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Racine : Pyrrhus, scène 7 de l'acte III

Publié le 15/09/2006

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[Introduction] Racine connaît son premier grand succès théâtral avec Andromaque, tragédie que le roi applaudit lors de sa première représentation le 19 novembre 1667. Cette pièce met en scène un épisode de l’histoire antique : le roi d’Épire, Pyrrhus, s’éprend d’Andromaque, la veuve d’Hector. Aveuglé par la passion, il rompt ses engagements auprès des Grecs, décide d’épouser la captive et, plus grave encore, d’épargner le fils de cette dernière, l’ultime rejeton des Troyens vaincus. Dans la scène 7 de l’acte III, au tournant de la pièce, Pyrrhus quitte son masque de roi vengeur pour déclarer son amour à Andromaque. Pour persuader la veuve d’Hector, qui a juré fidélité à mari, de l’épouser, il lui offre de laisser la vie sauve à son fils en échange de sa main. Nous verrons, en étudiant cette tirade, quel est le statut de Pyrrhus qui règne et se soumet à la fois, puis nous analyserons les strat1ki qu’il met en place pour séduire Andromaque. [I - Pyrrhus, la puissance et la faiblesse] [A. Un ennemi puissant] Pyrrhus se présente à sa captive en roi tout puissant. Ainsi, il a le pouvoir de la parole et prononce une longue tirade sans être interrompu. Andromaque n’a pas la possibilité de lui couper la parole ou de se révolter. Elle ne peut qu’attendre la fin de la réplique. Cette dernière porte d’ailleurs la marque d’un homme habitué à donner des ordres à se faire obéir. Il emploie l’impératif (« demeurez «, v. 1, « Voyez «, v. 7, « sauvez «, v. 14, « Songez «, v. 27), des modalisateurs injonctifs (« il faut «) ou encore le futur de certitude qui suggère que rien ne peut s’opposer à sa volonté (« je viendrai vous prendre «, v. 27, « vous me verrez «, v. 29). L’emploi de la tournure impersonnelle « On peut « fait entendre la voix de celui dont les désirs et les volontés deviennent des actes de lois. Le roi s’impose donc d’abord par la parole. De plus, Pyrrhus rappelle à son auditrice que sa victoire sur Troie lui a donné sur elle un pouvoir absolu. Le champ lexical du combat (« armes «, « haine «, « ennemi «, « trahir «) brosse en toile — de fond une évocation de la guerre sanguinaire qui a opposé les i dont Pyrrhus est l’un des chefs, et les Troyens, menés par Hector dont Andromaque est la veuve. La rime « larmes « , « armes« (v. 3-4) suggère la violence des rapports entre le vainqueur et sa prisonnière. Le vainqueur a en effet le pouvoir d’ôter à sa prisonnière toute joie et tout espoir: il peut mettre à mort son fils, Astyanax (« le perdre «, y. 30). Ainsi, Pyrrhus est roi et Pyrrhus est puissant. Pourtant, s’il prend la peine d’adresser à Andromaque une si longue tirade, c’est qu’il ne peut plus rien ordonner à son sujet. Il est en effet victime d’un amour qui ébranle sa force. [B. L’expression de l’amour] Pyrrhus dévoile progressivement ses sentiments. Il invite d’abord Andromaque à ouvrir les yeux afin de mieux le comprendre (« Voyez si mes regards sont d’un juge sévère I S’ils sont d’un ennemi qui cherche à vous déplaire «, v. 7-8). Puis, le champ lexical de l’amour vient remplacer celui du combat (« mes soupirs «, « j’embrasse «, « Mon coeur «). De plus, la récurrence de « Madame« suggère le plaisir que prend le roi à s’adresser à celle qu’il aime. Il semble savourer cette adresse sans jamais s’en lasser. Pyrrhus ne peut d’ailleurs s’empêcher de recourir aux stratégies amoureuses alors même qu’il devrait parler en chef. Ainsi, il cherche à flatter l’orgueil de femme d’Andromaque en lui disant sa supériorité sur Hermione (« Je vous conduis au temple où son hymen s’apprête; Je vous ceins du bandeau préparé