Peut-on être libre sans le savoir ?
Publié le 16/12/2005
Extrait du document
- Le sujet prend la forme d'une question fermée : il faudra donc y répondre par « oui « ou par « non « en conclusion.
- Il nous demande de statuer sur la possibilité d'une situation : être libre et, à la fois, ne pas savoir qu'on est libre. Deux notions interviennent : la liberté et le savoir.
- Il est possible d'opérer une distinction double de la notion de liberté
- La liberté s'entend premièrement dans un sens négatif comme l'absence de contraintes : ce qui est libre est ce qui n'est pas déterminé. Liberté est alors synonyme de contingence. Dans un second sens, positif, la liberté peut se penser en terme d'autonomie, c'est-à-dire comme la possibilité de se déterminer soi-même.
- A cette première distinction se superpose une seconde : on peut en effet opposer la liberté pratique, effective, celle dont relève l'action libre, d'une liberté plus originaire : celle qui rend possible l'action libre. Il s'agit d'une distinction pratique/transcendantale (au sens d'une condition de possibilité) ou de fait/en droit. Cette seconde distinction soulève question suivante : la liberté de fait (que nous éprouvons tous les jours) est-elle fondée par une liberté transcendantale ou bien n'est-elle qu'une illusion ?
- Savoir qu'on est libre n'est pas seulement le croire ou en avoir l'intime conviction : il faut pouvoir le prouver de manière irréfutable. On ne peut pas se contenter pour preuve de notre impression quotidienne de liberté.
- Notons enfin que le sujet invite à penser que celui qui est libre le sait forcément, de telle sorte qu'être libre impliquerait nécessairement de le savoir. Une liberté qui s'ignore ne serait alors pas une véritable liberté : le savoir de cette liberté serait le critère de distinction entre liberté véritable et une liberté illusoire.
«
« Que le vouloir apparaisse comme absolu, c'est un fait de la conscience ; chacun le trouvera en soi, et à celui qui ne le sait pas déjà, on ne peut pas l'introduire de l'extérieur.
Toutefois, il n'en résulte pas qu'il soit interdit depousser plus loin l'explication de ce phénomène et de le déduire ; ce faisant, ce serait l'absoluité même de cephénomène qui serait expliquée, et elle cesserait donc d'être absoluité, et son phénomène se transformerait enapparence [...].
Sans doute, personne ne sera jamais capable de donner une telle explication du vouloir à partir dequelque chose d'autre ni d'apporter à cet effet le moindre mot qui puisse être compris.
Si toutefois quelqu'un affirmeque ce vouloir pourrait malgré tout avoir un fondement, à vrai dire incompréhensible en dehors de nous, une telleexplication n'a certes pas la moindre raison en sa faveur, mais sur le plan théorique, il n'y a pas non plus d'argumentrationnel à lui opposer.
Si donc on se décide cependant à ne pas pousser plus loin l'explication de ce phénomène età le tenir pour absolument explicable, c'est-à-dire pour une vérité et pour notre unique vérité, vérité d'après laquelletoute autre vérité doit être critiquée et jugée – décision qui est précisément celle sur laquelle toute notre philosophie est construite – c'est par suite non une évidence théorique, mais un intérêt pratique : je veux être autonome, c'est pourquoi je me tiens comme tel.
Or un tel acte de tenir pour vrai est une croyance .
Notre philosophie part donc d'une croyance et elle le sait.
Le dogmatisme lui-même, qui, s'il est conséquent, affirme ceque nous avons dit, part aussi d'une croyance (à l'existence de choses en soi).
Seulement d'ordinaire, il ne le saitpas.
Dans notre système, on fait de soi-même la base de la philosophie, et c'est pourquoi elle apparaît commedépourvue de base à celui qui est incapable d'accomplir cet acte.
»
Fichte montre qu'on ne peut pas démontrer la réalité de la liberté, mais qu'on ne peut pas non plus la réfuter.
Noussommes obligés de nous en tenir au fait que nous semblons être libres.
Être libre procède donc d'une décision (philosophique et pratique).
