Devoir de Philosophie

Quelle connaissance la science nous donne-t-elle de la réalité ?

Publié le 27/03/2004

Extrait du document

Dire que le savant s'efforce de comprendre les phénomènes, c'est dire qu'il cherche à donner du monde une représentation intelligible et rationnelle. Or précisément seule une telle représentation est susceptible de réaliser l'accord des esprits, leur assimilation. C'est dans la mesure où ils se retrouvent dans une représentation commune de l'univers que les différents esprits ont conscience de leur communauté. On voit donc qu'en définitive la connaissance scientifique est une connaissance qui vise à nous donner du monde une représentation rationnelle. Elle ne peut y parvenir, évidemment, qu'en saisissant les phénomènes à travers les principes mêmes de la raison, en soumettant les apparences aux exigences de la raison. De là certains principes de la connaissance scientifique qui sont la condition de cette représentation rationnelle du monde, qui est le but de la science. B - Les principes de la connaissance scientifique. On peut, en s'inspirant des grands philosophes de la science du XIXe siècle (Comte, Claude Bernard, Poincaré), considérer que les trois principes essentiels de la connaissance scientifique sont le déterminisme, le relativisme et le matérialisme. - Le principe du déterminisme consiste à poser que tout phénomène a une cause et que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, ou encore que rien ne peut se produire dans le monde sans que des conditions nécessaires soient remplies. Claude Bernard disait de ce principe qu'il est « le principe absolu des sciences expérimentales » et il ajoutait que « si un phénomène se présentait dans une expérience avec une apparence tellement contradictoire, qu'il ne se rattachât pas d'une manière nécessaire à des conditions d'existence déterminées, la raison devrait repousser le fait comme un fait non scientifique ».

« II.

LA SCIENCE ET LE RÉEL — A — La critique nominaliste de la science. On peut se demander en effet si les caractères, les principes et les tendances de la science, tels que nous venons de les définir, ne lacondamnent pas à laisser échapper toujours quelque aspect essentiel de la réalité.

Le réel, tel qu'il nous est donné dans l'expériencesensible, est contingence, diversité, multiplicité.

La réduction du multiple à l'un ne peut se faire qu'en négligeant certains aspects de laréalité donnée, et notamment son aspect qualitatif.

De même on ne peut aller du divers à l'identique qu'en faisant abstraction descaractères qui font de chaque phénomène un phénomène original et unique.

La connaissance scientifique suppose donc unappauvrissement continu du réel dont on ne retiendrait que les déterminations quantitatives.

D'autre part, cette nécessité que la sciencecherche à découvrir dans les choses est à La fois artificielle et Insuffisante : elle est insuffisante parce qu'elle nous fait connaître le «comment » et non le « pourquoi » des phénomènes ; elle est artificielle parce qu'elle répond à une exigence de notre pensée plutôt qu'àla nature profonde des choses.

C'est en effet précisément parce qu'elle est l'oeuvre de l'Intelligence que la connaissance scientifique,selon Bergson, n'atteint pas la réalité.

L'intelligence est née des besoins de l'action, des nécessités vitales, et par suite elle ne saisit dumonde que l'aspect par lequel il se prête le mieux à notre action.

Par là s'expliquent les principes de la connaissance scientifique, qui nesont, en définitive, que des habitudes de penser contractées par l'esprit dans son effort pour dominer le monde.

Et Poincaré pouvaitrésumer ainsi la thèse d'un disciple de Bergson, E.

Le Roy : « La science ne peut rien nous apprendre de la vérité ; elle ne peut nousservir que de règle d'action.

» C'est cette thèse qui constitue le « nominalisme scientifique ».

Selon elle, c'est à l'intuition et non àl'intelligence, c'est-à-dire à la philosophie et non à la science, qu'il faudrait demander la véritable connaissance du réel, celle qui,pénétrant à l'intérieur même des choses, atteindrait l'absolu. — B — Le rationalisme et la science. Poincaré cependant faisait déjà remarquer qu'on ne peut échapper à ce dilemme : « ou bien la science ne permet pas de prévoir, et alorselle est sans valeur comme règle d'action ; ou bien elle permet de prévoir d'une façon plus ou moins imparfaite, et alors elle n'est passans valeur comme moyen de connaissance ».

Il semble, en effet, difficile de refuser à la science toute valeur théorique si on lui reconnaîtune valeur pratique : une connaissance ne peut nous donner prise sur les choses que si elle découvre quelque chose de leur réalité.

