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Elle a levé la main et j'ai compris qu'elle voulait dire plus grande.

Publié le 06/01/2014

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Elle a levé la main et j'ai compris qu'elle voulait dire plus grande. Je l'ai laissé parler. Pour moi, tout cela était bien plus que charmant : peu importait tout ce que nous avions appris jusqu'à présent, chaque fragment, chaque détail était précieux. Ester avait de jolies jambes. Frydka était plus grande que Lorka. Nous ne le savions pas auparavant. A présent, cela faisait partie de leur histoire. Frydka était une très grande fille, plus grande que sa soeur aînée, allais-je pouvoir dire à ma famille quand je rentrerais... Puis elle a dit, Elle était solide, Frydka. Une battante, une battante. C'est reparti, me suis-je dit. On finit toujours par parler de Frydka. Une battante ? ai-je dit. Qu'est-ce que vous entendez par là? Malcia a bu une gorgée de vin. Ja. Elle était robuste ! Elle a prononcé ro-BOUSTE ! Et en le disant, elle a levé les poings comme un boxeur. Robuste, ai-je répété. Bon, me suis-je dit, elle était une battante. Mais Lorka, a continué Malcia, insoucieuse de mes préoccupations, était jolie. Et elle avait une paire de jambes... ! Sa voix s'est éteinte et elle a levé les yeux au ciel, comme si elle prenait Dieu à témoin. Je lui ai montré la photo de la famille entière en 1934, la photo sur laquelle ils sont en deuil de mon arrière-grand-mère Taube. Ça veut dire colombe. Malcia a brusquement levé la tête et m'a regardé, le visage rayonnant parce qu'elle se souvenait de quelque chose. Shmiel Jäger était hiresh ! Comme je m'attendais à ce qu'elle parle yiddish ou allemand lorsqu'elle ne trouverait pas le mot anglais, j'ai été un peu troublé, jusqu'à ce que je me rende compte qu'elle venait de parler en hébreu. En prononçant ce mot, hiresh, elle avait pointé le doigt sur son oreille pour m'aider, tout comme le faisait ma mère quand elle était au téléphone avec mon grand-père et parlait yiddish - c'est comme ça que j'ai appris l'essentiel du yiddish que je connais. Toyb, a dit Shlomo. Sourd ! Je sais, ai-je dit. Il faut lui parler très fort, a continué Malcia. Sans doute la vivacité du souvenir l'avait fait repasser au présent. Et il était grand, ai-je suggéré. Oui, il était grand - un homme très gentil. Et... il aimait sa femme ! Malcia a de nouveau pris le visage de quelqu'un qui prend Dieu à témoin. Ho, ho, ho ! s'est-elle exclamée. Il l'aimait tellement. Je n'ai rien dit. Il est possible, après tout, de se référer à sa femme en disant die liebe Ester, « Ester chérie », par pure habitude ou obligation. Mais maintenant nous savions. Il aimait sa femme ! Si les amies de leurs enfants le savaient, me suis-je dit, ils devaient être assez démonstratifs, Shmiel et Ester, ce couple amoureux. Je lui ai montré une autre photo. Ya, duss ist Shmiel Jäger. Elle a soupiré. Shmiel Jäger, il était bel homme. Un bel homme, un très bel homme ! Puis, elle a levé la main en l'air et dit, Haut !     Malcia S'est assurée que nous avions bien tous du vin dans nos verres et a repris le fil de ses réminiscences. J'ai regardé la bouteille. murfatler pinot noir, disait l'étiquette. J'avais l'habitude d'aller avec ma mère pour acheter de la viande dans sa boucherie, a-t-elle dit. Et il donnait à ma mère la toute meilleure viande qu'il avait ! Ils se disaient tu, parce qu'ils étaient à l'école ensemble. Vous deviez donc avoir à peu près le même âge que Lorka, ai-je dit. Elle devait avoir peut-être un an de moins. Oui, oui, nous n'étions pas dans la même classe, mais nous allions à la même école - il n'y avait pas d'autre école à Bolechow ! Est-ce que vous jouiez ensemble ? Oui, oui, a dit Malcia. Puis, elle a semblé hésiter un instant avant d'ajouter, Mais elle était... chaque fois, elle était... Cherchant le mot anglais, elle s'est tournée vers Shlomo. Es tat ihr immer leid, a-t-elle