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Y a-t-il de la démesure dans la volonté de savoir ?

Publié le 22/02/2012

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Selon si l'on définit la démesure comme l'hybris des Anciens ou plutôt comme la sublimation de l'homme par lui-même, on ne donne pas le même sens à la question de dissertation. En effet, pour les Anciens, la démesure est un excès d'orgueil qui se traduit par un dépassement de la mesure (

« respecter et en aucun cas d'essayer de le surpasser, par présomption ou par orgueil.

Même si pour Descartes, touteconnaissance part de l'Homme, il n'en demeure pas moins que c'est Dieu qui a mis en l'esprit de l'homme l'Idée de laperfection.

Et cette perfection est le cosmos entier, globalisant, qui est la mesure-même. "Ne soyez pas plus sage qu'il ne faut, mais soyez sobrement sage", pose Montaigne, dans les Essais, ce qui est uneincitation à la mesure.

On peut cependant se demander s'il est réellement possible de vivre en accord avec lamesure, et de se penser avec mesure, étant donné que "la mesure nous est étrangère, avouons-le; ce qui nousexcite, c'est l'attrait de l'infini, de la démesure" (Nietzsche, Par-delà le bien et le mal).

Nous sommes doncincapables de nous penser sans démesure.

Il devient alors indispensable de se poser la question de la démesure,mais comment comprendre cette démesure? Le sens commun l'entend comme l'hybris, c'est à dire le franchissementdes limites qui dénote de l'orgueil de l'homme, de sa présomption à vouloir s'ériger comme la mesure, et donc par là àfaire preuve de démesure.

C'est cette première acception que nous étudierons ici.La prétention et l'orgueil de l'homme viennent, selon Rousseau, de l'éducation qu'on apporte à l'enfant.

En effet,dans l'Emile, il explique que c'est la société et ses normes qui pervertit les hommes alors qu'à l'état de nature, ilssont bons, vierges de toutes méchanceté et de toute présomption.

Pour lui, c'est en cela que la volonté de savoirque la société pousse l'homme à rechercher, est démesurée: elle rend l'homme mauvais et le pousse à se sentirsupérieur à ses semblables.

Finalement, c'est l'amour du pouvoir donc le désir de s'élever socialement, qui gonfle lavolonté de savoir des hommes, cette dernière n'est donc que démesure, parce que les instincts bas des hommes lasalissent et s'en servent à une fin purement utilitaire: il y a de la démesure à user de sa raison en des desseinsaussi peu louables.

C'est mettre au service d'une cause corrompue dont le principal but est plutôt la création d'unchaos général ou d'une tyrannie, le logos, cette exceptionnelle capacité de mesure dont l'homme dispose: laprésomption étouffe la mesure et la transforme en orgueil incommensurable: c'est l'hybris.

Il ajoutera, dans sonDiscours sur les sciences et les arts, que "les sciences et les arts doivent leur naissance à nos vices", et qu'on "netrouvera pas aux connaissances humaines une origine qui réponde à l'idée qu'on aime à s'en former".

De cette façon,il explique que la volonté de savoir et de créer ne provient finalement que des désirs vils de l'homme, comme celui dupouvoir, ainsi que de son orgueil.

Cette volonté de se faire l'égal du Dieu si on veut tout connaître et être doté de lacapacité de création, est donc la preuve qu'il y a de la démesure dans la volonté de savoir de l'homme, et que cettedémesure le tire par le bas.On peut par ailleurs se demander si la justification morale de la volonté de savoir ne pourrait pas conduire à unappétit irrépressible de savoir sujet à de dangereuses dérives.

Pascal revendique la nécessité de trouver un usagede la raison qui soit conforme à sa nature, sans quoi celle-ci fait immanquablement, comme chez Descartes,l’expérience de la démesure.

L'homme qui veut uniquement entendre qu'il est grand, et non qu'il estmisérable, tombe dans la vanité et la démesure, puisqu'il ne prend pas en compte les injonctions de sa raison àouvrir les yeux sur sa véritable nature (Disproportion de l'Homme, Les Pensées).