Cequi semble vrai c'est quela connaissance scientifique n'a pas une valeur absolue.

A moins d'admettre avec Hegel qu'il y a identité parfaite entre le réel et lerationnel, il faut avouer que la réalité telle que la science la saisit n'est pas la réalité-en-soi mais la réalité-pour-nous, ou, pour employerles termes kantiens, n'est pas la réalité nouménale mais seulement la réalité phénoménale.

S'il faut en croire Kant, en effet, l'esprit humain est ainsi fait qu'il ne peut saisir le monde qu'à travers certains cadres qui sont de lui, espace,temps, catégories de la quantité, de la relation, etc.

Ces cadres a priori sont comme des lunettes autravers desquelles nous voyons les choses, et par suite nous ne pouvons savoir ce que sont les chosesindépendamment de la manière dont nous les connaissons.

En d'autres termes, les exigences propresde la pensée, qui sont les exigences de l'esprit scientifique, imposent au réel une certaine forme endehors de laquelle il reste pour nous inaccessible.Il est, en effet, douteux que la raison puisse, comme le voudrait Bergson, faire abstraction de sespropres lois, de son intime structure, pour découvrir le réel dans sa pureté.

Le réel n'est finalement pournous pas autre chose que « le contenu de la représentation qu'élabore l'esprit dans son effort pourcomprendre » (Mouy).

Et si la matière de cette représentation est donnée par les choses, sa forme estdonnée par l'esprit. — C — Les limites de la connaissance scientifique. Il en résulte qu'il ne faut pas définir la vérité par la réalité mais au contraire la réalité par la vérité.

Il nesaurait y avoir « adéquation de l'esprit et de la chose » (adaequatio rei et intellectus) parce que lachose n'est pas donnée mais construite par l'esprit.

Le réel, c'est ce que découvre une connaissanceconforme aux exigences de l'esprit.

En ce sens, on peut dire que c'est la connaissance scientifique quidéfinit la réalité.

Ce qui caractérise en effet la connaissance scientifique, ce qui la distingue de laconnaissance vulgaire, c'est qu'elle respecte mieux les exigences de l'esprit.

Et il est curieux deconstater que cela est le point de vue même du sens commun qui fait confiance à la science pourdéfinir le réel.

Cette confiance est justifiée, s'il est vrai que la représentation du monde qu'élabore lesavant satisfait mieux la volonté de compréhension qui caractérise l'esprit humain.

Toutefois la représentation scientifique du monde,générale, abstraite, quantitative, ne suffit pas à l'homme.

Nous demandons à l'art, précisément, de nous découvrir un autre aspect de laréalité et ce qu'il nous découvre, c'est un univers moins impersonnel, moins froid, moins décoloré que celui de la science.

L'artiste est plussensible que le savant à l'aspect qualitatif, concret, particulier des choses ; la vision du monde qu'il exprime est plus conforme à ce que Bergson appelle « les données immédiates de la conscience ».

Et en ce sens Bergson avait raison de direque « l'art n'a d'autre objet que d'écarter les symboles pratiquement utiles, les généralitésconventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui masque la réalité, pour nous mettre faceà face avec la réalité même ».

Mais on voit à présent qu'il faut distinguer deux sens du mot réalité : sil'on entend par réalité ce qui est immédiatement donné à notre conscience, c'est l'art qui nous faitdécouvrir cette réalité ; mais si l'on considère au contraire que le réel est ce qui donne un sens à cesdonnées immédiates, c'est la science seule qui peut nous le faire connaître. CONCLUSION Il n'y a pas de réalité en soi avec laquelle on puisse confronter la connaissance que nous en propose lascience.

Ce qui nous est donné, ce sont les apparences, sous forme d'impressions sensibles.

Mais cesapparences ne prennent un sens, ne deviennent intelligibles, qu'à la condition d'être interprétées etorganisées.

C'est à cette interprétation et organisation des apparences que travaille le savant, et lerésultat de son effort est précisément ce qu'on appelle la réalité.

Sans doute ce travail obéit-il à certaineslois, fait-il appel à certains principes qui sont le propre de l'esprit humain et il en résulte que laconnaissance Scientifique du monde exprime la nature du sujet connaissant aussi bien que celle de l'objetconnu.

Mais cette connaissance est la seule qui permette à l'esprit de « s'y retrouver » selon la vigoureuseexpression populaire, et c'est elle finalement qui définit pour nous le réel.

« L'esprit rêvait, disait JulesLagneau, le monde était son rêve.

». »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles