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Article de presse: L'effondrement du socialisme algérien

Publié le 22/02/2012

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4-5 octobre 1988 -   " Le pétrole et le couscous ont bon dos, grogne un membre de l'intelligentsia algérienne en exil, comme beaucoup des élites, découragées par ce système, la crise vient d'une accumulation de facteurs explosifs. Trop c'est trop ! " Corruption, mauvais fonctionnement d'une économie trop centralisée, trop rigide, tout entière entre les mains d'une nomenklatura dépassée, réformes imprudentes mal acceptées, mal appliquées car incomplètes, qui ont exacerbé craintes et rancoeurs sans relancer la machine, tout s'est mêlé depuis des années pour nourrir, avec la crise pétrolière, le ras-le-bol algérien.    Un ras-le-bol qui devrait faire réfléchir le monde bancaire sur les risques sociaux et politiques d'une austérité prolongée, remède souvent imposé comme la panacée aux pays les plus pauvres. Car l'Algérie, qui n'a pas attendu le contre-choc pétrolier de 1986 pour " serrer la vis " à ses consommateurs, est longtemps passée pour un modèle de bonne gestion économique auprès de l'establishment financier. Témoin le satisfecit que lui accordait le Fonds monétaire international en septembre 1985 : " Il est remarquable que cette croissance exceptionnelle ait pu être atteinte en même temps que la balance des paiements courants a été améliorée ", écrivaient les experts du Fonds.    Indépendance nationale oblige, l'Algérie a mis son point d'honneur depuis le retournement du marché pétrolier en 1982 à se passer des bons offices des grands argentiers mondiaux. La dette extérieure, bien que lourde ( 21 milliards de dollars), a été contenue dans des limites raisonnables et a même été réduite pendant trois ans ( de 1982 à 1985), les remboursements et intérêts ( près de 6 milliards de dollars par an) réglés rubis sur l'ongle sans la moindre velléité de rééchelonnement. Passée la première surprise, le pays est même parvenu à surmonter le contre-choc de 1986 en rééquilibrant sa balance commerciale, excédentaire en 1987 de 1,5 milliard après un déficit de 800 millions en 1986. Un trou somme toute modéré au vu de la chute des recettes pétrolières amputées en 1986 de 40 % ( de 12,5 à 8 milliards de dollars) et qui représentent 95 % des revenus du pays.    Un élève exemplaire qui s'est même permis, il y a quelques mois, de refuser un prêt de 2 milliards de dollars proposé par le FMI ! Mais à quel prix ! Car la bonne gestion extérieure a été payée par une double cure d'austérité interne, dont les autorités reconnaissaient dès 1985 les limites sociales.    Premier tour de vis : la réduction sans cesse plus forte depuis 1982 des importations, contrôlées de près grâce au monopole d'Etat sur le commerce extérieur créé en 1978 et limitées depuis deux ans au strict minimum ( 7,5 milliards de dollars dont un tiers pour les seuls achats alimentaires). Conséquences : pénuries en ritournelle, pannes, et envolée parallèle des importations " sauvages ", du marché noir et des prix !    Seconde purge imposée par les circonstances en 1986 : la réduction d'un bon quart des dépenses du budget, tandis que les recettes fiscales tirées du pétrole tombent de moitié en un an. Les grands projets d'investissement ( automobile, sidérurgie) sont gelés. Dans un pays habitué depuis des lustres à vivre au rythme de l'Etat-providence, qui décide des investissements comme des prix, des salaires ou de la production, cette austérité budgétaire a un effet immédiat et catastrophique : elle stoppe brutalement la croissance.    De plus de 5 % l'an, le taux de croissance de l'économie tombe dès 1987 à moins de 3 %. Seuil fatal : la croissance démographique folle du pays ( 3,06 % par an !) dépasse désormais sa croissance économique.    Résultat : un alourdissement dramatique du nombre des chômeurs, estimé officiellement à 17 % de la population active ( probablement beaucoup plus). Une dynamique brisée    La dynamique est brisée, et tous les défauts du système, longtemps camouflés, apparaissent au grand jour, de plus en plus insupportables.    Le manque chronique d'infrastructures ( transports, logements, communications, etc.), de cadres moyens et de semi-produits, perturbe l'activité. Certains hôpitaux flambant neufs restent fermés faute d'infirmières ! Les coupures de courant, d'eau, de téléphone, et même les déraillements de train, sont quasiment quotidiens.    