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Cours: LA LIBERTE (2 de 2)

Publié le 22/02/2012

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liberte

II. Valorisation de l’expérience de la liberté

II-1. La liberté comme liberté d’indifférence.

Il faut d’abord distinguer le motif intellectuel du mobile sensible, deux principes déterminants de la volonté qui diffèrent en nature. La liberté d’indifférence est donc cette capacité de la volonté à se déterminer en dehors de tout mobile. La liberté d’indifférence n’est qu’une pure négativité, indétermination absolue à choisir l’un plutôt que l’autre (exemple : choisir une carte dans un jeu de carte). Son principe est "  Sit proratione voluntas ", " que ma volonté tienne lieu de raison " (c’est-à-dire de principe déterminant). C’est la situation de l’âne de Buridan2, pour qui la volonté doit s’ériger comme moyen de l’arracher à l’indifférence initiale où l’a plongé l’absence de principes objectifs du choix.

Descartes illustre deux attitudes différentes entre la IVe Méditation (1641) et les Lettres à Mesland (1645). Pour Gilson, Descartes est incohérent (La liberté chez Descartes et la théologie) ; Pour Beyssade (La philosophie première de Descartes), il ne l’est pas.

Texte 7

" Quand au libre arbitre [...], je voudrais noter à ce sujet que l’indifférence me semble signifier proprement l’état dans lequel se trouve la volonté lorsqu’elle n’est pas poussée d’un côté plutôt que de l’autre par la perception du vrai ou du bien ; et c’est en ce sens que je l’ai prise lorsque j’ai écrit que le plus bas degré de la liberté est celui où nous nous déterminons aux choses pour lesquelles nous sommes indifférents. Mais peut-être d’autres entendent-ils par indifférence la faculté positive de se déterminer pour l’un ou l’autre de deux contraires, c’est-à-dire de poursuivre et de fuir, d’affirmer ou de nier. Cette faculté positive, je n’ai pas nié qu’elle fût dans la volonté. Bien plus, j’estime qu’elle s’y trouve, non seulement dans ces actes où elle n’est poussée par aucune raison évidente d’un côte plutôt que de l’autre, mais aussi dans tous les autres ; à tel point que, lorsqu’une raison très évidente nous porte d’un côté, bien que, moralement parlant, nous ne puissions guère choisir le parti contraire, absolument parlant, néanmoins, nous le pouvons. Car il est toujours possible de nous retenir de poursuivre un bien clairement connu ou d’admettre une vérité évidente, pourvu que nous pensions que c’est un bien d’affirmer par là notre libre arbitre. "

Descartes, A Mesland, 09/02/1645.

Texte 8

" Afin que je sois libre, il n’est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l’un ou l’autre des deux contraires ; mais plutôt, d’autant plus que je penche vers l’un, soit que je connaisse évidemment que le bien et le vrai s’y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l’intérieur de ma pensée, d’autant plus librement j’en fait choix et je l’embrasse. Et certes la grâce divine et la connaissance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté, l’augmentent plutôt, et la fortifient. De façon que cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d’aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et fait plutôt paraître un défaut dans la connaissance, qu’une perfection dans la volonté ; car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire ; et ainsi je serais entièrement libre, sans jamais être indifférent. "

Descartes, Méditation quatrième.

La liberté d’indifférence n’existe pas vraiment dans la vie courante : les exemples pour l’illustrer et en montrer l’existence sont toujours limites, neutres, et relèvent d’une construction intellectuelle. Une telle liberté sera critiquée par Freud et Leibniz. Ce débat sera réactivé au 20e à propos de l’acte gratuit (Descartes et Gide in Le Prométhée mal enchaîné et les Caves du Vatican par rapport à Leibniz et à Freud).

II-2. Une version plus élaborée : le Libre arbitre

Le Libre arbitre repose dans cette capacité à se décider en étant incliné sans être nécessité. Cette liberté de choix joue dans l’ordre théorique (affirmer - nier / Vrai - Faux) et pratique (rechercher - repousser). C’est là la " Potestas ad opposita ", le pouvoir de se décider en vertu des contraires. Nous avons là à faire à des motifs non déterminants, puisque nous avons la capacité à choisir en fonction de motifs qui orientent le choix, " qui inclinent sans nécessiter. " Si nous sommes inclinés par des raisons non nécessitantes à nous déterminer, nous ne sommes pas nécessités, en ce que, par le recours à la conscience, nous avons toujours la possibilité de nous arracher, même au prix d’un effort à toute détermination.

