Alquié et les passions
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
Nous avons ici à faire à un extrait d'une des oeuvres les plus connues de Ferdinand Alquié (1906-1985) : Le Désir d'éternité (1943).
Alquié aborde dans ce passage le thème de l'humaine passion amoureuse. Sa thèse est que la passion, loin d'être positive, constitue une illusion d'amour pur. Mais en est-elle pour autant le contraire ?
L'auteur se place donc dans la continuité ce débat de la philosophie moderne (notamment avec Descartes), prolongé à notre époque, qui cherche à distinguer les différents sentiments qui régissent la relation amoureuse. Il va discerner, d'un geste qu'on peut qualifier de sur-réaliste (ne niant pas une réalité mais l'englobant intellectuellement), l'activité amoureuse de la passivité amoureuse .
La question d'un possible amalgame entre passion et amour est ici posée : Les vertus amoureuses se retrouvent-elles dans la passion amoureuse. L'extrait de l'oeuvre d'Alquié constitue une réponse à cette question, divisé en trois moments d'analyse :
«
II.
« Amour action »/passion narcissique
L'amour vrai est aux antipodes de cela.
C'est un « amour action » (l.8), précise Alquié, fustigeant en cela lecaractère passif de la vanité passionnelle.
L'amour vrai est celui pour l'autre prochain, consistant à l'accueillir avectoute sa différence et voulant son bonheur.
Le projeter (futur), de surcroît, dans la relation amoureuse et oser s'yperdre.
Aller même contre sa propre édification puisque l'amour nécessite de faire abstraction de soi : « L'amouraction suppose au contraire l'oubli de soi, et de ce que l'on fut.
» (l.8-9).
Alquié définit ici un idéal de la relationamoureuse.
Ne peut-on pas imaginer une réalité plus complexe de la relation amoureuse où cohabite, de manièreplus ou moins équilibrée, passion et amour ? Ils sont contraires et l'humain imprudent (« aveuglement »,« complaisance »,« caprice », l.
10-11) qu'il soit passionné ou désire être l'objet d'une passion, le ressent (« saitconfusément ») bien dans les deux situations (« tristesse chez l'aimé [...] chez l'aimant quelque désespoir »).
L'aimésaisit le rôle qui lui est attribué tandis que l'aimant est rongé par son égocentrisme.
Tableau noir d'une passion qu'oneut put croire flamboyante et qui n'est que « tristesse » de la déception amoureuse (ne pas être aimé pour soi) ou« désespoir » d'aimer vraiment.
Le fait est que le sens commun reconnaît la souffrance dans la passion.
Déjà Platonl'évoque au travers du récit mythique d'Aristophane (Cf.
Le Banquet ) dans lequel chaque « moitié humaine » recherche son double complémentaire pour fusionner à nouveau (les hommes étaient des êtres – doubles à l'origine– qui, par sanction divine, furent séparés).
Impossible donc pour le passionné de se réjouir de la différence et de laliberté de l'autre, trop désespérément pressé de soulager un manque originel.
Et dans ce désespoir passionné lasensibilité particulière d'autrui n'a pas de place pour s'épanouir, comme l'exigerait l'accueil amoureux.
III.
L'amour réel/ « l'amour passion »
Il semblerait que Alquié rejoigne en quelque manière la conception cartésienne négative des passions.
Lacomparaison s'arrête là puisque l'auteur ne donne, explicitement dans ce texte, aucune positivité possible(Descartes l'a dit nécessaire et utile – si maîtrisée – pour acquérir le bien) à la passion.
Il va jusqu'à la fin dégagertoute la portée moralement condamnable de cette dernière : « inconstance », « violence », « égoïsme », l'autren'étant que l'« objet [...]symbolique et accidentel » de la passion irraisonnée de l'aimant (l.
16-19).
Il « aime »certes, mais tout sauf l'autre-objet, plutôt victime des négativités évoquées précédemment.
La « violence » a sacause dans l'égoïsme d'une passion ne tolérant pas le libre-arbitre (« souffrant mal les obstacles », l.
18) d' un autrerésistant naturellement à cette tentative d'assimilation symbolique à une passion révolue.
De là vient« l'inconstance » d'un être passionné à l'égard de cet autre simple objet.
Passionnément inconstant (Cf.
l.
18-19)comme l'est l'enfant avec son jouet, l'usant, le maltraitant, le cajolant, le délaissant.
Mais il s'agit cependant biend'une sorte d'amour, reconnaît Alquié ; un « amour passion », qui permet à la passion d'être consommée, certesdans l'illusion de l'amour vrai, ne fut-ce qu'un temps fugace.
Le présent est investi par l' « amour passion » de cettemanière, « l'amant » se tournant vers tout « ce » que l'instant pourra lui fournir « symboliquement » deressemblance à cet amour perdu (Cf.
l.
20-21) : l'autre est méprisé comme tel dans sa réalité effective.
Il existemême une passion vécue en « demi-lucidité », celle qui consiste en la conscience de l'amant d'un amour de l'amourmême, d'une soi-disant réalité plus haute que le simple désir d'objet.
Aimer pour l'idée même de revivre, de ressentirdes sentiments passés.
Mais Alquié conclue à une nouvelle forme d'illusion : « il aime cette recherche même dupassé dans le présent : il aime alors l'amour, ce qui n'est pas aimer.
» (l.
22-23).
Conclusion
C'est un texte qui ne laisse pas s'immiscer quelque bonne vue sur la passion.
Elle se manifeste premièrement etfondamentalement comme un amour passif d'un soi « ayant aimé » qu'il faudrait pourtant oublier pour aimervraiment l'autre tel qu'il se présente nouvellement.
L'amour action est au contraire cette force consacrée à l'attention douce et constructive de l'être aimé en vued'un bonheur toujours d'abord pour lui, altruiste.
Le seul amour qui soit réellement présent dans la passion est « auto-centré », fermé et infantile pourrait-ondire, puisqu'il ne veut pas s'élargir de la réalité et du futur.
Remarquons simplement qu'Alquié, faisant l'apologied'un amour idéal, néglige sans doute une réalité plus fine et ambiguë de toute relation amoureuse concrète.L'amour effectif dans la relation, ne peut être dès son origine, d'une pureté quasi amicale.
L'amour platoniquene fait en tout cas pas recette dans notre contradictoire monde actuel, fait de désirs instinctifs, d'imagesconformisantes (la « mode », la « tendance », le « glamour ») et de volontés d'individualité..
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