Pascal ajoute dans sa partie desPensées intitulée Les deux infinis que "manque d'avoir contemplé ces infinis, les hommes se sont portéstémérairement à la recherche de la nature, comme s'ils avaient quelque proportion avec elle.

C'est une choseétrange qu'ils ont voulu comprendre les principes des choses, et de là arriver jusqu'à connaître tout, par uneprésomption aussi infinie que leur objet.

Car il est sans doute qu'on ne peut former ce dessein sans une présomptionou sans une capacité infinie, comme la nature." La présomption de l'homme le pousse dans l'hybris, l'envie de vouloirdépasser Dieu, et s'ériger en maître créateur, en principe essentiel du monde, alors que ce n'est pas le cas.

D'où la"misère de l'homme".Pour Saint Augustin, la volonté de savoir en tant qu'elle est un désir irrépressible de connaissance, entraine l'hommedans le péché du fait de son orgueil, et parce qu'il se détourne de Dieu pour essayer d'atteindre des vérités detoute façon inaccessibles à l'homme, parce qu'elles sont de l'ordre de la connaissance divine.

Ainsi, ce que dénonceSaint Augustin est la présomption humaine à s'élever au même niveau que Dieu.Auparavant, pour les Anciens, cette remarque valait pour la présomption de surpasser les dieux, que les hommescraignaient et admiraient à la fois.

C'est le cas, tout d'abord d'Icare qui était avec son père Dédale dans lelabyrinthe, et qui, pour s'enfuir, s'est fabriqué des ailes grâce à des plumes qu'il avait patiemment collectées danscette optique.

Icare s'envole, ce qui est merveilleux car il s'échappe ainsi du labyrinthe, mais très rapidement, il neveut plus simplement voler, il veut aller toucher le soleil.

Et si les dieux avaient permis qu'il s'envolât, la Némésispunira sévèrement Icare qui a voulu s'élever à l'égard d'un dieu, Apollon – Phoebus, et par là a insulté tousles dieux: il fait preuve d'hybris.

Ce mythe est une explication de deux des désirs les plus profonds de l'Homme: ilveut savoir voler, mais nous voyons bien dans cet exemple que ce n'est pas dans la réalisation de ce désir qu'il sesentira satisfait, rassasié, et désire s'approcher au plus près des dieux pour acquérir leur savoir sur le monde.

Ainsi,la volonté de savoir possède un caractère démesuré, qui provoque la fureur des dieux en retour et accable doncl'homme de malheurs.Il en va de même pour ¼dipe, que dépeint Sophocle dans ¼dipe-Roi.

¼dipe, fils de Laïos et de Jocaste sans lesavoir, a fait l'objet d'un oracle professant qu'il tuerait son père et épouserait sa mère.

Dès lors, il s'enfuit de chezses parents adoptifs qu'il croit être ses parents naturels afin de ne pas accomplir l'oracle.

En chemin, il tue unvieillard qui se trouve être Laïos, son véritable père, et délivre la ville de Thèbes de la Sphynge, monstre à buste defemme et corps de lionne, qui en interdit l'accès et la sortie.

¼dipe, alors, résout l'énigme de la Sphynge et délivrepar là Thèbes: il en devient donc le roi et épouse la veuve de l'ancien roi, Jocaste, sa mère.

Au bout d'un moment,une terrible épidémie de peste se déclenche à Thèbes, et Tirésias que l'on a consulté pour savoir ce qu'il convenaitde faire, dit que pour sauver l'Etat, il faut trouver l'homme à l'origine de tous les mots de la cité.

Commence alorsl'investigation d'¼dipe: sa recherche, effrénée et effrayante de savoir, du pourquoi, qui, comment, et qui l'entraînedans une spirale infernale jusqu'à ce qu'il découvre qu'il en est le seul coupable et comprend enfin le sens premierdes oracles.

Dans Les Remarques sur Sophocle, Hölderlin précise que l’hybris d’¼dipe réside dans lasurinterprétation des paroles de l’oracle de Delphes : "Chasser la souillure qui nourrit ce pays, et ne pas. »

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