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Alquié et les passions

Publié le 27/02/2008

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Peut-on dire [...] que la passion nous permette d'aimer un être autre que nous ? Il n'en est rien et, en aimant le passé, nous n'aimons que notre propre passé, seul objet de nos souvenirs. On ne saurait aimer le passé d'autrui ; par contre, l'amour peut se porter vers son avenir, et il le doit, car, aimer vraiment, c'est vouloir le bien de l'être qu'on aime, et l'on ne peut vouloir ce bien que dans le futur. Tout amour passion, tout amour du passé, est donc illusion d'amour et, en fait, amour de soi-même. Il est désir de se retrouver, et non de se perdre ; d'assimiler autrui, et non de se donner a lui ; il est infantile, possessif et cruel, analogue à l'amour éprouvé pour la nourriture que l'on dévore et que l'on détruit en l'incorporant à soi-même. L'amour action suppose au contraire l'oubli de soi, et de ce que l'on fut ; il implique l'effort pour améliorer l'avenir de celui que l'on aime. Et si souvent l'aveuglement, et l'on ne sait quelle complaisance pour nos caprices, nous font désirer d'être passionnément aimés, il n'en reste pas moins que celui qui est aimé ainsi sait confusément qu'il n'est pas l'objet véritable de l'amour qu'on lui porte ; il devine qu'il n'est que l'occasion, pour celui qui l'aime, d'évoquer quelque souvenir, et donc de s'aimer lui-même. A cette tristesse chez l'aimé correspond chez l'aimant quelque désespoir, car le passionné sent bien que sa conscience ne peut parvenir à sortir de soi, à atteindre une extériorité, à s'attacher à une autre personne. Ainsi s'explique que l'inconstance des passions coïncide souvent avec leur violence. La violence de la passion vient de ce que sa source est l'égoïsme, sentiment d'une grande force, et souffrant mal les obstacles. L'inconstance de la passion vient de ce que l'objet vers lequel elle se porte n'est jamais que symbolique et accidentel : en son essence, l'amour passion est un amour abstrait. Tiré du passé de l'amant, il peut convenir a tout ce qui, dans le présent, évoque ce passé, apparaît comme son image. Aussi le passionné aime-t-il, non l'être réel et présent qu'il dit aimer, mais ce qu'il symbolise. Dans les cas de demi-lucidité, il aime cette recherche même du passé dans le présent : il aime alors l'amour, ce qui n'est pas aimer. ALQUIE

Nous avons ici à faire à un extrait d'une des oeuvres les plus connues de Ferdinand Alquié (1906-1985) : Le Désir d'éternité (1943).

Alquié aborde dans ce passage le thème de l'humaine passion amoureuse. Sa thèse est que la passion, loin d'être positive, constitue une illusion d'amour pur. Mais en est-elle pour autant le contraire ?

L'auteur se place donc dans la continuité ce débat de la philosophie moderne (notamment avec Descartes), prolongé à notre époque, qui cherche à distinguer les différents sentiments qui régissent la relation amoureuse. Il va discerner, d'un geste qu'on peut qualifier de sur-réaliste (ne niant pas une réalité mais l'englobant intellectuellement), l'activité amoureuse de la passivité amoureuse .

La question d'un possible amalgame entre passion et amour est ici posée : Les vertus amoureuses se retrouvent-elles dans la passion amoureuse. L'extrait de l'oeuvre d'Alquié constitue une réponse à cette question, divisé en trois moments d'analyse :

 

« II.

« Amour action »/passion narcissique L'amour vrai est aux antipodes de cela.

C'est un « amour action » (l.8), précise Alquié, fustigeant en cela lecaractère passif de la vanité passionnelle.

L'amour vrai est celui pour l'autre prochain, consistant à l'accueillir avectoute sa différence et voulant son bonheur.

Le projeter (futur), de surcroît, dans la relation amoureuse et oser s'yperdre.

Aller même contre sa propre édification puisque l'amour nécessite de faire abstraction de soi : « L'amouraction suppose au contraire l'oubli de soi, et de ce que l'on fut.

» (l.8-9).

Alquié définit ici un idéal de la relationamoureuse.

Ne peut-on pas imaginer une réalité plus complexe de la relation amoureuse où cohabite, de manièreplus ou moins équilibrée, passion et amour ? Ils sont contraires et l'humain imprudent (« aveuglement »,« complaisance »,« caprice », l.