dit, avec un rire espiègle. Elle était toujours blessée, toujours désolée. Insultée ? a offert Shlomo. Toujours ricanante, Malcia a dit en yiddish, Zi is immer geveyn mit a hoch Nase. Le nez haut ? Je n'avais jamais entendu cette expression. Ah ! Ah ! a dit Shlomo. Il s'est tourné vers moi et m'a regardé droit dans les yeux. Elle dit qu'elle se prenait, vous savez... pour « quelqu'un ». Il a posé un doigt sur le bout de son nez et l'a relevé pour exprimer, dans un geste universel, la suffisance. Pourquoi ça ? ai-je demandé à Malcia. Elle a fait une grimace désapprobatrice. Hé bien, elle savait qu'elle était jolie, qu'elle avait une belle maison, des parents bien... Quelle était exactement la réputation de la famille ? ai-je demandé, et là-dessus, elle s'est lancée dans une histoire. Il y avait une organisation charitable que son père avait fondée, appelée Yad Charuzim, La Main du Diligent. Elle a ri. Lorsque mon père était président, a-t-elle dit, je disais à tout le monde, Mon père est le président ! J'ai souri et elle a ajouté que Shmiel avait été président, lui aussi, à un moment donné. Ce qui explique enfin une photo que j'avais vue, des années auparavant, dans le livre Yizkor de Bolechow. Au bas des deux photos qui apparaissaient à la page 282, mon grand-père avait écrit les noms de ses frères Shmiel et ltzahk. Sur la photo, Shmiel est assis, en veste sombre avec chemise à col cassé et noeud papillon, au centre d'un groupe important d'hommes bien habillés ; assis par terre, Itzhak tenait le coin d'une pancarte sur laquelle devait être inscrit le nom d'un club quelconque, mais les seules lettres visibles sur la photo étaient CHA. À cet instant précis, Malcia a dit quelque chose rapidement à Shlomo, qui s'est levé et s'est dirigé vers une pile de documents. Il est revenu et m'a tendu une photocopie de format A-l de ce qui était, de toute évidence, la photo originale qui avait été si mal reproduite dans le Sefer HaZikaron LeKedoshei Bolechow. Il se trouve que l'original appartenait à Malcia. Sur la photocopie, la pancarte tenue par Itzhak est parfaitement lisible :   ZALOZYCIELE 19 JAD 28 CHARUZIM BOLECHOW   FONDATEURS DU YAD CHARUZIM, 1928, BOLECHOW.   Malcia a pointé le doigt sur un visage que je connaissais bien : beau, distant, élégante et impeccable petite moustache qu'il imaginait (je ne pouvais m'empêcher de le penser) lui donner l'air plus vieux, plus digne. Il n'avait que trente-trois ans. Itzhak, au contraire, a l'air un peu amusé. Voici Shmiel Jäger le président, sur cette photo, disait Malcia. Et voici mon père. Elle a pointé l'index sur un homme à l'air très digne, aux yeux pâles et avec une barbichette, assis dans la même rangée que Shmiel. Et voici Kessler, le charpentier, a-t-elle poursuivi. Une fois de plus, j'étais à la fois ému et peiné à l'idée que chacune de ces personnes avait une famille, une histoire ; et que, quelque part, quelqu'un qui s'intéressait, disons, à la famille Kessler était peut-être en train de dire, Et celui-ci, ce n'est pas Jäger, le grossiste, là au milieu, celui qui avait les camions ? Et lui, ce n'est pas son frère, celui qui avait la boucherie, tu te souviens de l'histoire... ? Oui, Lorka avait une belle maison, une bonne famille, a dit Malcia, en haussant un peu les épaules au moment où sa voix s'est éteinte. J'ai pensé de nouveau à Shmiel et à ses lettres adressées à mon grand-père.   Non pas que je doive raconter à vous, mes très chers, ce que même des étrangers disent, à savoir que j'ai les enfants les meilleurs et les plus distingués de Bolechow...   Ou,   Les gens à Bolechow me prennent pour un homme riche (puisque je paie des impôts énormes) et quiconque a besoin de quoi que ce soit vient voir Samuel Jäger. J'ai beaucoup d'influence ici et on m'accorde un traitement de faveur partout ailleurs, et il faut donc que je me présente bien partout. En fait, je passe mon temps avec les gens du meilleur milieu, je suis un hôte

