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Article de presse: La mise à mort du socialisme à la chilienne

Publié le 17/01/2022

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11 septembre 1973 - Depuis des semaines, des mois, pour les partisans comme pour les adversaires de la coalition de gauche de l'UP, comme on dénomme l'Unité populaire, l'imminence du golpe, du coup d'Etat militaire, était devenue si évidente que la même question était sur toutes les lèvres : " Quand et comment ? " A cette différence cependant : les militants de l'UP demandaient aussi, avec anxiété ou avec rage : " Que faire ? ", c'est-à-dire : " Comment nous défendre ? " Pourtant, les sympathisants des partis de gauche-communistes, socialistes, radicaux ou chrétiens-n'avaient pas de réponse claire, et surtout commune. En fait, pour l'Unité populaire, le compte à rebours avait commencé véritablement trois ans auparavant. Avant même la surprise du 4 septembre 1970, quand le socialiste Allende devança d'une courte tête (il avait eu 36,3 % des voix) une droite divisée entre démocrates-chrétiens et conservateurs du Parti national, la CIA, par la compagnie ITT interposée, avait déjà entrepris de conspirer en subventionnant aussi bien les candidats adverses que le journal El Mercurio, puissant fabricant d'opinion. Pour tenter d'éviter qu'Allende n'obtienne l'investiture indispensable des deux Chambres, ce fut le premier putsch, manqué, du 22 octobre 1970, qui coûta la vie au général Schneider, commandant en chef de l'armée, suspect de loyalisme. Or les militaires, au contraire, serrèrent les rangs, et la Démocratie chrétienne consentit à donner sa bénédiction au " marxiste " Allende, qui put s'installer normalement à la présidence le 4 novembre. Au cours des trois années agitées du gouvernement d'Unité populaire, les événements ont assez bien correspondu à la stratégie de déstabilisation adoptée à la Maison Blanche par le " comité des quarante ", bras occulte du Conseil national de sécurité des Etats-Unis : sabotage économique tendant à créer une situation de chaos, refus de tout crédit de financement, manipulation à la baisse du prix du cuivre à la Bourse de Londres, refus de livraison ou de vente de pièces de rechange, de produits alimentaires, etc. En revanche, les Etats-Unis continuaient à accueillir volontiers les officiers chiliens et à fournir aux trois armes l'essentiel du matériel qu'elles réclamaient. Ne disposant ni du pouvoir législatif-la gauche était minoritaire au Parlement-ni du pouvoir judiciaire-les tribunaux donnaient presque systématiquement satisfaction aux tenants de l'opposition,-encore moins du pouvoir militaire, Allende entendait s'appuyer sur... Montesquieu et l'Etat de droit, en alternant sourires et froncements de sourcils face aux généraux. L'exploit, dans ces conditions, fut qu'il parvint tout de même à augmenter la production et les salaires, à nationaliser le cuivre, une partie importante de l'industrie et des banques, et à mener presque à son terme la réforme agraire amorcée par l'administration précédente. Revers de médaille, l'augmentation des salaires gonfla la demande et entraîna l'augmentation des prix. Comme, de leur côté, les industriels répugnaient à réinvestir leurs bénéfices au moment même où les crédits extérieurs se tarissaient, le Chili tomba très vite malade d'une inflation qui, atteignant 238 % en 1973-record mondial,-provoqua le grippage de toute la machine. C'est sur cette toile de fond que se situe la contre-attaque d'une bourgeoisie qui, plus rapidement " léniniste " en l'occurrence que la classe ouvrière, regroupa ses forces et, appuyée par une presse efficace, organisa son offensive en utilisant, selon les circonstances, accusations constitutionnelles et groupes de choc. Paradoxalement, ce fut le succès de l'UP aux élections législatives de mars 1973 qui scella son sort. Recueillant 43,39 % des voix-véritable vote de confiance,-le gouvernement faisait la preuve non seulement qu'il n'était pas affecté par la traditionnelle " usure du pouvoir ", mais qu'il pouvait compter sur un soutien populaire