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Passions et volonté

Publié le 18/02/2004

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Aux moments de relâche, quand l'obsession se fait moins rigoureuse, le passionné peut bien avoir un certain sentiment de l'état par lequel il vient de passer ; mais, à moins d'être habitué à l'introspection et à l'analyse intérieure, il ne se reconnaîtra pas esclave de la passion : de ses folies d'hier la mémoire ne lui conservera qu'un souvenir estompé et son imagination lui représentera un lendemain de possession paisible ; il se croira sur le point de parvenir à l'équilibre.Ce n'est guère qu'à la lumière des jugements portés sur lui par ceux qui l'observent que le passionné arrive à reconnaître son état. Parfois, en effet, il est acculé à un aveu de ce genre : « Je vois bien que je commets une sottise, et cependant on ne m'empêchera pas de la commettre : c'est plus fort que moi ». Mais cet aveu n'est guère la conclusion d'un monologue solitaire. Il est l'aboutissant de longues discussions avec quelqu'un qui essaie de ramener à la saine raison celui que la passion égare.B. Chez les autres. - On peut, en effet, discuter la question de savoir s'il est plus facile de connaître les autres que soi-même ; mais, dans le cas présent, la réponse semble bien indiscutable : il est plus facile aux autres qu'à nous-mêmes de savoir si nous sommes passionnés ou non.Sans doute, pour une action particulière et isolée la distinction est difficile : comment savoir, de l'extérieur, la nature du ressort qui la commande ? Le chef qui veut vaincre une résistance, l'orateur qui veut soulever l'enthousiasme de son auditoire adoptent d'instinct des comportements de passionné, tout comme le passionné affecte ceux de l'homme raisonnable.

La tradition philosophique oppose radicalement passion et volonté ; Descartes, notamment, nomme passion tout ce qui, dans la vie mentale, est subi, tout ce qui ne dépend pas de ma décision volontaire, « toute pensée qui est excitée dans l'âme sans le secours de la volonté par les seules impressions qui sont dans le cerveau «. Sans doute la définition actuelle de la passion est-elle plus limitative ; on entend aujourd'hui par passion un sentiment qui s'est développé aux dépens de tous les autres, comme l'amour, l'avarice ou l'ambition et qui polarise le psychisme ; mais ici encore, le moi n'apparaît-il pas entièrement passif, victime d'une fatalité étrangère qui s'est installée en lui, déroutant sa raison, détruisant son équilibre ?  C'est Vénus tout entière à sa proie attachée... Devons-nous, à notre tour, consacrer cette opposition ou conviendrait-il d'y introduire quelque nuance ?

« PASSION ET VOLONTÉ La tradition philosophique oppose radicalement passion et volonté ; Descartes, notamment, nomme passion tout ce qui, dans la vie mentale, est subi, toutce qui ne dépend pas de ma décision volontaire, « toute pensée qui est excitée dans l'âme sans le secours de la volonté par les seules impressions qui sontdans le cerveau ».

Sans doute la définition actuelle de la passion est-elle plus limitative ; on entend aujourd'hui par passion un sentiment qui s'estdéveloppé aux dépens de tous les autres, comme l'amour, l'avarice ou l'ambition et qui polarise le psychisme ; mais ici encore, le moi n'apparaît-il pasentièrement passif, victime d'une fatalité étrangère qui s'est installée en lui, déroutant sa raison, détruisant son équilibre ?C'est Vénus tout entière à sa proie attachée...

Devons-nous, à notre tour, consacrer cette opposition ou conviendrait-il d'y introduire quelque nuance ? Au vrai, la passion et la volonté semblent bien tout d'abord s'exclure comme s'excluent l'esclavage et la liberté.

L'homme passionné est un esclave.Descartes pensait que toute passion exprime l'esclavage que notre corps fait subir à notre âme.

Et c'est un fait que les passions se greffent sur lestendances, sur les besoins, ont une base biologique : l'amour est lié à la sexualité, l'avarice à un besoin de sécurité, à des privations anciennes.Mais l'esclavage passionnel n'est pas seulement d'ordre organique et la psychanalyse en donne aujourd'hui une explication plus profonde.

