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L'homme est-il condamné à désirer ?

Publié le 27/05/2009

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Être condamné, c'est avant tout être un prisonnier destiné à un avenir certain, un avenir sombre ou non désirable. Être condamné c'est donc ne pas avoir le choix, et courir aussi certainement que Œdipe à sa fin. Il y a un élément tragique dans la condamnation en ce sens qu'un avenir s'organise indépendamment de notre volonté, pis, contre ce que nous pouvons vouloir. Aussi, on peut se demander si l'homme vit précisément son désir comme une tragédie, comme quelque chose vers quoi il court: au risque d'un rhétorique qui emprunterait son inspiration à la logique, on peut se demander s'il est possible de ne pas désirer désirer précisément. En effet, et si après tout mes désirs me menaient tout droit vers ce que, enfin de compte, je désire le moins? En somme, y a-t-il une contradiction au sein même du désir, une contradiction qui me pousse à chaque instant à vouloir malgré moi, contre moi? Si l'on pense le désir comme un manque, certains manques singeraient donc une importance démesurée, me mettraient davantage en souffrance, au point d'être l'élément moteur qui me pousse à ma perte. Qu'on pense au fumeur qui manque de cigarette, bien qu'il ne souhaite pas au fond de lui un autre manque futur: le manque de vie. Qu'on pense au lycéen qui manque de compagnie ce soir, alors qu'il ne souhaite pas manquer son baccalauréat non plus. Il nous arrive de succomber à ce que nous envisageons dans le présent comme un bien, pourtant nous compromettons alors nos chances pour un plus grand bien à long terme. Mais cela ne nous mobilise pas assez: la mort n'incite pas le fumeur à arrêter, l'échec probable à un examen n'encourage pas pour autant le lycéen à travailler davantage. Nous désirons contre nous donc, nous désirons contre ce que nous désirons le plus au fond de nous, nous vivons cette tragédie chaque jour, au point que cet élan qui pousse à chaque moment, nous pousse tout à la fois bien souvent vers notre propre perte. En d'autre terme, l'existence humaine se fait-elle sur cette modalité tragique? 

« II. Mais peut-être pouvons-nous penser le désir autrement, tout simplement en sortant de l'idée qui assimile le désir àun manque.

Par cette perspective, le désir serait précisément ce qui nos permettrait d'échapper à une tragédiesinon jouée d'avance.

Tout d'abord, il s'agit d'opérer une distinction nette entre désir et besoin.

Commençons par lesecond.

Le besoin est un déséquilibre physiologique, en somme une simple réaction chimico-organique qui s'organiseau sein du vivant.

Du point de vue de notre besoin, nous répondant à un impératif naturel, l'impératif de notreespèce.

Il existe ainsi dans notre patrimoine génomique des séquences codant certains de nos comportementsspécifiques: ainsi, nous n'avons pas des besoins d'éléphant, ou de mouche, mais bien d'humain.

Quels sont sesbesoins? La faim, la soif, le sommeil, ou même encore l'instinct de reproduction.

Dans ce cas précis, c'est l'espècequi parle à travers nous, une espèce qui nous dicte des comportements nécessaires.

En effet, on ne peut pas nepas éprouver et satisfaire surtout ces besoins.

Une fois satisfaits, le déséquilibre physiologique est rétablit, le besoincomblé.

Du point de vue du besoin, nous sommes à vrai dire tous similaires, tous identique.

Il n'y a même pasvéritablement d'individu, puisque je m'assimile au reste des vivants: j'ai des besoins qui sont les mêmes que tous lesautres.

Mais voilà, l'humain n'en reste jamais là puisqu'il a également des désirs. De quoi s'agit-il? Prenons un exemple simple: admettons que j'aille dans un restaurant gastronomique dont on m'aparlé avec éloge.

J'y vais de toute évidence poussé par un besoin: j'ai faim.

Mais à un certain moment du repas, jen'ai plus réellement faim: on peut dire que le déséquilibre physiologique est ré-équilibré.

Pourtant, je continue àmanger, par gourmandise...

Quelque chose en moi dépasse le simple besoin, quelque chose qui perdure malgré monéquilibre physiologique.

Il semble que l'homme ne se réduise pas au simple naturel, à de simples réactions chimiques:il y a plus.

Ce plus est précisément le désir, soit la manière dont l'esprit va investir mes besoins et leur donner unecoloration proprement humaine.

Ainsi, je vais finir par manger non pas pour combler une faim, mais par gourmandiseau sein de la gastronomie.

Je vais boire non pas pour étancher ma soif, mais par plaisir de goûter un bon vin.

Mêmel'instinct de reproduction va perdre sa fin ultime qui est l'accouplement en vue d'une descendance à traversl'érotisme.