pour sa tête «, v. 19-20). Enfin, Pyrrhus révèle sa passion (« Je meurs si je vous perds «, v. 26). Il a donc le pouvoir politique de tuer Astyanax et de rendre Andromaque irrémédiablement malheureuse, mais il n’en a pas la force. Le roi a le pouvoir de faire souffrir Andromaque, ce dont l’homme est incapable. [Conclusion partielle et transition] Pyrrhus, qui règne sur le plan politique, est en effet soumis à Andromaque sur le plan amoureux. Selon les lois de l’amour courtois, c’est elle qui règne sur lui. Cette tirade a donc pour objectif de la persuader de lui céder et de l’épouser. [II — Les stratégies de persuasion] Pyrrhus recourt à deux stratégies pour persuader Andromaque de prendre la place d’Hermione et de devenir sa femme : il essaie d’exciter sa pitié, puis devant son indifférence, il rend imminente la menace qui pèse sur son fils. [A. La pitié] Pyrrhus fait son autoportrait en homme blessé afin de susciter de la pitié chez son interlocutrice. Il recourt ainsi au champ lexical de la douleur (« désespéré «, « Je meurs «). Le verbe « souffrir «, placé juste après l’hémistiche, est mis en valeur par les allitérations en [s] (« Ne peut plus de son sort souffrir l’incertitude «, v. 24). Le rythme ternaire (« craindre, menacer et gémir «, v. 25) vise à souligner l’ampleur de ses souffrances. Il invite sa captive à le regarder (« Voyez «, v. 7), à prendre la mesure de sa douleur, espérant qu’elle saura s’émouvoir de son sort. Mais comme Andromaque reste muette, comme son visage exprime sans doute l’indifférence, voire le mépris, le dégoût, la colère contre celui qui est responsable de ses malheurs, Pyrrhus recourt à une autre stratégie. [B. Une menace imminente] Pyrrhus menace Andromaque d’exécuter son fils si elle ne se soumet pas à lui. Il lui donne le pouvoir de le sauver en devenant reine (« À le sauver enfin c’est moi qui vous convie «, v. 11) : ce faisant, il la rend potentiellement coupable de la mort d’Astyanax, comme le suggère l’insistance sur le pronom de la deuxième personne, redoublé et placé au centre du vers « Pourquoi me forcez-vous vous-même à vous trahir «, v. 9). Le sort des trois êtres est donc désormais irrémédiablement lié et les marques de la première, de la deuxième et de la troisième personne tissent un réseau serré dans chacun des vers « Faut-il que mes soupirs vous demandent sa vie?  /  Faut-il qu’en sa faveur j’embrasse vos genoux «, v. 12-13). Seul le « nous «, dont rêve Pyrrhus, est rare, puisque l’on n’en trouve qu’une en occurrence dans le texte (« cessons de nous haïr «, v. 10). La menace qui pèse sur Astyanax si Andromaque refuse les faveurs du roi est d’autant grande que l’exécution est imminente. En effet, la rime « trop longtemps « / « attends« (v. 25-26) signifie l’impatience de Pyrrhus qui souhaite mettre fin à « un an d’ingratitude «. Les nombreuses interrogatives de la tirade invitent Andromaque à prendre une décision dans l’instant, à donner une réponse sans tergiverser. [Conclusion partielle] Pyrrhus, déchiré par le conflit qui se joue en lui entre le devoir du vainqueur et l’amour, décide de mettre fin à cette situation. Il recourt donc à différentes stratégies pour séduire sa captive. [Conclusion] Dans cette tirade, Pyrrhus met Andromaque face à un ultimatum: elle doit l’épouser ou perdre son fils, trahir son époux ou trahir son enfant. Cet acte qui devrait conduire le public à détester Pyrrhus est rendu ambigu par l’amour sans espoir que porte le roi à sa captive. Toutefois, on comprend que cette scène, située à la fin de l’acte III, programme la suite de la pièce la violence du chantage exercé par un roi tout puissant annonce la violence du dénouement de la tragédie.

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