Mais la béatitude se distingue surtout du bonheur par son rapport
au temps ou, comme dirait
Spinoza,
à l'éternité (cf. livre V de l'Ethique). Toute chose, y montre Spinoza,
peut être conçue de deux manières, selon qu'on la considère dans le temps ou
dans l'éternité. C'est le cas aussi du bonheur. En tant qu'il est conçu dans le
temps, le bonheur est changement, et l'on nous dit « heureux ou malheureux
suivant que nous changeons en mieux ou en pire » (Éthique, V, 39,
scolie). Cela suppose naturellement une comparaison entre deux moments
successifs et, par là, l'espérance et la crainte. Être heureux, dans le temps,
c'est toujours espérer l'être ou craindre de ne l'être plus, et c'est pourquoi
le bonheur n'est jamais parfait (on espère toujours l'augmenter, on craint
toujours de le perdre...) ; c'est pourquoi, même, il n'est jamais là : le temps
qui le contient nous en sépare, l'imagination qui le vise nous en prive. Tout
bonheur, en ce sens, est imaginaire (c'est l'imagination de la joie possible),
et réel seulement en tant qu'imaginaire. La béatitude, au contraire, serait un
bonheur vrai, c'est-à-dire éternel (la vérité l'est toujours) et se déployant
non dans l'imagination du passé ou de l'avenir, mais dans la nécessité du
présent.
Le bonheur suprême, celui que recherche le sage, peut être caractériser par ce qu’on appelle la béatitude. Elle se caractérise par une satisfaction constante et à laquelle rien ne manque. Elle serait l’état idéal du sage selon Aristote, les stoïciens, mais encore Spinoza. Le terme de béatitude évoque aussi l’idée d’une joie spirituelle, active, conquise par la pensée adéquate qui en est la condition, ou par l’effort qui en rend digne ; d’autre part, il s’applique à la vie supérieur ou à la vie futur, et implique l’intervention de Dieu ou l’entrée en possession du divin. La béatitude est donc moins la satisfaction de nos inclinations présentes que celle de l’être transcendant ou nouménal qui est en nous.