Une grosse difficulté subsiste : une telle théorie possède bien une valeur descriptive, mais non conceptuelle. Comment alors la fonder ? Pour qu’il y ait inclination sans nécessitation, il faut établir des rapports de causalité qui ne soient pas nécessaires. La volonté doit donc bénéficier d’un régime de causalité spécifique, être " un empire dans un empire " (Spinoza, Ethique, III, préface), constituer une " zone d’indétermination " (Bergson, Lettre à Léon Brunschvicg du 26-02-1903). Le libre arbitre, satisfaisant phénoménologiquement constitue un problème ontologique. La position humaniste, où l’homme se distingue du reste de la nature physique repose sur un dualisme esprit / matière. Ce dualisme s’oppose au monisme spiritualiste de Berkeley ou à un monisme matérialiste.

Penser le Libre arbitre nécessite de régresser jusqu'à l’ontologie qui la rend possible : le dualisme. Tous les matérialistes refusent le Libre arbitre, sauf Lucrèce. Dans De Natura Rerum, II, 216-296, il n’y a que deux éléments : le vide et les atomes. Les atomes chutent (clinamen), et certains peuvent changer spontanément de trajectoire. Pour l’homme, la liberté demeure dans le matérialisme. Mais, est-ce encore un matérialisme, puisqu’il y a deux principes / deux types d’atomes, ce qui nous ramène à un dualisme ontologique. Cicéron, critique Lucrèce (De Fato, X,22-23 et XX,46-48). Epicure et Lucrèce ont la même doctrine, sauf qu’Epicure ne parle pas du clinamen (Perte ? Rajout de Lucrèce ?).

II-3. La critique du Libre arbitre

La critique du Libre arbitre est déterministe, matérialiste, anti-humaniste : pour Laplace, l’illusion du Libre arbitre relève du langage (" motif ", " mobile " signifient en fait cause.) Cette critique ne nie pas que nous ayons une volonté comme fonction de l’esprit, mais nie que nous puissions librement choisir la manière dont nous voulons.

Le déterminisme est assimilé au fatalisme (cf. Diderot, Jacques le fataliste), et semble se ramener à l’argument paresseux, où ce qui doit arriver arrivera, quelles que soient les causes antécédentes. Or le déterminisme constitue son opposé : " science d’ou prévoyance, prévoyance d’ou action " (Comte).

Spinoza critique cette illusion du Libre arbitre (Ethique, I,32 et II,48. Ibid., III,2,Scolie ; lettre 58 à Schuller). Chez Spinoza, croire au Libre arbitre est une aliénation. En politique, l’absolue aliénation consiste à être aliéné, mais en se croyant libre dans une telle aliénation.

Texte 9

" J’appelle libre, quand à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d’une certaine façon déterminée. Dieu, par exemple, existe librement bien que nécessairement parce qu’il existe par la seule nécessité de sa nature. [...] Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une pierre par exemple reçoit d’une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvement et, l’impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion d’une cause extérieure. Et ce qui est vrai de la pierre il faut l’entendre de toute chose singulière [...] parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d’une certaine manière déterminée.

Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre tandis qu’elle continue à se mouvoir, pense et sache qu’elle fait effort, autant qu’elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu’elle a conscience de son effort seulement et qu’elle n’est en aucune façon indifférente, croira qu’elle est très libre et qu’elle ne persévère dans son mouvement que parce qu’elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. "

Spinoza, Lettre 58 à Schuller.

" L’expérience n’enseigne pas avec moins de clarté que la Raison, ce fait que les hommes se croient libres par cela seul qu’ils sont conscients de leurs actions mais qu’ils ignorent les causes qui les déterminent. "

Spinoza, Ethique, III, 2, scolie.

Texte 10

" Il n’y a jamais d’indifférence d’équilibre, c’est-à-dire où tout soit parfaitement égal de part et d’autre, sans qu’il y ait plus d’inclination vers un côté. Une infinité de grands et de petits mouvements internes et externes concourent avec nous, dont le plus souvent on ne s’aperçoit pas ; et j’ai déjà dit que, lorsqu’on sort d’une chambre, il y a telles raisons qui nous déterminent à mettre un tel pied devant, sans qu’on y réfléchisse. [...] Une cause ne saurait agir, sans avoir une disposition à l’action. [...] Car l’univers ne saurait être coupé mi-parti par un plan tiré par le milieu [...] en sorte que tout soit égal et semblable de part et d’autre. [...] Encore dans l’homme le cas d’un parfait équilibre entre deux partis est impossible, et qu’un ange, ou Dieu au moins, pourrait toujours rendre raison du parti que l’homme a pris, en assignant une cause ou une raison inclinante qui l’a porté véritablement à le prendre, quoique cette raison serait souvent bien composée et inconcevable à nous-mêmes, parce que l’enchaînement des causes liées les unes avec les autres va loin. C’est pourquoi la raison que M. Descartes à alléguée, pour prouver l’indépendance de nos actions libres par un prétendu sentiment vif interne, n’a point de force. "

