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ABSTRAYANT, -ANTE, adjectif.

Publié le 28/09/2015

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ABSTRAYANT, -ANTE, adjectif.  

Néologisme d'auteur.  Qui aime à abstraire : 

Ø ... la prédilection qui attire les distillateurs d'idées vers les termes qui expriment la négation (...) elle répond aux besoins naturels des âmes abstrayantes.

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Jardin d'Épicure,  1895, page 250. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 5. 

 

Forme dérivée du verbe \"abstraire\"

 abstraire

ABSTRAIRE, verbe transitif.  

A.—  Emploi transitif. 

1. PHILOSOPHIE, LOGIQUE.  Abstraire quelque chose de quelque chose.  Isoler, par l'analyse, un ou plusieurs éléments du tout dont ils font partie, de manière à les considérer en eux-mêmes et pour eux-mêmes : 

Ø 1. Abstraire ou séparer le sujet de l'objet, l'esprit de la matière, les choses divines des choses terrestres, voilà la condition de toute bonne philosophie, soit spéculative, soit pratique;...

MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal,  1819, page 226. 

Ø 2.... c'est le souffle de Dieu qui circule parmi les mondes et les contingences de ces mondes. Les gouttes de ce sang sont pareilles en tant que parties d'un même tout, et si elles ne l'étaient, ce tout ne serait pas; elles se cherchent, tourbillonnent, s'attirent, se joignent, se pénètrent, formées elles-mêmes d'autres particules plus menues, lesquelles sont formées d'autres, et ainsi de suite, et toujours tant que tu pourras les diviser, tant que ta pensée pourra les abstraire.

GUSTAVE FLAUBERT, La Tentation de Saint Antoine,  1849, page 418. 

Ø 3. On conçoit sans peine l'intérêt qu'il peut y avoir à abstraire de l'organisme certains des éléments qui le constituent, pour les étudier en eux-mêmes, soustraits aux multiples influences qu'ils reçoivent de la colonie dont ils font partie.

JEAN ROSTAND, La Vie et ses problèmes,  1939, page 58. 

Remarque : 1. L'objet indirect peut manquer (confer exemple 2). 2. Abstraire peut prendre une valeur péjorative et signifier « séparer abusivement un élément du tout dont il fait partie » : 

Ø 4.... notez, enfin, Verlaine étant ici laissé de côté, le narcissisme des symbolistes. Ni Lamartine, ni Hugo, ni Musset, n'avaient ainsi abstrait le poète de l'homme et n'avaient, à propos de leur propre existence que Dieu mit au centre de tout comme un écho sonore, chanté autre chose que les grands partis généraux, les larges émotions de la nature humaine.

ALBERT THIBAUDET, Réflexions sur la littérature,  1938, page 40. 

2. LOGIQUE, GRAMMAIRE.  Dégager d'un ensemble complexe les traits communs aux éléments ou aux individualités qui le composent. 

—   Les résultats de cette opération intellectuelle sont : 

·    Une idée générale, un concept : 

Ø 5.... et voilà que l'idée de pêche est devenue générale, et n'est plus composée que des caractères qui conviennent absolument à toutes les pêches. Cette opération s'appelle abstraire. Ce mot vient de l'ancien mot traire, qui n'est plus d'usage, et qui est synonyme de tirer : abstraire, c'est tirer de... Effectivement vous tirez de deux ou plusieurs idées individuelles tout ce qui les confond, en rejetant tout ce qui les distingue, et vous en faites une idée commune. Il n'est pas inutile d'observer ici que puisque l'on a tiré, abstrait, certaines parties de l'idée particulière pour la généraliser, elle n'est plus exactement la même quand elle est devenue générale que quand elle était individuelle.

ANTOINE-LOUIS-CLAUDE DESTUTT DE TRACY. Élémens d'idéologie, 1. Idéologie proprement dite, 1801, page 90. 

Ø 6.... tout nom généralisé, toute idée d'un individu étendue à plusieurs est déjà un mot abstrait, une idée abstraite car dans l'usage qu'on en fait, il y a déjà des particularités de ses éléments qu'on a négligées, et d'autres qu'on a séparées, tirées dehors pour ainsi dire, enfin qu'on a abstraites.

ANTOINE-LOUIS-CLAUDE DESTUTT DE TRACY. Élémens d'idéologie, 1. Idéologie proprement dite, 1801, page 94. 

