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Diderot, Le Neuveu de Rameau

Publié le 05/04/2011

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diderot

Explication de texte : Diderot, Le Neveu de Rameau

 

 

Structure de l’oeuvre :

-         Nouveau genre littéraire : le roman-conversation. Texte = bref récit adressé à un lecteur familier pls fois interpellé. Mise en page imitant celle du théâtre, dialogue entre le narrateur, un philosophe de renom mais prudemment distinct de Diderot, et le musicien Jean-François -Rameau, personnage authentique (neveu du célèbre musicien Jean-Philippe Rameau) transformé en bouffon professionnel.

-         Rencontre fictive a lieu dans le café de la Régence à Paris, allusions fiables à l’actualité des années 1660. Cadre spatio-temporel circonscrit et réaliste.

-         Narration : absorbée par l’échange verbal ms enregistre sous forme descriptive les moments où le neveu se tait et communique autrement, par mimiques, gestes ou vocalises. Narrateur transcrit tout, dans les moindres détails. Alternance dialogue/pantomimes narrées scande tt le texte.

-         Deux faces de Lui : passé proche=cynisme, occupations du moment=sensibilité. Deux thèmes majeurs=la morale et l’art.

-         Unité du dialogue dans la peinture du caractère singulier de Neveu et ds l’autobiographie par bribes que ce dernier se construit.

-         Rameau trouve ds la confrontation ac un philosophe notoire l’occasion de se tisser un moi cohérent et de se hisser au rang de penseur libre, non prisonnier de la société. Cherche à se divertir et à tout pervertir pr convertir spectaculairement son échec social en victoire d’une antiphilosophie.

-         Auditeur de type socratique qui exerce une maïeutique. Personnages ne s’affrontent pas vmt, ils collaborent pr enfanter un être monstrueux. Diderot était fasciné par la tératologie (science qui a pr objet d’étude des anomalies et des monstruosités des êtres vivants). Dc unité de déformation provenant de la nature même de Rameau qui est une figure de la variabilité à l’état pur. Expérimentation formelle et idéologique.

-         Diderot donne une forme nouvelle au dialogue philosophique. Plus de relation maître-disciple, progression logique, langue abstraite et sacro-sainte vérité. Place aux ramifications par digressions systématiques. Le philosophe-Moi a beau tenter de maintenir un suivi, Lui ne peut s’empêcher de dériver. C’est un homme entraîné à divertir et entraînant la diversion. Vit de paroles et de rôles. Narrateur et acteur, il cultive les enchâssements de discours. Vision éclatée du monde réel. Diversité des sujets abordés, versatilité maîtrisée.

 

 

La satire :

-         Forme libre, affranchie de règles strictes, texte fait d’éléments disparates (passages narrés, parties dialoguées, scènes mimées)-> diversification des idées énoncées, niveau de langue hétérogène.

-         Discours provocateur, moqueur et mordant. Philosophe complice du Neveu.

-         Cibles de la satire ? Le discours sur le Bien en général, Bertin (financier de l’époque) en particulier ; globalement « la morale qu’ils ont tous à la bouche », fumeuse et luxurieuse abstraction de philosophe « cossu », tissu d’idioties sans lien avec le réel.

-         Neveu : vit du vide de la morale. Il est le cauchemar des moralistes car inverse la morale en art du mal. Froide analyse du fonctionnement mécanique de l’homme et des mœurs=absolu. Obligé de se faire bouffon pour survivre. Retrouve indirectement la voie du Bien en satirisant ses « bienfaiteurs ».

-         Diderot : régler ses comptes. Stratégie satirique=faire exposer au grand jour, par leur familier le plus intime, les ridicules et les travers de tte la clique de l’Encyclopédie. Réduit le puissant clan conservateur des antiphilosophes (jésuites, hommes de lettres fielleux, artistes influents, riches hommes d’affaires) à des fantoches manipulés par un « pantin ». S’amuse à se venger-> comparaisons animalières, invective directe, métaphores insultantes, néologismes méprisants, jeux de mots en particulier sur les patronymes, mécanisation des comportements, caricature physique, dépréciation morale et intellectuelle. Satire des autres liée à la tradition humaniste.

-         Satire des interlocuteurs présents. Moi disqualifie Lui, qui se rattache bon gré mal gré à la tradition satirique. Neveu : sorte d’autodérision, pantomime satirique, caricature cinglante d’une humanité aimant à la folie la fausseté.

-         Apparaît d’elle-même quand il s’agit de décrire lucidement certains milieux sociaux où domine le vice. Véritable art de vivre : satire permet d’être soumis et libre, engagé et à l’écart, d’être vicieux et vertueux.