Si la passionapparaît à celui-là même qui la subit comme une force étrangère qui se déploie « en lui, sans lui et malgré lui », si nous sommes impuissants à nousreconnaître en nos passions, c'est précisément parce que la source des passions est inconsciente, liée à notre lointaine enfance dont les péripétiesoubliées ont noué en nous, à notre insu, les complexes dont nous souffrons.

L'amour se rattache aux « fixations » infantiles, l'ambition effrénée est liée àd'anciennes humiliations, à des frustrations inconscientes qu'elle cherche désespérément à compenser.L'acte volontaire, en tant qu'il exprime la maîtrise de soi et se saisit comme réfléchi et lucide, s'oppose trait pour trait à la passion.

L'homme volontaire,parvenu à ce que Gœthe nommait la « seigneurie de soi-même », domine son propre corps.

C'est là, selon Maine de Biran, le caractère typique de la volontéqui se révèle dans l'effort musculaire le plus banal ; je ne suis pas seulement ce corps crispé et douloureux, je suis aussi cette volonté supérieure au corps,« hyperorganique », qui poursuit son effort malgré la douleur.

La volonté, c'est proprement le pouvoir de résister à la passion, de dompter le désir.

W.

Jamesdisait que la volonté était sur la ligne de la plus grande résistance.

Elle implique le pouvoir de dire m non » aux impulsions, aux caprices.

C'est une fonctiond'arrêt, d'inhibition, par laquelle je me ressaisis.

Renouvier déclare en ce sens : « Vouloir vraiment, c'est vouloir ce qu'on ne veut pas ».

Tandis que lapassion est l'abandon du moi à des puissances qui le submergent, la volonté exprime la force de retenir le désir, de le maîtriser, bref ce « pouvoir desurmonter, qui, dit Alain, est tout l'homme ».On saisit ici comment l'opposition psychologique traditionnelle de la passion et de la volonté s'approfondit sur le plan éthique ; le moraliste condamnera lapassion, véritable « maladie de l'âme » selon Kant, hypertrophie morbide d'un sentiment devenu exclusif auquel le passionné sacrifie toutes les valeurssupérieures ; en revanche le moraliste soulignera le prix de la volonté qui est avant tout maîtrise de soi.Cependant cette opposition systématique de la passion et de la volonté se révèle à la réflexion un peu simpliste.

L'usage commun du vocabulaire, et parfoisson emploi par les psychologues eux-mêmes, nous impose des nuances.

L'homme que les caractérologues nomment « passionné » (Descartes par exemple,ou Napoléon, ou Mermoz) est un émotif, sans doute, mais un grand actif et un « secondaire », c'est-à-dire un sujet dont le psychisme est cohérent etorganisé.

La passion est, en fait, une source d'action.

Songez au grand peintre Renoir qui, dans ses dernières années, à demi paralysé par les rhumatismes,se faisait attacher les pinceaux aux doigts pour continuer à travailler.

Est-ce là passion de peindre ou décision volontaire ? Les deux assurément, car c'estici la passion qui donne la force de vouloir.L'idéal stendhalien de « l'énergie » est aussi, typiquement, un idéal de passion et de volonté à la fois.

La passion, dit Stendhal.

« c'est l'effort qu'un hommequi a mis son bonheur dans telle chose est capable de faire pour y parvenir ».

L'amour et l'ambition sont chez le héros stendhalien les sources passionnellesqui inspirent les grandes volontés.

Lorsque Julien Sorel décide de prendre la main de Mme de Rénal, ou va retrouver Mathilde en grimpant par une échelle, sapassion lui permet seule de surmonter la peur d'être découvert et chassé ; de même la passion de l'aristocratique Mathilde pour son précepteur lui donne laforce de surmonter son orgueil, les conventions de son milieu, la crainte de son père.

C'est parce que le héros stendhalien est un passionné qu'il agit «énergiquement » et va jusqu'au bout de ce qu'il a décidé.Il semble que la théorie cartésienne de la volonté — que l'on retrouve pour l'essentiel chez Biran et surtout chez James et Renouvier — reste prisonnièred'une conception dualiste contestable : tandis que la passion est renvoyée à la chair, la volonté appartiendrait au pur esprit.