Ø 7.... si les philosophes se sont tant occupés de la théorie de la définition, c'est principalement en vue des idées dans la conception desquelles la raison fait usage de la puissance qu'elle a de généraliser, d'abstraire, d'associer, de dissocier et d'élaborer diversement les matériaux que la sensation lui fournit.

AUGUSTIN COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique, 1851, page 338. 

Ø 8.... « Grâce à sa vertu active, l'intellect agent peut abstraire par sa lumière l'universel du particulier, les espèces intelligibles des espèces sensibles, les essences, des choses actuellement existantes... »

ÉTIENNE GILSON, L'Esprit de la philosophie médiévale,  1932, page 25. 

·    Un symbole : 

Ø 9. Belle définition de la science par Soury (15 février 1896). « Ce qui fait l'homme, ce qui le rend capable d'abstraire le monde, de se le représenter sous forme de symbole, de créer la science : c'est le mot. Il fallait le mot pour créer le monde des abstractions, le monde des symboles où nous vivons presque uniquement.

MAURICE BARRÈS, Mes cahiers, tome 1, 1896, page 78. 

·    Une vue d'ensemble, une représentation simplifiée : 

Ø 10.... Une autre preuve de ma passion pour la généralité, c'est que je cherche toujours à classer, à mettre en ordre, par conséquent à abstraire, afin de me donner ces vues d'ensemble, qui me sont les plus délicieuses.

HENRI, ALBAN FOURNIER, DIT ALAIN-FOURNIER, JACQUES RIVIÈRE, Correspondance, Lettre de Jacques Rivière à Alain-Fournier, janvier 1906, page 224. 

Ø 11. Nous cherchons instinctivement dans l'univers la clarté et l'exactitude de notre pensée. Nous essayons d'abstraire de la complexité des phénomènes des systèmes simples, dont les parties sont unies par des relations susceptibles d'être traitées mathématiquement.

ALEXIS CARREL, L'Homme cet inconnu,  1935, page 10. 

Remarque : 1. L'exemple 10 montre le verbe en emploi absolu. 2. Bien que souvent assimilés, les 2 verbes abstraire et généraliser ne sont pas synonymes. Abstraire entre dans la compréhension de généraliser qui est une de ses visées possibles. 

B.—  Construction pronominale.  [Dans le domaine de la psychologie]  S'abstraire de..  S'isoler par la pensée des choses ou des événements environnants, notamment sous l'empire d'une préoccupation dominante dans laquelle l'esprit se laisse absorber : 

Ø 12.... quand l'esprit se considère ou s'observe lui-même par une sorte de vue intérieure concentrée dans ses propres actes ou opérations actives, il s'abstrait et se sépare par là même de tout ce qui peut être représenté extérieurement,...

MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal,  1823, page 408. 

Ø 13. « C'est assommant, ce temps-ci, on n'est pas plus tôt arrangé avec ce qui est... Car enfin, on ne peut s'abstraire de son temps. Il y a un pouvoir, il y a une morale, imposés par les bourgeois de son époque, auxquels il faut se soumettre. Il faut être bien avec son commissaire de police. Qu'est-ce que je demande? C'est qu'on me laisse tranquille dans mon coin... ».

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1862, page 1027. 

Ø 14. Il m'est si doux de ne rien prévoir, de ne rien vouloir et de m'abstraire absolument des nécessités de ma propre existence. —  Ruse de l'autruche, qui cache sa tête, pour échapper à son ennemi.

HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime,  1866, page 440. 

Ø 15. —  Et moi, me voilà réduit au silence, s'écria Laudon, et, je dois conclure que désormais il n'y a plus rien à faire, qu'il faut s'abstraire de tout, s'asseoir à terre dans un coin, et, autant que possible, auprès d'une eau courante car, en tournant ses pouces, on aura du moins la seule distraction rationnelle, celle de voir couler quelque chose.

JOSEPH ARTHUR COMTE DE GOBINEAU, Les Pléiades,  1874, page 242. 

Ø 16.... par quel phénomène psychique, M. Tadéma peut-il s'abstraire ainsi de son époque, et vous représenter, comme s'il les avait eus sous les yeux, des sujets antiques?