nettement accru par rapport à l'élection présidentielle de 1970. Le " coup d'Etat légal ", repoussé désormais aux calendes grecques, ne restaient plus que les moyens tristement classiques. " Nous avons commencé les préparatifs pour le renversement d'Allende en mars 1973, dès le lendemain des élections législatives ", avouera au Corriere della sera le général d'aviation Leigh, l'un des quatre de la junte du 11 septembre. Le général Pinochet, lui, mûrissait son coup depuis plus longtemps encore : " Le 13 avril 1972, dira-t-il, nous sommes arrivés à la conclusion que le conflit entre les pouvoirs exécutif et législatif n'avait pas d'issue constitutionnelle. " Quelques jours après ces fameuses élections de mars, une réunion a lieu à La Paz (Bolivie), à laquelle participent un général de l'armée américaine ainsi que des officiers brésiliens, boliviens, paraguayens et chiliens. En mars-avril 1973, tandis que la Démocratie chrétienne ressort un projet tendant à annuler toute la politique d'étatisation de l'UP, les affrontements violents se multiplient dans les villes. Des ouvriers eux-mêmes entrent dans la danse: les mineurs de cuivre d'El-Teniente commencent une grève qui fait perdre 1 million de dollars par jour au pays. En mai-juin, des commandos de " gardes blancs " sont mis en place dans les campagnes par les propriétaires terriens touchés par la réforme agraire. Le Parti national exalte le " devoir de désobéissance " et entre en émulation avec la DC pour harceler Allende. El Mercurio affole l'opinion. Le dirigeant conservateur Onofre Jarpa (aujourd'hui à la tête du cabinet Pinochet) déclare : " Allende a cessé d'être président constitutionnel du Chili. " Le 29 juin, c'est le tancazo, le " coup des tanks ", autre tentative de putsch d'un régiment de blindés qui encercle le palais présidentiel de la Moneda et fait plusieurs morts avant de se rendre aux généraux Prats et... Pinochet. Alertés par Allende, les ouvriers se mobilisent, en particulier les milices des faubourgs de Santiago organisés en " cordons industriels ". Ces organismes de riposte plus ou moins autonomes sont nés avant et surtout pendant la première grève des camionneurs d'octobre 1972, soutenus par le courant de gauche du PS, le MAPU (Mouvement d'action populaire unifié) et le MIR (Gauche révolutionnaire). Ils voudraient préfigurer ce " pouvoir populaire " qui inquiète à la fois l'armée, la bourgeoisie et même le secteur modéré de l'UP (PC et radicaux), partisans du dialogue à tout prix plutôt que d'un affrontement considéré comme évitable. Mais les " cordons " sont à peu près dépourvus d'armes. Lorsque, en juillet, la grève des mineurs de cuivre se termine, une deuxième grève des camionneurs va prendre le relais. Elle entraînera commerçants, médecins, cadres des chemins de fer et des compagnies d'aviation. Peu à peu, le pays se paralyse, s'installe dans la grève, le marché noir, les manifestations de rue, le terrorisme même, car les explosions finissent par ne plus étonner personne. La pénurie frappe d'abord les plus pauvres, qui gardent pourtant leur confiance à Allende. De chaque côté d'un Chili de plus en plus nettement coupé en deux, on s'exaspère. Un plan anti-putsch En août, Allende fait grincer des dents la gauche de l'UP en faisant entrer les commandants en chef des trois armes et des carabiniers dans un " gouvernement de la dernière chance ". Les attentats ne diminuent pas pour autant. D'autre part, sous le couvert d'une " loi sur le contrôle des armes " votée en 1972 pour neutraliser les extrémistes, l'armée multiplie les perquisitions dans les usines, brutalise les ouvriers, confisque à l'occasion quelques vieux pistolets. Quand Allende se décide à limoger le général Ruiz, commandant en chef des forces aériennes et ministre des transports, dont la mollesse à l'égard des camionneurs en grève est par trop évidente, l'aviation ébauche un soulèvement. Au sein de l'UP, le clivage s'accentue entre " réformistes " et " révolutionnaires " les uns veulent d'abord " consolider l'acquis ", les autres " avancer sans transiger ", quitte à bousculer au besoin une légalité qui