Elle serait le contraire du désir,une faculté transcendante, un pouvoir de dire oui ou non, de faire ou de ne pas faire ; je veux parce que je veux.

La volonté serait alors ce pouvoir autonomeque les métaphysiciens nomment libre arbitre, pouvoir désincarné et l'analyse psychologique devrait cesser là où l'acte volontaire commence.

En fait, unepsychologie concrète rejettera ce mythe d'une volonté transcendante, étrangère aux tendances, coupée des passions.

Dire que la force que nous opposonsà nos désirs est la force même delà volonté, c'est se payer de mots ; cette « vertu volitive » du « vouloir » ne vaut pas mieux que la célèbre vertu dormitivede l'opium.

Comme l'a bien montré Spinoza, un libre arbitre désincarné, indifférent à mes tendances, à mes désirs, coupé de ma personnalité affective, estune pure abstraction.

Un homme sans passion ne saurait être l'auteur du moindre acte volontaire.

S'il n'est pas de volonté gratuite, si d'autre part la passion n'est point « passive » et stimule l'action, il reste qu'agir par passion n'est pas ce qu'on appellevouloir.

Je puis « volontairement » m'opposer à un désir, triompher d'une impulsion.

La force qui entre en jeu est-elle tout simplement alors un désir pluspuissant ? Comme le dit Claparède, « toute décision est un drame qui consiste dans le sacrifice d'un désir sur l'autel d'un autre désir ».

N'y a-t-il là querivalité de passions diverses, la plus puissante l'emportant à la fin comme le poids le plus lourd fait pencher le plateau de la balance ? Mais alors toutedistinction s'effacerait entre les conduites volontaires et les conduites involontaires, la notion même de volonté serait anéantie dans le déterminismepsychologique.

Tel est le paradoxe dans la philosophie de la volonté : ou bien je découvre à la source de l'acte le déterminisme des passions et la notion de« volonté » disparaît, ou bien je définis la volonté en dehors des tendances et contre elles et je n'ai plus qu'un fantôme de volonté, une entité étrangère à mapersonnalité concrète, une abstraction sans substance.Cette difficulté sera écartée si nous comprenons que l'acte volontaire est celui qui opère une synthèse réfléchie de mes tendances en vue de l'action.

C'estpar son caractère synthétique — ou en termes plus modernes, par son caractère profondément « intégré » que l'acte volontaire se distingue des conduitespassionnelles.

Agir volontairement c'est d'abord « savoir ce qu'on veut », prendre conscience des exigences fondamentales de ma personne, renoncer àsatisfaire tels caprices, tels désirs, vifs peut-être, mais superficiels, qui me pousseraient à accomplir des actes qui « ne me ressemblent pas ».

Aucontraire, l'acte accompli par passion est celui qui échappe au contrôle de la personne.

Le fumeur et l'ivrogne ne pensent pas à leur santé, le joueurn'envisage pas la ruine prochaine, l'amoureux coupable ne songe pas au déshonneur, au scandale qui l'attendent.

Il y a une obnubilation passionnelle quinous dissimule nos véritables intérêts, nos exigences profondes ; c'est pourquoi toute passion nous voue tôt ou tard au malheur.

Tandis que l'hommevolontaire agit en fonction de sa personnalité tout entière, sait hiérarchiser avec lucidité ses tendances et tient compte de tous les instants du temps (cequi lui donne le maximum de chances d'accomplir ses fins et d'être heureux), le passionné est l'homme d'un seul instinct et d'un seul instant, aveuglé par uncaprice dont la force momentanée lui masque dangereusement tous ses autres besoins.

C'est pourquoi nous réserverons le nom de « volontaires » auxconduites intégrées marquées par la conscience lucide et la maîtrise de soi, tenant au contraire pour « passionnelles » les conduites où l'homme perd soncontrôle, est agi plus qu'il n'agit et nous apparaît dépossédé de lui-même.. »

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