Leibniz, Essais de théodicée, I, §§ 46-50.

 

La thèse déterministe a deux avantages : elle présente un univers simple, non composé, et est conforme à la démarche scientifique, le tenant du libre arbitre étant (peut-être) un naïf adhérent à une fiction théologique.

La réponse que l’on peut faire au déterministe consiste à déplacer le débat sur la question de la responsabilité. Le déterministe ignore toute imputation de l’action, et donc toute responsabilité. L’article 64 de l’ancien Code Pénal est remplacé dans le Nouveau Code Pénal par les articles 122-1 et 122-2 intitulés " Des causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité ", dans lesquels la responsabilité est pénale, sans que la responsabilité anthropologique et éthique demeure inatteinte. Si l’ancien Code Pénal dit " c’est bien, c’est mal ", le nouveau dit " c’est conforme aux lois ".

Texte 11

Art 64. Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pas pu résister. "

Code pénal, article 64 (abrogé).

Art. 122-1. N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moments des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime.

Art. 122-2. N’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister. "

Nouveau code pénal, articles 122-1 et 122-2.

 

La question est donc de savoir quel point de départ il convient de choisir pour le débat sur la liberté, entre la conscience et les exigences de la raison, l’expérience et la raison, la conscience et le concept (Leibniz, Carnap, Wittgenstein). Cela renvoie à la question du critère de la vérité, entre conscience claire et distincte et idée cohérente.

III. Le probable

Dans l’opposition de la théorie du libre arbitre (ontologie dualiste) et du déterminisme (ontologie moniste), ne faut-il pas rétablir le probable, ni arbitraire, ni nécessaire, comme moyen terme ? Le probable n’est pas une catégorie ontologique (une manière d’exister dans le monde), mais une modalité épistémologique (notre manière inadéquate de connaître), signe de notre déficience de connaissance. Laplace, Théorie des probabilités : " La probabilité est redevable en partie à notre connaissance, en partie à notre ignorance. " La probabilité ne peut s’appliquer à la question de la liberté.

En 1920-1930, se pose la question de l’indéterminisme probabilitaire (Feyman, Cours de physique, " mécanique quantique " et Bitbol, Mécanique quantique, une introduction philosophique). En mécanique classique, la prévision de la trajectoire d’une balle de fusil est toujours possible, au moins en droit, alors qu’en mécanique quantique, la détermination de la trajectoire d’un photon n’est que probable. La question est alors de savoir si le probabilisme est le mode d’être du photon, ou s’il s’agit d’un déficit de connaissance de notre part. Une partie de l’être peut-elle régie par la probabilité ? Ce n’est pas l’avis d’Einstein, pour qui " Dieu ne joue pas aux dés. " partisan d’un déterminisme absolu, il ne veut pas changer de paradigme (cf. Kuhn) par rapport à la physique classique. Question de l’électron libre.

III-1. L’antinomie déterminisme - liberté en théologie

On retrouve cette antinomie en théologie chrétienne concernant la grâce, aide que Dieu apporte aux hommes pour que les hommes se comportent bien. Il y a deux camps (cf. Pascal, Les provinciales) : pour les jansénistes (Arnauld, Pascal, Nicole) et les protestants (Luther, Le Serf-arbitre), la grâce est toujours efficace. Nous n’avons pas besoin de coopérer. Grâce nécessitante. C’est la reprise de Spinoza en théologie. Pour les jésuites et les molinistes (Descartes), la grâce incline sans nécessiter. Nous devons donc coopérer, décider librement.

La même antinomie se retrouve concernant la question de la liberté divine (question qui signifie en fait " quel est le meilleur régime de fonctionnement de notre liberté ? " Cf. ; Feuerbach, L’esprit du christianisme). Pour les thomistes et Descartes, Dieu est libre (création des vérités éternelles). Selon Gueroult, Dieu est déterminé par rapport à sa bonté, alors que pour Marion, il est totalement libre. Pour Leibniz, Dieu est nécessité.