les étrangle. Le 22 août, le Parlement accuse Allende de ne pas respecter la Constitution et invite les militaires à ne pas se prêter aux " illégalités ". Le lendemain, le général Prats démissionne du gouvernement et de l'armée. Désormais, la voie est libre pour son successeur, le général Pinochet, dont Allende ne se méfie pas le moins du monde. En dépit d'une manifestation de près d'un million de personnes qui défilent six heures durant, le 4 septembre, devant la Moneda pour célébrer sa victoire électorale de 1970, réclamer un " pouvoir populaire " et l'inciter à avoir la " main lourde " à l'égard de la droite, Allende a fait son choix. Le 4 septembre, il réunit un groupe de généraux, parmi lesquels Pinochet, et leur fait part de son intention d'organiser, comme l'opposition l'avait réclamé, un référendum pour résoudre de manière démocratique le conflit l'opposant aux Chambres. Un plan anti-putsch est mis au point, qui prévoyait d'écarter du commandement les généraux séditieux et envisageait, en cas de rébellion, le concours des syndicats ouvriers. Mais c'est le général Pinochet que l'on charge de coordonner les opérations avec la CUT (Centrale unique des travailleurs) ! Il persuade Allende d'attendre plutôt la seconde quinzaine de septembre. Le message à la nation annonçant le référendum était prévu pour le 11 septembre... En guise de message, c'est donc un appel à la résistance que, ce matin-là, à 8 h 30, Allende lance du palais de la Moneda, où il est accouru avec son escorte. Mais, cette fois, l'armée n'en est plus à son " galop d'essai ", comme le 29 juin. Elle quadrille la ville, que les avions survolent en rase-mottes les blindés sont en position aux points stratégiques, les communications intérieures et extérieures sont parfaitement contrôlées. Loin du centre où l'on s'apprête à se battre, les civils refluent. " Travailleurs de mon pays, parvient à dire Allende, ils peuvent nous assassiner, mais on ne retient les mouvements sociaux ni par le crime ni par la force. Tôt ou tard se rouvriront les larges avenues par où passe l'homme libre... ". A 11 heures, un ultimatum lui donne quinze minutes pour se rendre. " Vous autres, généraux félons, ignorez ce que c'est que l'honneur ", répond-il. Près de lui demeure le dernier carré des fidèles: son conseiller et ami, l'excellent journaliste Olivares, que l'on trouvera mort à ses côtés; sa secrétaire inséparable, Myriam Contreras; son médecin Oscar Soto; quelques gardes du corps kamikazes... Autour de la Moneda, la canonnade est intense. Les tirs des chars se mêlent au crépitement des mitrailleuses, au sifflement des armes légères. Dans un dernier message, le plus dramatique, Allende prend congé: " Compatriotes, je vous dis au revoir... Que l'on sache qu'il y a des hommes qui savent remplir les charges qu'ils ont reçues... Je ne renoncerai pas... Je paierai de ma vie la loyauté envers le peuple... " A 11 h 30, trois chasseurs Hawker-Hunter font plusieurs passages au-dessus de la Moneda, qu'ils bombardent avec une précision impeccable à la roquette et à la mitrailleuse. Des flammes et d'épais nuages de fumée s'élèvent haut dans le ciel. Peu après 14 heures, c'est la fin. Lorsque les soldats pénètrent dans les décombres du palais, Allende n'est plus en vie. S'est-il suicidé en se tirant une rafale de mitraillette dans la bouche, comme l'ont indiqué d'abord deux survivants qui seraient arrivés quelques instants après l'événement ? A-t-il, au contraire, été abattu? Une chose seule est certaine : Allende est mort en combattant. Cette mort transfigure l'image souvent répandue du " père tranquille " de la révolution. L'envoyée spéciale à Santiago du Washington Post, Marlise Simmons, rapporte que, en apprenant le succès du putsch, M. Nathaniel Davis, ambassadeur des Etats-Unis au Chili, sabla le champagne... On connaît la suite. Les stades transformés en prison, la dénationalisation du cuivre, les grands domaines fonciers rendus à leurs anciens propriétaires, des années de répression et de dictature, dont on commence peut-être à entrevoir la fin. PIERRE KALFON Le Monde du 11-12 septembre 1983