L'absence totale de système bancaire efficace et d'un tissu d'entreprises moyennes sous-traitantes accroît l'inefficacité des grands groupes nationaux créés depuis vingt ans pour jeter les bases d'une industrie lourde ( pétrochimie, sidérurgie, ciments, etc.), mais dramatiquement absents des secteurs de grande consommation et gérés par et pour des fonctionnaires. La bureaucratie paralysante, tatillonne, est trop souvent vénale. Enfin, la faillite complète de l'agriculture oblige le pays à importer les deux tiers de ses besoins alimentaires, aggravant pénuries et marché noir. Depuis plus d'un an, raconte un observateur, on voyait des gens voler sur les marchés des produits de base : pain, huile, semoule, etc.    Un système voué à la faillite, n'était l'économie souterraine qui seule permet de faire tourner la machine : travail clandestin, marché noir, contrebande, prévarication, fraude fiscale ( estimée à 10 % des recettes du budget !), marché parallèle des devises alimenté par la diaspora, etc. Cette activité parasitaire mais vitale entretient une classe de privilégiés et de " profiteurs " du régime, de plus en plus mal tolérés à mesure que l'austérité s'aggrave...    D'où la rancoeur accumulée contre la nomenklatura aujourd'hui vilipendée, qui, assure un Algérien, " verrouille tout et se pavane de façon ostentatoire... " D'où aussi le semi-échec des réformes lancées par le gouvernement depuis trois ans pour tenter de dynamiser une économie qui grimace de tous ses rouages. Le raisonnement est simple : d'ici à l'an 2000, compte tenu du caractère limité des réserves et de l'envolée de la consommation, l'Algérie n'aura plus de pétrole à exporter, donc plus de ressources extérieures.    En outre, la pression démographique sera telle que les dépenses sociales ( éducation, santé, alimentation) absorberont la totalité des ressources budgétaires. Cela quelle que soit l'évolution des cours du brut. Il faut donc d'une part préparer l' " après-pétrole " en poussant l'agriculture et l'industrie vers l'autosuffisance et, si possible, vers l'exportation. Et par ailleurs libéraliser le système pour permettre au secteur privé de se substituer à terme à la puissance publique.    De 1986 à 1988 les réformes s'accélèrent. L'agriculture est totalement restructurée : les fermes d'Etat sont, en deux étapes, à l'automne 1987, cédées en gérance à de nouvelles coopératives ou à des particuliers, les prix agricoles progressivement libérés-ce qui provoque une envolée de la production et... des prix !    Dans l'industrie, le secteur privé longtemps brimé retrouve droit de cité. Le code pétrolier est revu pour permettre aux compagnies étrangères de reprendre l'exploration sur le territoire. Les grandes entreprises nationales, d'abord morcelées en unités plus maniables sont débarrassées de la tutelle étroite des ministères.    Depuis juin, la participation de l'Etat est portée par des holdings chargés de contrôler a posteriori la gestion, désormais jugée sur des critères de rentabilité financière, et non plus sur le simple respect des objectifs du plan. Symbole : le ministère du plan lui-même est supprimé en novembre 1987, alors que les chambres de commerce sont réhabilitées.    Trop partielles, trop tardives, ces réformes ont jusqu'ici raté leur but. Le système de crédit, la fixation des prix, le contrôle des importations restent entre les mains de l'Etat. Les investisseurs privés, méfiants, demeurent dans l'attentisme.    Le statut national du travailleur mis en place pour rationaliser le système des rémunérations provoque une envolée des salaires, insuffisante toutefois pour rattraper l'inflation. Les fonctionnaires se sentent menacés. Pis encore : pour la première fois depuis 1962 les grandes entreprises nationales, sommées de devenir rentables, licencient...    Même la réforme de l'agriculture, pourtant suivie de résultats, suscite des rancoeurs. " Les barons du régime avaient eu les villas et les commissions sur le pétrole. Leurs fils ont eu les terres ", dit un observateur.    Bref, le gouvernement en lançant des réformes a pris tous les risques.    Le retrait de l'Etat-providence, brutalement accéléré par la crise pétrolière, a aiguisé les craintes des titulaires de rentes de situation sans toucher les vrais privilégiés du régime, et sans surtout relancer la machine, essoufflée par six années de rigueur. Une conjonction bel et bien explosive où la crise pétrolière n'a joué que comme " achève-tout "... VERONIQUE MAURUS Le Monde du 13 octobre 1988

