résultat d'une causalité mécanique, mais qu'il est un drame, c'est-à-dire une histoirequi a un sens!La finalité psychologique de la fonction fabulatrice est au fond pour Bergson une finalité biologique.

La productiondes fictions est un moyen de défense de l'individu vivant, une ruse de l'élan vital. « Posez l'espèce humaine, c'est-à-dire le saut brusque par lequel la vie qui évoluait est parvenue à l'hommeindividuel et social ; du même coup, vous vous donnez l'intelligence fabricatrice.

» Selon Bergson l'élan vital s'estdonné, si l'on peut ainsi parler, pour résoudre le problème de l'adaptation, « deux solutions également élégantes maisdivergentes ».

L'une qui triomphe chez les insectes hyménoptères est l'instinct : L'organisation biologique seprolonge en des organes qui sont des outils et l'insecte est immédiatement adapté aux nécessités de sa vie.

L'autresolution qui mûrit à travers l'évolution des vertébrés supérieurs éclate chez l'homme avec sa fécondité inépuisable etles risques qui lui sont propres.

C'est l'intelligence.

Ici, l'élan vital ne fournit plus immédiatement à l'organisme unoutil à utiliser mais agit « médiatement dans un organisme qui au lieu de posséder naturellement l'instrument requisle fabriquera lui-même ».

Bergson définit donc l'intelligence comme une aptitude à fabriquer des outils (l'homosapiens est d'abord homo faber) alors que l'instinct c'est l'usage inné des outils naturels que sont les organes (etpar là Bergson inaugure toutes les études contemporaines de l'intelligence pratique).On comprend bien la supériorité de l'intelligence sur l'instinct.

Alors que l'instinct suit des voies toutes faites,préformées dans les organes qu'il prolonge, l'intelligence fabricatrice d'outils prend du recul sur la matière qu'elleorganise et doit sans cesse choisir ses procédés.

L'intelligence apparaît alors comme conscience, car « consciencesignifie choix », tandis que l'instinct est aveugle.

D'où l'aptitude de l'intelligence au progrès.

Tandis que l'insectehérite d'une adaptation de « confection », prévue pour un univers restreint, l'intelligence de l'homme lui taille uneadaptation souple, à la mesure de toutes les circonstances possibles....

et par suite un effort qui se poursuivra, en vertu de son élan au-delà de la simple fabrication pour laquelle il étaitfait, créant ainsi un danger.

» L'intelligence tout en nous offrant la possibilité d'une adaptation supérieure nousdésadapte.

Le survol conscient de nos conditions d'existence, qu'elle nous permet, apporte avec lui un facteurd'inquiétude et même de « dissolution ».

Plantes et animaux « ont beau être livrés à tous les hasards ; ils ne s'enreposent pas moins sur l'instant qui passe comme ils le feraient sur l'éternité ».

L'homme, tout au contraire, « nepeut pas exercer sa faculté de penser sans se représenter un avenir incertain qui éveille sa crainte et sonespérance ».

L'homme est le seul animal qui sache qu'il doit mourir.

Il sait que cet échec définitif suivra tôt ou tardtous les autres échecs qu'il peut redouter.

Par ailleurs « il ne peut pas réfléchir à ce que la nature lui demande entant qu'elle a fait de lui un être sociable sans se dire qu'il trouverait souvent son avantage à négliger les autres, àne se soucier que de lui-même ».

L'intelligence en introduisant la peur de la mort et les calculs dissolvants del'égoïsme tend donc à pervertir chez l'homme l'ordre normal, naturel.

« Et pourtant c'est la nature qui a voulul'intelligence...

Il est impossible qu'elle n'ait pas pris ses précautions pour que l'ordre à peine dérangé parl'intelligence tende à se rétablir automatiquement.

» L'imagination mythologique qui fait surgir des dieux protecteurs,des images d'immortalité, qui invente les sanctions de l'au-delà contre les méchants, joue donc un rôle decompensation biologique.

La fonction fabulatrice apparaît alors clairement comme « une réaction défensive de lanature contre ce qu'il pourrait y avoir de déprimant pour l'individu et de dissolvant pour la société dans l'exercice del'intelligence ».

« Perturbation et fabulation se compensent et s'annulent.

» Dans son exercice le plus primitif etbiologiquement le plus fondamental l'imagination est faite « pour fabriquer des dieux ». c) Conclusion Bergson préfigure ici les analyses de toute une école de spécialistes de la mythologie.

L'école culturalisteaméricaine, notamment avec Kardiner, tout en s'inspirant de la psychanalyse, retrouve en fait avec son point de. »

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