Les rapporte entre l’homme et Dieu peuvent être pensés sous le régime de l’univocité (même liberté pour l’homme que pour Dieu), sous celui de l’analogie (liberté humaine analogue à celle de Dieu) ou celui de l’équivocité (liberté différente).

III-2. L’antinomie déterminisme - liberté en littérature

Le grand roman du 19e, (Balzac, Flaubert, Zola) relève d’un genre déterministe, qui se traduit par l’hérédité chez Zola (alcoolisme, débilité...), le contexte social chez Balzac et le caractère chez Hugo. Les romanciers du 19e se donnent le point de vue de Dieu sur leurs personnages (cf. Proust : se rendant chez la marquise, le héros ne sait pas encore qu’il est fou amoureux d’elle).

Sartre est l’exemple même d’auteur de romans de la liberté : dans une temporalité identique à la notre, tout n’est pas donné d’avance. Cf. Sartre, Les chemins de la liberté, et surtout L’âge de raison. A ce sujet, cf. Nabert, L’expérience intérieure de la liberté, pp.168-170 et Sartre, Situations I, " M. François Mauriac et la liberté ".

Les partisans du libre arbitre s’appuient sur la confiance de la conscience et de l’expérience. Ce sont les philosophes de la conscience. Le nécessitarisme renvoie à une exigence de rationalité et d’intelligibilité du réel. Ce sont les philosophes du concept. Cette opposition est thématisée par Cavaillès (cf. plus haut).

La généalogie de cette opposition peut se trouver chez Nietzsche, dans Par delà le Bien et le mal, art. 21. Pour lui, le déterminisme résulte d’une volonté de puissance affaiblie, alors que le libre arbitre résulte d’une telle volonté hypertrophiée. Attention à l’explication psychologisante ! Ayant fait une bêtise, on rentre plutôt dans une logique du déterminisme ; ayant fait une bonne action, on rentre plutôt dans une logique du libre arbitre.

III-3. La solution de l’antinomie : Kant

Arendt, op. Cit., pp. 187-188 : très bon résumé sur la doctrine kantienne de la liberté. Alquié, La critique kantienne de la métaphysique., et Eisler, Kant-Lexicon.

Dans la Critique de la raison pure, la troisième antinomie (les antinomies sont des théories de l’indécidable en philosophie) est l’antinomie de la liberté, qui est résolue en deux temps. Une solution présentée comme possible est l’opposition entre phénomène et noumène, où thèse et antithèse sont vraies, mais pas du même point de vue. Le libre arbitre est possible du point de vue nouménal, mais seulement possible dans la Critique de la raison pure. Cf. Critique de la raison pratique, Quadrige, p.111. On retrouve là la distinction penser / connaître.

 

Dans la Critique de la raison pratique, la liberté acquiert une réalité, la liberté nouménale devient une réalité, en partant d’un fait : le devoir et la liberté en est la condition de possibilité. L’expérience que nous faisons du devoir nous amène à penser une liberté nouménale. Cf. Fondements de le métaphysique des moeurs, I-II : il y a du devoir, même si son contenu peut varier dans le temps et l’espace. C’est là un fait de la raison. Problème numéro 1 dans la Critique de la raison pratique : il y a du " tu dois. " Quelle est la volonté ainsi déterminée ? Kant procède à une analyse de la notion du devoir, en montrant qu’il y a contrainte pour nous, du fait d’un conflit interne.

Le fait que certaines de nos actions se donnent sur le mode du devoir témoigne d’une dualité en notre être, dualité qu’ignore la nature ou Dieu (ignorance du devoir). L’homme est pris entre la nature et Dieu, entre raison (universel) et sensibilité (particulier). Il expérimente ce conflit entre universel et particulier. Le devoir nous découvre notre liberté : " Tu dois, donc tu peux " (Scolie du problème 2). Le devoir est ratio cognoscendi (ce qui fait connaître) de la liberté (Ibid.), la liberté est ratio essendi (condition de possibilité) du devoir : il n’y a donc pas de cercle logique.

 

Autonomie de la volonté : être libre, c’est se donner à soi-même sa propre loi (cf. Rousseau). C’est un thème décisif, puisqu’il s’agit de penser la liberté de la volonté autrement que négativement (comme non déterminée), à partir de " catégories de la liberté ", dont la première est l’autonomie de la volonté.