« des gens voler sur les marchés des produits de base : pain, huile, semoule, etc. Un système voué à la faillite, n'était l'économie souterraine qui seule permet de faire tourner la machine : travail clandestin,marché noir, contrebande, prévarication, fraude fiscale ( estimée à 10 % des recettes du budget !), marché parallèle des devisesalimenté par la diaspora, etc.

Cette activité parasitaire mais vitale entretient une classe de privilégiés et de " profiteurs " du régime,de plus en plus mal tolérés à mesure que l'austérité s'aggrave... D'où la rancoeur accumulée contre la nomenklatura aujourd'hui vilipendée, qui, assure un Algérien, " verrouille tout et se pavanede façon ostentatoire...

" D'où aussi le semi-échec des réformes lancées par le gouvernement depuis trois ans pour tenter dedynamiser une économie qui grimace de tous ses rouages.

Le raisonnement est simple : d'ici à l'an 2000, compte tenu ducaractère limité des réserves et de l'envolée de la consommation, l'Algérie n'aura plus de pétrole à exporter, donc plus deressources extérieures. En outre, la pression démographique sera telle que les dépenses sociales ( éducation, santé, alimentation) absorberont la totalitédes ressources budgétaires.

Cela quelle que soit l'évolution des cours du brut.

Il faut donc d'une part préparer l' " après-pétrole "en poussant l'agriculture et l'industrie vers l'autosuffisance et, si possible, vers l'exportation.

Et par ailleurs libéraliser le systèmepour permettre au secteur privé de se substituer à terme à la puissance publique. De 1986 à 1988 les réformes s'accélèrent.

L'agriculture est totalement restructurée : les fermes d'Etat sont, en deux étapes, àl'automne 1987, cédées en gérance à de nouvelles coopératives ou à des particuliers, les prix agricoles progressivement libérés-ce qui provoque une envolée de la production et...

des prix ! Dans l'industrie, le secteur privé longtemps brimé retrouve droit de cité.

Le code pétrolier est revu pour permettre auxcompagnies étrangères de reprendre l'exploration sur le territoire.

Les grandes entreprises nationales, d'abord morcelées en unitésplus maniables sont débarrassées de la tutelle étroite des ministères. Depuis juin, la participation de l'Etat est portée par des holdings chargés de contrôler a posteriori la gestion, désormais jugéesur des critères de rentabilité financière, et non plus sur le simple respect des objectifs du plan.

Symbole : le ministère du plan lui-même est supprimé en novembre 1987, alors que les chambres de commerce sont réhabilitées. Trop partielles, trop tardives, ces réformes ont jusqu'ici raté leur but.

Le système de crédit, la fixation des prix, le contrôle desimportations restent entre les mains de l'Etat.

Les investisseurs privés, méfiants, demeurent dans l'attentisme. Le statut national du travailleur mis en place pour rationaliser le système des rémunérations provoque une envolée des salaires,insuffisante toutefois pour rattraper l'inflation.

Les fonctionnaires se sentent menacés.

Pis encore : pour la première fois depuis1962 les grandes entreprises nationales, sommées de devenir rentables, licencient... Même la réforme de l'agriculture, pourtant suivie de résultats, suscite des rancoeurs.

" Les barons du régime avaient eu les villaset les commissions sur le pétrole.

Leurs fils ont eu les terres ", dit un observateur. Bref, le gouvernement en lançant des réformes a pris tous les risques. Le retrait de l'Etat-providence, brutalement accéléré par la crise pétrolière, a aiguisé les craintes des titulaires de rentes desituation sans toucher les vrais privilégiés du régime, et sans surtout relancer la machine, essoufflée par six années de rigueur.

Uneconjonction bel et bien explosive où la crise pétrolière n'a joué que comme " achève-tout "... VERONIQUE MAURUS Le Monde du 13 octobre 1988. »

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