« par la réforme agraire.

Le Parti national exalte le " devoir de désobéissance " et entre en émulation avec la DC pour harcelerAllende.

El Mercurio affole l'opinion.

Le dirigeant conservateur Onofre Jarpa (aujourd'hui à la tête du cabinet Pinochet) déclare :" Allende a cessé d'être président constitutionnel du Chili.

" Le 29 juin, c'est le tancazo, le " coup des tanks ", autre tentative deputsch d'un régiment de blindés qui encercle le palais présidentiel de la Moneda et fait plusieurs morts avant de se rendre auxgénéraux Prats et...

Pinochet.

Alertés par Allende, les ouvriers se mobilisent, en particulier les milices des faubourgs de Santiagoorganisés en " cordons industriels ".

Ces organismes de riposte plus ou moins autonomes sont nés avant et surtout pendant lapremière grève des camionneurs d'octobre 1972, soutenus par le courant de gauche du PS, le MAPU (Mouvement d'actionpopulaire unifié) et le MIR (Gauche révolutionnaire).

Ils voudraient préfigurer ce " pouvoir populaire " qui inquiète à la foisl'armée, la bourgeoisie et même le secteur modéré de l'UP (PC et radicaux), partisans du dialogue à tout prix plutôt que d'unaffrontement considéré comme évitable.

Mais les " cordons " sont à peu près dépourvus d'armes. Lorsque, en juillet, la grève des mineurs de cuivre se termine, une deuxième grève des camionneurs va prendre le relais.

Elleentraînera commerçants, médecins, cadres des chemins de fer et des compagnies d'aviation.

Peu à peu, le pays se paralyse,s'installe dans la grève, le marché noir, les manifestations de rue, le terrorisme même, car les explosions finissent par ne plusétonner personne.

La pénurie frappe d'abord les plus pauvres, qui gardent pourtant leur confiance à Allende.

De chaque côtéd'un Chili de plus en plus nettement coupé en deux, on s'exaspère. Un plan anti-putsch En août, Allende fait grincer des dents la gauche de l'UP en faisant entrer les commandants en chef des trois armes et descarabiniers dans un " gouvernement de la dernière chance ".

Les attentats ne diminuent pas pour autant.

D'autre part, sous lecouvert d'une " loi sur le contrôle des armes " votée en 1972 pour neutraliser les extrémistes, l'armée multiplie les perquisitionsdans les usines, brutalise les ouvriers, confisque à l'occasion quelques vieux pistolets.

Quand Allende se décide à limoger legénéral Ruiz, commandant en chef des forces aériennes et ministre des transports, dont la mollesse à l'égard des camionneurs engrève est par trop évidente, l'aviation ébauche un soulèvement.

Au sein de l'UP, le clivage s'accentue entre " réformistes " et" révolutionnaires " les uns veulent d'abord " consolider l'acquis ", les autres " avancer sans transiger ", quitte à bousculer aubesoin une légalité qui les étrangle. Le 22 août, le Parlement accuse Allende de ne pas respecter la Constitution et invite les militaires à ne pas se prêter aux" illégalités ".

Le lendemain, le général Prats démissionne du gouvernement et de l'armée.

Désormais, la voie est libre pour sonsuccesseur, le général Pinochet, dont Allende ne se méfie pas le moins du monde. En dépit d'une manifestation de près d'un million de personnes qui défilent six heures durant, le 4 septembre, devant la Monedapour célébrer sa victoire électorale de 1970, réclamer un " pouvoir populaire " et l'inciter à avoir la " main lourde " à l'égard de ladroite, Allende a fait son choix.

Le 4 septembre, il réunit un groupe de généraux, parmi lesquels Pinochet, et leur fait part de sonintention d'organiser, comme l'opposition l'avait réclamé, un référendum pour résoudre de manière démocratique le conflitl'opposant aux Chambres. Un plan anti-putsch est mis au point, qui prévoyait d'écarter du commandement les généraux séditieux et envisageait, en cas derébellion, le concours des syndicats ouvriers.

Mais c'est le général Pinochet que l'on charge de coordonner les opérations avec laCUT (Centrale unique des travailleurs) ! Il persuade Allende d'attendre plutôt la seconde quinzaine de septembre.

Le message àla nation annonçant le référendum était prévu pour le 11 septembre... En guise de message, c'est donc un appel à la résistance que, ce matin-là, à 8 h 30, Allende lance du palais de la Moneda, où ilest accouru avec son escorte.

Mais, cette fois, l'armée n'en est plus à son " galop d'essai ", comme le 29 juin.

Elle quadrille laville, que les avions survolent en rase-mottes les blindés sont en position aux points stratégiques, les communications intérieureset extérieures sont parfaitement contrôlées. Loin du centre où l'on s'apprête à se battre, les civils refluent. " Travailleurs de mon pays, parvient à dire Allende, ils peuvent nous assassiner, mais on ne retient les mouvements sociaux nipar le crime ni par la force.

Tôt ou tard se rouvriront les larges avenues par où passe l'homme libre...

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A 11 heures, un ultimatumlui donne quinze minutes pour se rendre.

" Vous autres, généraux félons, ignorez ce que c'est que l'honneur ", répond-il. Près de lui demeure le dernier carré des fidèles: son conseiller et ami, l'excellent journaliste Olivares, que l'on trouvera mort àses côtés; sa secrétaire inséparable, Myriam Contreras; son médecin Oscar Soto; quelques gardes du corps kamikazes...

Autourde la Moneda, la canonnade est intense.

Les tirs des chars se mêlent au crépitement des mitrailleuses, au sifflement des armeslégères.. »

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