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LETTRES A BLYENBERG - SPINOZA

Publié le 06/02/2011

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spinoza

a) Extrait de Lettre XXI Je m'aperçois, en effet, qu'aucune démonstration, fût-ce la plus solide suivant les règles, n'a de force à vos yeux, si elle ne s'accorde avec l'enseignement que vous, ou des théologiens connus de vous, attribuez à l'Écriture sacrée. Or, si vous admettez que Dieu s'exprime dans l'Écriture en des termes plus clairs et plus probants qu'en la lumière naturelle de l'entendement — qu'il nous a donnée également, et qu'il conserve en son intégrité par sa sagesse divine — vous avez, pour soumettre votre entendement aux croyances de l'Écriture sacrée, des raisons valables ; à votre place, j'agirais exactement de même. Mais, je l'avouerai sans détour, je ne comprends pas l'Écriture, bien que j'aie consacré un certain nombre d'années à l'étudier ; et je sais que je ne puis, quand je dispose d'une démonstration solide arriver jamais à des pensées qui la remettent en doute. Je me repose sur ce que l'entendement me fait percevoir, sans craindre qu'il puisse me tromper ni que l'Écriture puisse lui opposer une contradiction ; car la vérité ne peut contredire la vérité, ainsi que je l'ai clairement montré dans mon Appendice (je ne puis vous indiquer le chapitre exact, n'ayant pas le livre en cet endroit où je suis (en visite) ; et l'exercice de mon pouvoir naturel de comprendre que je n'ai jamais trouvé une seule fois en défaut, a fait de moi un homme heureux. J'en jouis, en effet, et m'applique à traverser la vie, non dans la tristesse et les lamentations, mais dans la tranquillité joyeuse et la gaieté, ainsi qu'il convient à qui réalise en comprenant quelque progrès intérieur. Je ne cesse de me persuader toujours davantage que tous les événements reflètent la puissance de l'Être souverain parfait et son vouloir immuable ; c'est à cette conviction, que je dois ma satisfaction la plus haute et la tranquillité de mon esprit.

b) Lettre XXIII Je pose en principe, tout d'abord, que Dieu est cause absolument et réellement de tout ce, sans exception, à quoi une essence peut être reconnue. Donc si vous pouviez démontrer que le mal, l'erreur, les crimes, etc... expriment une essence, je vous accorderais sans réserve que Dieu est cause des crimes, du mal, de l'erreur, etc... Mais je crois avoir assez montré que ce qui donne au mal, à l'erreur, au crime leur forme propre ne consiste nullement en quoi que ce soit exprimant une essence ; on ne peut pas dire, par conséquent, que Dieu en soit cause. Le meurtre de sa mère dont Néron s'est rendu coupable n'est pas un crime sous l'aspect positif de l'acte accompli ; Oreste a pu agir extérieurement de même et tuer sa mère de propos délibéré, sans mériter une condamnation aussi grave. En quoi consistait donc le crime de Néron ? Uniquement en ce que, dans ce meurtre, Néron s'est montré ingrat, impitoyable et rebelle. Aucune de ces qualifications n'exprime le moins du monde une essence et, par suite, Dieu n'en est pas cause, bien qu'il soit cause de l'acte et de l'intention de Néron. Je voudrais souligner encore que nous ne devons pas, quand nous parlons en philosophes, user de termes théologiques : en effet, la théologie représente Dieu fréquemment et sans ambiguïté comme un homme parfait ; il y a donc lieu en théologie, de dire que Dieu éprouve des désirs, que les œuvres des méchants l'affligent et que celles des justes lui donnent de la joie ; mais en philosophie, sitôt que nous avons aperçu qu'il est inadmissible de conférer à Dieu les qualités pouvant rendre un homme parfait, — tout comme il est inadmissible d'attribuer à l'homme les caractères propres à un éléphant ou un âne — ces manières de dire et toutes autres analogues ne conviennent plus. Nous ne saurions les employer, sans tomber dans la plus grande confusion. Parlant en philosophes, nous ne dirons jamais que Dieu attend quelque chose de quelqu'un, ni qu'il est affligé ou éprouve de la joie au sujet de quelqu'un, car toutes ces caractérisations humaines ne peuvent se trouver en Dieu. Je voudrais, en dernier lieu, faire la remarque suivante : quoique les œuvres des justes (c'est-à-dire des humains qui ont de Dieu une idée claire et règlent sur elle toutes leurs actions et toutes leurs pensées), les œuvres des méchants (c'est-à-dire des humains qui n'ont aucune idée de Dieu, mais des idées seulement de choses terrestres, sur lesquelles ils règlent tous leurs actes et toutes leurs pensées), et les œuvres, enfin, de tous les êtres existants découlent nécessairement des lois éternelles et des vouloirs de Dieu — quoique toutes ces œuvres, dis-je, ne dépendent également que de Lui, elles diffèrent néanmoins les unes des autres, non seule ment en degré, mais par leur essence. Une souris, aussi bien qu'un ange, la tristesse, aussi bien que la joie, dépendent de Dieu. Pourtant, une souris ne peut être une espèce d'ange, non plus que la tristesse une espèce de joie. Je pense ainsi avoir répondu à vos objections. (SPINOZA, Œuvres - Pléiade, Gallimard)

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