«   Malcia S'estassurée quenous avions bientous duvin dans nosverres etarepris lefil de ses réminiscences.

J'airegardé labouteille.

murfatlerpinotnoir,disait l'étiquette. J'avais l'habitude d'alleravecmamère pouracheter delaviande danssaboucherie, a-t-elledit. Et ildonnait àma mère latoute meilleure viandequ'ilavait ! Ilsse disaient tu, parce qu'ils étaient àl'école ensemble. Vous deviez doncavoir àpeu près lemême âgeque Lorka, ai-jedit.Elle devait avoirpeut-être un ande moins. Oui, oui,nous n'étions pasdans lamême classe, maisnous allions àla même école– iln'y avait pas d'autre écoleàBolechow ! Est-ce quevous jouiez ensemble ? Oui, oui,adit Malcia.

Puis,elleasemblé hésiteruninstant avantd'ajouter, Maiselleétait... chaque fois,elleétait... Cherchant lemot anglais, elles'est tournée versShlomo.

Es tat ihrimmer leid, a-t-elle dit,avec un rire espiègle.

Elle était toujours blessée,toujours désolée.

Insultée ?a offert Shlomo. Toujours ricanante, Malciaadit enyiddish, Zi isimmer geveyn mit ahoch Nase.

Le nez haut ?Je n'avais jamaisentendu cetteexpression. Ah ! Ah ! adit Shlomo.

Ils'est tourné versmoietm'a regardé droitdanslesyeux.

Elleditqu'elle se prenait, voussavez...

pour« quelqu'un ».

Ilaposé undoigt surlebout deson nezetl'a relevé pourexprimer, dansungeste universel, lasuffisance. Pourquoi ça?ai-je demandé àMalcia. Elle afait une grimace désapprobatrice.

Hébien, ellesavait qu'elle étaitjolie, qu'elle avaitune belle maison, desparents bien... Quelle étaitexactement laréputation delafamille ?ai-je demandé, etlà-dessus, elles'est lancée dansunehistoire.

Ilyavait uneorganisation charitablequesonpère avait fondée, appelée YadCharuzim, LaMain duDiligent.

Elleari.

Lorsque monpère était président, a-t-elle dit, jedisais àtout lemonde, Mon pèreestleprésident ! J'ai souri etelle aajouté queShmiel avait étéprésident, luiaussi, àun moment donné.Cequi explique enfinunephoto quej'avais vue, desannées auparavant, danslelivre Yizkor deBolechow.

Aubas des deux photos qui apparaissaient àla page 282,mon grand-père avaitécritlesnoms deses frères Shmiel etltzahk. Sur laphoto, Shmiel estassis, enveste sombre avecchemise àcol cassé etnœud papillon, au centre d'ungroupe important d'hommes bienhabillés ;assis parterre, Itzhak tenaitlecoin d'une pancarte surlaquelle devaitêtreinscrit lenom d'unclubquelconque, maislesseules lettres visibles surlaphoto étaient CHA.Àcet instant précis,Malcia adit quelque chose rapidement àShlomo, quis'est levéets'est dirigé versunepilededocuments.

Ilest revenu et m'a tendu unephotocopie deformat A-ldecequi était, detoute évidence, laphoto originale qui avait étésimal reproduite dansle Sefer HaZikaron LeKedoshei Bolechow.

Il se trouve que. »

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