10-11) qu'il soit passionné ou désire être l'objet d'une passion, le ressent (« saitconfusément ») bien dans les deux situations (« tristesse chez l'aimé [...] chez l'aimant quelque désespoir »).

L'aimésaisit le rôle qui lui est attribué tandis que l'aimant est rongé par son égocentrisme.

Tableau noir d'une passion qu'oneut put croire flamboyante et qui n'est que « tristesse » de la déception amoureuse (ne pas être aimé pour soi) ou« désespoir » d'aimer vraiment.

Le fait est que le sens commun reconnaît la souffrance dans la passion.

Déjà Platonl'évoque au travers du récit mythique d'Aristophane (Cf.

Le Banquet ) dans lequel chaque « moitié humaine » recherche son double complémentaire pour fusionner à nouveau (les hommes étaient des êtres – doubles à l'origine– qui, par sanction divine, furent séparés).

Impossible donc pour le passionné de se réjouir de la différence et de laliberté de l'autre, trop désespérément pressé de soulager un manque originel.

Et dans ce désespoir passionné lasensibilité particulière d'autrui n'a pas de place pour s'épanouir, comme l'exigerait l'accueil amoureux. III.

L'amour réel/ « l'amour passion » Il semblerait que Alquié rejoigne en quelque manière la conception cartésienne négative des passions.

Lacomparaison s'arrête là puisque l'auteur ne donne, explicitement dans ce texte, aucune positivité possible(Descartes l'a dit nécessaire et utile – si maîtrisée – pour acquérir le bien) à la passion.

Il va jusqu'à la fin dégagertoute la portée moralement condamnable de cette dernière : « inconstance », « violence », « égoïsme », l'autren'étant que l'« objet [...]symbolique et accidentel » de la passion irraisonnée de l'aimant (l.

16-19).

Il « aime »certes, mais tout sauf l'autre-objet, plutôt victime des négativités évoquées précédemment.

La « violence » a sacause dans l'égoïsme d'une passion ne tolérant pas le libre-arbitre (« souffrant mal les obstacles », l.

18) d' un autrerésistant naturellement à cette tentative d'assimilation symbolique à une passion révolue.

De là vient« l'inconstance » d'un être passionné à l'égard de cet autre simple objet.

Passionnément inconstant (Cf.

l.

18-19)comme l'est l'enfant avec son jouet, l'usant, le maltraitant, le cajolant, le délaissant.

Mais il s'agit cependant biend'une sorte d'amour, reconnaît Alquié ; un « amour passion », qui permet à la passion d'être consommée, certesdans l'illusion de l'amour vrai, ne fut-ce qu'un temps fugace.

Le présent est investi par l' « amour passion » de cettemanière, « l'amant » se tournant vers tout « ce » que l'instant pourra lui fournir « symboliquement » deressemblance à cet amour perdu (Cf.

l.

20-21) : l'autre est méprisé comme tel dans sa réalité effective.

Il existemême une passion vécue en « demi-lucidité », celle qui consiste en la conscience de l'amant d'un amour de l'amourmême, d'une soi-disant réalité plus haute que le simple désir d'objet.

Aimer pour l'idée même de revivre, de ressentirdes sentiments passés.

Mais Alquié conclue à une nouvelle forme d'illusion : « il aime cette recherche même dupassé dans le présent : il aime alors l'amour, ce qui n'est pas aimer.

» (l.

22-23). Conclusion C'est un texte qui ne laisse pas s'immiscer quelque bonne vue sur la passion.

Elle se manifeste premièrement etfondamentalement comme un amour passif d'un soi « ayant aimé » qu'il faudrait pourtant oublier pour aimervraiment l'autre tel qu'il se présente nouvellement. L'amour action est au contraire cette force consacrée à l'attention douce et constructive de l'être aimé en vued'un bonheur toujours d'abord pour lui, altruiste. Le seul amour qui soit réellement présent dans la passion est « auto-centré », fermé et infantile pourrait-ondire, puisqu'il ne veut pas s'élargir de la réalité et du futur.

Remarquons simplement qu'Alquié, faisant l'apologied'un amour idéal, néglige sans doute une réalité plus fine et ambiguë de toute relation amoureuse concrète.L'amour effectif dans la relation, ne peut être dès son origine, d'une pureté quasi amicale.

L'amour platoniquene fait en tout cas pas recette dans notre contradictoire monde actuel, fait de désirs instinctifs, d'imagesconformisantes (la « mode », la « tendance », le « glamour ») et de volontés d'individualité.. »

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