A nouveau nous sommes implicitement reconduit à l'idée de responsabilité : si nous nedécidons pas d'être libres, alors il est impossible de fonder une quelconque responsabilité, et par conséquent uneéthique.
C'est pourquoi Fichte écrit que le choix de la liberté (contre le déterminisme absolu) possède « non uneévidence théorique, mais un intérêt pratique ».
Cet intérêt pratique est comme on l'a remarqué la possibilité del'éthique.
Transition :
Dans cette perspective, on peut bien être libre sans le savoir.
Plus précisément, il est impossible de savoir qu'on estlibre.
En revanche, on ne peut pas être libre sans le décider.
Toute liberté qui tente de se fonder, c'est-à-dire, dese savoir, devient pétition de principe.
Ne faut-il pas alors disqualifier la question même du savoir de la liberté ?
III – Nietzsche par delà déterminisme et libre arbitre :
Référence : Nietzsche, par delà le bien et le mal
« La causa sui est la plus belle contradiction interne qui ait jamais étéinventée, une sorte de viol et d'attentat à la logique.
Mais l'orgueilextravagant de l'homme l'a conduit à s'empêtrer de plus en plus dans lesprofondeurs redoutables de cette absurdité.
Le désir du "libre-arbitre",entendu au sens superlatif et métaphysique qui règne encore,malheureusement, dans les cerveaux à demi cultivés, le besoin de porterl'entière et ultime responsabilité de ses actes et d'en décharger Dieu, lemonde, l'hérédité, le hasard, la société, n'est en effet rien de moins que lebesoin d'être soi-même cette causa sui.
Plus hardi que le baron de Crac, ontente de se saisir soi-même aux cheveux pour se tirer du marécage du néantet se hisser enfin dans l'existence.
Et si quelqu'un venait à éventer la niaiserusticité de ce fameux concept du "libre-arbitre", au point de le rayer de sonesprit, je le prierais de faire un pas de plus dans la voie des "lumières" etd'effacer aussi de son cerveau le contraire de ce pseudo concept, je veuxdire le "serf arbitre" qui aboutit à un même abus des notions de cause etd'effet.
Il ne faut pas concrétiser la "cause" et "l'effet", comme le font à tort les savants naturalistes, et tous ceux qui comme eux pensent en termes de nature, en se conformant à la balourdise dumécanisme régnant, qui imagine la cause comme un piston qui pèse et pousse jusqu'au moment où l'effet est obtenu; il ne faut user de la "cause" et de "l'effet" que comme de purs concepts, c'est-à-dire comme de fictionsconventionnelles qui servent à désigner, à se mettre d'accord nullement à expliquer quoi que ce soit.
Dans "l'en-soi"il n'y a nulle trace de "lien-causal", de "nécessité", de "déterminisme psychologique" ; "l'effet" n'y suit pas la "cause",aucune "loi" n'y règne.
C'est nous seuls qui avons inventé comme autant de fictions la cause, la succession, laréciprocité, la relativité, l'obligation, le nombre, la loi, la liberté, la raison, la fin ; et quand nous introduisonsfaussement dans les "choses" ce monde de signes inventés par nous, quand nous l'incorporons aux choses commes'il leur appartenait "en soi" nous agissons une fois de plus comme nous l'avons toujours fait, nous créons unemythologie.
Le "serf arbitre" est un mythe ; dans la réalité, il s'agit seulement de volonté forte ou débile.
Quand unpenseur s'avise de découvrir d'emblée dans tout "enchaînement de causes" et dans toute "nécessité psychologique"quelque chose qui ressemble à une contrainte, à une nécessité, à une succession obligée, à une pression, à uneservitude, c'est presque toujours le signe qu'il y a quelque chose qui cloche en lui ; sentir ainsi est révélateur ; lapersonnalité s'y trahit.
Et d'une façon générale, si mes observations sont exactes, le problème du déterminisme estenvisagé sous deux aspects absolument différents, mais toujours de façon absolument personnelle ; les uns ne.
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