L’avantage de la position kantienne est qu’elle désigne la condition de possibilité ontologique du libre arbitre (cf. Critique de la raison pratique, Quadrige, pp.108-109) et qu’elle caractérise positivement la liberté. Kant ne dépasse pas l’autonomie de la volonté. Comment penser ce caractère intelligible, puisqu’il est impossible de le penser avec les catégories ? La théorie kantienne de la métaphysique n’est elle pas une idéologie, au sens popperien du terme ?

On peut déterminer trois attitudes par rapport à Kant : le spinozisme, le kantisme mystique où la liberté constitue un ineffable et la phénoménologie kantienne, où il s’agit d’identifier des manifestations de la liberté et de remonter à leurs conditions de possibilité (programme repris par Fichte) : remords, promesse... De " qu’est ce que la liberté ? ", on passe à " que fait la liberté ? ", insistant par là sur le caractère, la productivité et la personnalité de la conscience. Ainsi, promettre renvoie à ses conditions de possibilité : la coexistence d’un caractère empirique et nouménal chez le même individu. Pourquoi ai-je besoin de promettre ? Parce que je sais que je change (Pascal, Pensées 136, 641, 673, éd. Lafuma), que je suis pris dans l’espace et le temps, tout en reconnaissant que je suis quelque chose d’autre que la pure empirie. Idem pour le remords, le doute, la fidélité, le pardon, actes qui font signes vers un sujet duel. La philosophie kantienne est une philosophie de l’incarnation, la liberté ne s’explique pas mais se montre.

Texte 12

" Notre nature est dans le mouvement, le repos entier est la mort.  "

Pascal, Pensées, 641.

" Il n’aime plus cette personne qu’il aimait il y a dix ans. Je crois bien : elle n’est plus la même ni lui non plus. Il était jeune et elle aussi ; elle est tout autre. Il l’aimerait peut-être encore telle qu’elle était alors. "

Ibid., 673.

Sur le projet par rapport à la délibération, cf. Ethique à Nicomaque III, 5 et Michel Malherbe, Qu’est-ce que la causalité ?, Vrin, 1994, pp. 61-62.

IV. La liberté en actes : les libertés (politique, juridique, d’opinion...)

IV-1. Hiérarchiser les libertés

Comment hiérarchiser les libertés ? Les auteurs de philosophie politique passent souvent par une fiction. Chez Spinoza, la liberté d’expression est le principe des autres (Traité Théologico-politique, 20) ; chez Marx, c’est la liberté économique ; chez Locke, la liberté de propriété ; chez les anarchistes, la liberté des mœurs. Pour le jeune Marx (1844), il y a une nature humaine qui cherche à jouir de la nature, d’où l’importance accordée chez lui aux libertés réelles.

Il s’agit de ne pas survaloriser la liberté, qui n’est pas la seule fin que peut choisir de se donner une communauté politique (sécurité, égalité, justice...).

Le rapport entre la liberté interne et les libertés externes est très bien vu par Malebranche, Traité de la nature et de la grâce, III, 1, §§ 9-11.

Texte 13

" On s’imagine ordinairement, que la liberté est égale dans tous les hommes, et que c’est une faculté essentielle aux esprits, la nature de laquelle demeure toujours la même, quoique son action varie selon les divers objets. Car on suppose sans réflexion une parfaite égalité dans toutes les choses, où l’on ne remarque pas sensiblement d’inégalités. On se soulage l’esprit, on le délivre de toute application, lorsqu’on donne à toute chose une forme abstraite, dont l’essence consiste dans une espèce d’indivisible. Mais on se trompe ; la liberté n’est point une faculté telle qu’on se l’imagine. Il n’y a pas deux personnes également libres à l’égard des mêmes objets. Les enfants le sont moins que les hommes qui ont tout à fait l’usage de leur raison : et il n’y a pas même deux hommes qui aient la raison également éclairée, également ferme et assurée à l’égard des mêmes objets. "

Malebranche, Traité de la nature et de la grâce, III, 1, § 9.

IV-2. Le monde, le temps et moi

La définition que donne Locke de la liberté (Essai, II,21, § 10), où " la Liberté n’est pas une idée qui appartienne à la volition, (...) mais à la personne qui a la puissance d’agir ou de s’empêcher d’agir " peut être interprétée d’un point de vue anti-métaphysique (refus d’une liberté de la volonté), ou comme un lien entre les deux, comme extériorisation d’une liberté personnelle.