En somme, le désir, s'il s'étaye sur la base du besoin, le dépasse, le transcende.

Il permet d'échapper ausimple cycle du naturel où tous les êtres vivants existent sur un mode indifférencié.

En effet, si je ne me singularisepas sur le plan des besoins, il n'en est pas de même sur le plan des désirs puisqu'il s'agit pour moi s'y affirmer deuxchoses simultanément.

Tout d'abord, et c'est évident, il s'agit de mon humanité.

Je suis plus qu'une faim, une soif,un sommeil, une reproduction.

Cette tendance à sublimer le naturel est à l'origine de la plupart des qualitésproprement humaines (ce qui crée l'espace dit culturel).

Mais, je vais aussi m'affirmer moi à travers mes désirs, detel sorte que mes désirs vont me faire apparaître comme individu à part entière: dans le désir je vais enfin êtrequelqu'un.

Il existe en moi tout un monde de potentialité, un monde qui devra précisément être actualisé par cettepuissance propre que possède le désir, cet élan et ce dépassement.

Le désir n'est alors plus manque mais bienexcès.

Il n'est plus manque précisément parce qu'il ne vise plus un objet précis comme le ferait un besoin (la faimveut de la nourriture, la soif de l'eau...): il ne vise plus rien si ce n'est lui-même. En somme, le désir se nourrit de sa propre faim, il se satisfait de son propre élan, de sa propre puissance qui procurela joie.

Or, que suis-je d'autre, si ce n'est précisément cette puissance, cette persévérance dans mon être(conatus )? Le désir me révèle alors bien plus qu'il ne m'asservit, il permet l'expression de mon être et surtout une joie évidente dans l'expression de mon être.

Puis-je être autrement plus heureux que lorsque je suis affairé à monactivité favorite? Cette puissance réalise alors l'humanité qui est en moi, mais aussi, moi-même.

Dans mon désir, jepuis enfin être pleinement moi.

Bien évidemment, c'est un terrain à gagner puisque il faut encore, comme l'expliqueSpinoza, que je sois la cause adéquate de mon désir, c'est-à-dire que ce désir soit pleinement le mien.

Ainsi, l'alcoolique qui crie « liberté ! » n'est pas la cause adéquate de son action, c'est la bouteille qui parle à sa place, c'est son addiction pour l'alcool qui crie « liberté ! ».

Je dois donc m'assurer être pleinement au commande de mon désir, en être la cause adéquate.

De même, le fumeur n'est pas la cause adéquate de son désir, puisque c'est sadépendance à la nicotine qui parle à travers lui et guide son désir.

Être au commande de son désir est donc unetâche qui passe par la compréhension de soi, l'analyse de soi, le retour sur soi.

Désirer n'est pas tout: on ne désirepas n'importe comment, mais bien pour et par soi.

En cela, il ne s'agit plus d'une condamnation à désirer, mais bienune libération, une expression, une délivrance même. Désir, entre manque et perte? III. Faut-il pour autant jeter notre première vision du désir comme manque sachant que nous éprouvons tout de mêmeune sorte de pertinence également présente dans cette première définition.

Alors peut-être faut-il joindre les deux,non pas dans un syncrétisme heureux, mais dans une intégration aussi pertinente.

Peut-être s'agit-il d'allier mort(première définition) et érotisme (deuxième définition), vide et excès, en un seul plan.

C'est précisément la tâche àlaquelle se livre Bataille dans son Histoire de l'érotisme .

Commençons par cette phrase: « Si nous ne voulons pas nous gâter l'objet de notre désir, laisser se perdre son attrait, nous devons nous courber devant le pouvoir plusgrand, qui interdit l'approche de l'objet » (HDE, VIII).

Comment comprendre cette idée? Bataille remarque que bien souvent, lorsque mon désir vainc une résistance, il en ressort renforcé.

Prenons l'exemple du fou rire: plus le rire estdéplacé, interdit, et plus il devient irrésistible.

En somme, le poids de l'interdit en augmente la force.

Il semble yavoir une sorte de risque qui attire dans le désir, une répulsion même qui peut nous combler.

En effet, il ne faut pasvoir l'interdit seulement comme quelque chose de codifier socialement.

Prenons un autre exemple: la fascination quepeut revêtir une charogne malgré l'horreur du spectacle.

Ou encore, la tendance qu'éprouve celui qui a le vertige àregarder malgré lui le vide.

Il y a dans ces trois désirs cités une sorte d'attirance pour sa propre perte: en effet, ledésir se développe d'autant plus que l'on peut s'y perdre comme l'on se perd dans un fou-rire, comme on est horrifiépar cette charogne, ou encore ce vide qui pourrait nous aspirer.. »

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