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Corneille peint les hommes comme ils devraient être, Racine tels qu'ils sont.

Publié le 09/02/2012

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corneille

Les admirateurs, les partisans de Racine semblent avoir faussé ce jugement,

équitable en son fond, sinon en ses termes, susceptibles d'interprétations

erronées. D'après eux, le théâtre cornélien n'aurait, précisément

parce qu'il est «héroïque«, qu'un lointain rapport avec la vie; les chefsd'oeuvre

raciniens, au contraire, seraient tout proches de nous; car, pratiquement,

nous vivons suivant nos instincts et nos caprices, non selon

un idéal.

 

Cette formule fameuse n'avait point, sous la plume de son auteur, un

sens désobligeant; elle était la simple constatation d'un fait : Corneille

invente qes héros doués d'une raison lucide, d'une volonté forte, capable

de triompher de l'instinct; types d'une humanité supérieure, modèles à

imiter. Racine, par contre, nous offre des personnages le plus souvent

dominés par leurs passions, exemplaires de l'humanité moyenne, portraits

d'après nature....

corneille

« ou tue ...

Venge-moi, venge-toi!:.

Chimène est femme; elle n'est pas, comme on l'a dit des héros cornéliens, «tout d'une pièce »; les hésitations qui troublent son cœur sans ébranler sa vertu la rapprochent de nous.

Horace, provocant et barbare, Camille, maudissant sa patrie, sont-ils donc ce que nous devrions être?- A fortiori, si nous_ considérons les personnages .secondaires, sommes-nous obligés de conclure à la vérité des peintures de ce théâtre; Don Gormas, vaniteux et hâbleur, insolent et brutal;- Cinna, audacieux et hésitant, hardi dans ses discours, tremblant devant l'acte; Félix ·surtout, si nuancé, si humain, en ses bassesses, en ses craintes, en ses vils calculf!, ne sauraient passer pour des types supérieurs d'humanité.

Et si, poussant plus loin, portant nos investigations dans les œuvres- de moindre valeur, dans les pièces de la fin, nous composions une galerie complète de portraits, nous .

y découvririons au moins autant de .spécimens d'humanité moyenne, voire inférieure, que d'échantillons de « surhommes » • • •• Une rectification s'impose aussi, mais en sens inverse, en ce qui concerne· Racine.

Commençons par le premier chef-d'œuvre, Andromaque.

La veuve d'Hector est-elle la règle ou l'exception? Certes, nous connaissons de mères capables de renoncer à une vie brillante pour se dévouer mieux à ~eur enfant; des femmes qui gardent à l'époux disparu une admirable fidé- lité.

L'expérience nous prouve cependant que peu sont capables d'un tel héroïsme.

Sur les ailes du temps, la tristesse s'envole ...

Et si, d'un bond, arrivant à la dernière des tragédies de Racine, nous nous plaçons en face de ce surhomme qu'est Joad, trouvons-nous dans l'histoire beaucoup de noms à placer en.

regard du sien? Racine, on .le voit, sait être idéaliste et ne se confine pas toujours dans la réalité observée, tout au moins dans la basse réalité où grouillent les passions criminelles.

Quoi de plus idéal encore que l'amour pur et tremblant de Britannicus et de Junie, que le caractère d'Hipployte dans Phèdre? Affirmons-le, sans crainte de contredire La Bruyère, Racine sait peindre les hommes tels qu'ils de­ vraient être.

Ceci admis, reconnaissons toutefois- qu'il les représente le plus souvent tels qu'ils sont, c'est-à-dire faibles et misérables.

Quelle vérité dans Her­ mione dominée par sa passion amoureuse, égoïste, imprudente, impré­ voyante, parce que jeune et sans expérience,.

passant par des sentiments extrêmes, selon que Pyrrhus l'éconduit ou fait·\mine de la rappeler.

Quelle étude du cœur humain, sollicité par les vices, les penchants les plus dégra­ dants que la peinture de Néron, le « monstre naissant » ! ...

Racine avait déjà, en 1669, approché de la cour, déjà il avait rencontré et observé le scélérat flatteur des grands; de là cette vive lumière qu'il a projetée dans les replis de l'âme de Narcisse.

Il a joint à l'observation une intuition vrai" ment géniale pour faire de ce traître une des figures les plus odieuses et les plus réelles du théâtre.

Egoïsme, ambition, méchanceté, servilité, hypo~ crisie, habileté satanique, Narcisse est un composé de tout cela; et à chaque parole qu'il prononce, à chaque ·démarche qu'il entreprend, nous avons l'impression du vécu.

Mathan, · son frère dans la bassesse et la vilenie, n'est pas moins vrai, ni Aman, le ministre.

d'Assuérus.

·Cet exécrab~e trio n.e marque pas cependant le terme du génie de Racine; c'est dans ses portraits de femmes qu'il atteint son apogée Tous les sen­ timents qui peuvent agiter le cœur d'une mère, d'une amante, d'une épouse, ont été analysés par lui avec une sûreté, une subtilité incomparables; à ce point que, sans avoir éprouvé soi-même ces sentiments, on a l'impres­ sion qu'ils sont vrais.

Andromaque, Agrippine, Clytemnestre, Josabeth re­ présentent les conceptions les plus diverses, les nuances les plus variées. »

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