Quel est le domaine d’exercice de ce pouvoir ? Question des rapports de la liberté et du monde.

L’attitude stoïcienne, dans la distinction de ce qui dépend de nous et n’en dépend pas (Epictète, Entretiens, I, 22, 9-10) constitue un moment fondamental pour déterminer une liberté en situation. Il y a là une bipartition ontologique qui ne constitue pas un jugement de valeur. Une telle distinction est reprise chez Descartes dans la morale par provision.

Le Kairos. (Aubenque, La prudence chez Aristote, pp. 85-105 et Schull, " De l’instant propice "). Le Kairos a d’abord un sens spatial, il est le lieu correct dans la cuirasse où il convient de frapper, le point faible de celle-ci (Illiade, VIII-84). Dans le Cratyle, 387, il s’agit de la manière adéquate de prendre les choses selon leur nature.

Texte 14

" Les actions aussi se font donc suivant selon leur propre nature, et non suivant notre opinion. Par exemple, si nous entreprenons, nous, de couper un objet, devons-nous le couper comme il nous plaira et avec ce qui nous plaira ? N’est ce pas en voulant couper chaque objet comme la nature veut qu’on coupe et qu’on soit coupé et avec l’instrument naturellement approprié que nous réussirons le mieux à couper et que nous ferons correctement l’opération ? Si au contraire nous allons contre la nature, n’est-il pas à craindre que nous manquions le but et ne fassions rien de bon ? "

Platon, Cratyle, 387.

Dans un sens temporel, le Kairos signifie le moment opportun (Ethique à Nicomaque, 1004 b24). Il faut attendre que la structure du monde offre l’opportunité pour que mon action s’y investisse. Platon, Lettre VII et Descartes Méditation I. C’est la logique du records sportif, qui ne peut être battu que s’il y a entraînement et adéquation des conditions d’exercice.

V. Conclusion

  • Réflexion sur la liberté s’incarnant dans le monde. Moins il y a d’inconnu, plus je peux sélectionner le moment opportun. C’est la connaissance qui libère.

  • Cratyle. Question des rapports de la création et des objets auxquels elle s’applique, de l’action et de la naturalité de l’objet. Question de l’écologie.

  • Sur le temps. Le Kairos permet de sortir d’une conception indifférentiste de la liberté, constituée d’une suite de moments isosynchrones, alors que le Kairos repose sur un moment spécifique qui diffère de tous les autres, sur une temporalité comportant des points remarquables.

Deux textes. Un texte inquiétant, l’Evangile selon Saint Marc, 11, 11-12, sur le figuier et le passage du Christ (sommes-nous condamnés à rater l’occasion ?). Le Prince, 23-25, sur l’occasion en politique.

Texte 15

" Il entra à Jérusalem dans le Temple et, après avoir tout regardé autour de lui, comme il était déjà tard, il sortit pour aller à Béthanie avec les Douze. Le lendemain, comme ils étaient sortis de Béthanie, il eut faim. Voyant de loin un figuier qui avait des feuilles, il alla voir s’il s’y trouverait quelque fruit, mais s’en étant approché, il ne trouva rien que des feuilles : car ce n’était pas la saison des figues. S’adressant au figuier, il lui dit : " Que jamais plus personne ne mange de tes fruits ! " Et ses disciples l’entendaient. "

Evangile selon Saint Marc, 11, 11-12.

Notes

1 Déterminisme : " Doctrine selon laquelle l’ensemble du réel est un système de causes et d’effets nécessaires, y compris les faits qui paraissent de façon illusoire relever de la liberté ou de la volonté " (Pratique de la philosophie de A à Z, Hatier, 1995, p. 86).

2 Âne de Buridan : " Âne imaginaire qui, selon le philosophe Buridan (XIVe siècle), ayant également faim et soif, hésite entre une botte de foin et un seau d’eau et, incapable de choisir, se laisse mourir. Il est l’illustration de la " liberté d’indifférence ", c’est-à-dire de la situation d’une personne incapable de choisir entre deux actes, les mobiles ou motifs en faveur de l’un ou de l’autre étant équivalents. Chez Descartes, cette liberté d’indifférence est considérée comme " le plus bas degré de la liberté ", même si elle témoigne en même temps d’un pur libre arbitre qui apparente l’homme à Dieu. " (Pratique de la philosophie de A à Z, Hatier, 1995, p. 16).

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