GEORGES-CHARLES, DIT JORIS-KARL HUYSMANS, L'Art moderne,  1883, page 210. 

Ø 17.... M. Huysmans ne s'abstrait jamais de son oeuvre : il s'y met tout entier à chaque instant Dans chacun de ses romans un personnage le représente, et l'on dirait que c'est ce personnage qui a écrit le roman.

JULES LEMAÎTRE, Les Contemporains,  1885, page 316. 

Ø 18. Quand je vois la foule des gens qui arrivent à s'abstraire des événements, je ne comprends pas comment ils font. Ils ne sont pas dans le bain, c'est vrai, mais comment font-ils pour ne pas s'y mettre?...

ELSA TRIOLET, Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, page 248. 

Ø 19. La logique suppose la possibilité de connaître l'homme et le monde de l'extérieur, si l'on peut dire, en les contemplant du dehors et comme du point de vue de Sirius; mais en réalité l'existant que nous sommes ne peut s'abstraire de la condition humaine et de la situation dans laquelle il se trouve.

JEAN LACROIX, Marxisme, existentialisme, personnalisme, 1949, page 62. 

—  Expression synonyme rare. Abstraire son esprit de : 

Ø 20.... j'ai été forcé d'abstraire mon esprit dix, douze et quinze heures par jour de ce qui se passoit autour de moi, pour me livrer puérilement à la composition d'un ouvrage...

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Études historiques, avant-propos, 1831, page 2. 

—   [Avec insistance sur la préoccupation dans laquelle l'esprit se laisse absorber]  S'absorber dans : 

Ø 21.... m'abstrayant tout entier dans un travail d'une année ou de deux encore, je ne vois rien, nulle part.

STÉPHANE MALLARMÉ, Correspondance,  1878, page 168. 

—  Emploi absolu. S'abstraire : 

Ø 22. On s'abstrait, on oublie. 

HYPPOLYTE-ADOLPHE TAINE, Notes sur l'Angleterre,  1872, page 12. 

Ø 23. Encore une journée de perdue! Salie! gâchée! pervertie absolument! anéantie en cafouillages!... En crétines angoisses!... C'est que je puisse me recueillir!... Véritablement... Enfin! que je puisse m'abstraire!... Tu comprends?... La vie extérieure me ligote... Elle me grignote! Me dissémine!... M'éparpille!... Mes grands desseins demeurent imprécis, Ferdinand! J'hésite!... Voilà! Imprécis! j'hésite! C'est atroce! Tu ne me comprends pas? Calamité sans pareille!

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 478. 

Ø 24.... quel effort il faut exiger de moi pour m'abstraire, pour cesser de voir ce qui sollicite en tant de sens divers ma pensée!

ANDRÉ GIDE, Ainsi soit-il, ou Les Jeux sont faits,  1951, page 1195. 

Ø 25. Les mots —  je l'imagine souvent —  sont de petites maisons, avec cave et grenier. Le sens commun séjourne au rez-de-chaussée, toujours prêt au « commerce extérieur », de plain-pied avec autrui, ce passant qui n'est jamais un rêveur. Monter l'escalier dans la maison du mot c'est, de degré en degré, abstraire. Descendre à la cave, c'est rêver, c'est se perdre dans les lointains couloirs d'une étymologie incertaine, c'est chercher dans les mots des trésors introuvables. Monter et descendre, dans les mots mêmes, c'est la vie du poète.

GASTON BACHELARD, La Poétique de l'espace,  1957, page 139. 

Remarque : Abstraire, au sens de « se donner une représentation abstraite de », est volontiers péjoratif : 

Ø 26. Ces terribles abstracteurs de quintessence s'armèrent de cinq ou six formules, qui, comme autant de guillotines, leur servirent à abstraire des hommes.

JULES MICHELET, Le Peuple,  1846, page 341. 

Ø 27. Il eût mieux valu sans doute ne pas abstraire si fort votre Dieu, ne pas le placer dans ces nuageuses hauteurs où pour le contempler il vous fallut une position si tendue. Dieu n'est pas seulement au ciel, il est près de chacun de nous; il est dans la fleur que vous foulez sous vos pieds, dans le souffle qui vous embaume, dans cette petite vie qui bourdonne et murmure de toutes parts, dans votre coeur surtout.

ERNEST RENAN, L'Avenir de la science,  1890, page 85. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 139. 

 

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