 

 

La morale :

-         Moi=science du Bien, règles de conduite considérées comme bonnes. « Bon homme » doté d’une conscience morale, porte des jugements de valeur morale sur les actes d’autrui. Apte à distinguer, ficher, classer les différents cas. Encyclopédie vivante de la morale. Se réfère à des modèles historiques (Socrate sacrifiant sa vie pour sauver ses principes, Diogène pour garder sa liberté), diffuse l’exemple de bonnes actions. Esprit juste et sens du commun.

-         Rameau=homme d’une immoralité absolue. Apologie du mal, vante les contre-valeurs. Souffle destructeur sur les idées ttes faites et catégoriques. Morale selon ses intérêts personnels. Bonne conduite sociale=tordre le cou à tte loi morale, se conformer aux vices de la société. Parvenir au « sublime » dans le mal. Les vices sont naturels dc être hypocrite=être sincère.

-         Moi choqué, ms la morale tient bon. Lui acteur et commentateur, a tiré l’enseignement moral du spectacle de la vie. Lui : signale que la vérité morale n’est pas liée à une taxinomie rationnelle ms s’enracine ds les « passions » en accord intime ac le monde physique.

-         Cette nature fondatrice=puissance incontrôlable. Neveu subit émotions et est emporté au-delà de la raison. Jouet de ses passions. Grand effet sur les spectateurs : admiratifs. Face à lui, philosophe-maître récupère la civilisation sur plan idéologique ac « bonne éducation »-> accès à une seconde nature. Plan esthétique : Rameau présenté comme un monstre, une curiosité, ms aussi un hyper-civilisé. Réflexion sur lien entre raison et folie.

-         Véritable nature de Rameau : artifice, force errante. L’esthétique l’emporte sur la raison. Recours à l’art pour exprimer sa nature.

 

 

L’art :

-         Réflexion sur l’art, comme théorie et comme pratique. Exigence d’un grand savoir-faire, idéal esthétique, démarche intellectuelle duelle, faisant coexister répétition et invention, identité et altérité, accord et dissonance.

-         Neveu=artiste idéal ? Maître de la conformité, vaurien. S’ajuste aux mœurs et aux souhaits de ses maîtres. Exécutant hors pair : techniques du jeu, du geste, du chant, de l’échange, de l’extravagance. Virtuosité résulte d’une habileté naturelle et d’une étude critique des grands modèles. Pouvoir de produire des effets artistiques puissants.

-         Plan de la création proprement dite : bilan quasi nul ms excelle ds la pantomime, art de prendre des positions. 15 pantomimes -> Neveu au plus haut de l’expression artistique. Apte à recréer la nature.

-         Manifeste esthétique qui utilise Lui comme repoussoir. Diderot : l’art suppose une totale maîtrise des émotions exprimées. Or N ne se possède pas, il est possédé par l’art à l’état brut. Grand artiste = apte à reconstituer parfaitement la vie et la violence des passions parce qu’il en a fait en lui auparavant une analyse froide et raisonnée, l’artiste médiocre subit sa propre inspiration. Etat d’enthousiasme = fascinant mais éphémère. Art : requiert un effort de (re)transcription, de reformulation rationnelle en termes intelligibles. Or le N ne sait pas s’ « énoncer ». Il serait souhaitable que l’art ait une fin morale, que l’esthétique serve l’éthique. Or N juge qu’un crime crapuleux est avant tt un beau spectacle. L’art exige du génie, une puissance d’expression innée, naturelle, culte du Beau. Or N a préféré vivre aux crochets d’autrui plutôt que de servir l’art.

-         Diderot fait exprimer au N l’essentiel : ce que l’art doit foncièrement transmettre, c’est la sauvagerie, le jaillissement de l’instinct, les passions fiévreuses. L’art doit imiter la nature, mais telle qu’elle est, sans fioritures, ds tte son amoralité, sa violence.

-         Au fond, Rameau n’est pas un artiste, c’est un chef-d’œuvre malgré lui.

 

 

 

 

 

Après la présentation du personnage, se déroule un dialogue piquant au rythme désordonné, coupé, de temps en temps, par des réflexions de l'auteur, dans un perpétuel rebondissement.

 

Intérêt littéraire

 

Dans ce dialogue étincelant de vivacité, emporté dans un mouvement endiablé, Diderot excella à reproduire avec une vie étonnante la mimique et la gesticulation forcenée du neveu de Rameau, évoqua avec verve les attitudes et les gestes, en une langue extrêmement pittoresque, un style remarquablement expressif et séduisant, plein de surprises, riche en comparaisons particulièrement pittoresques, en notations plaisantes : «Le matin, il a encore une partie de son matelas dans ses cheveux » - « J'ai un diable de ramage saugrenu, moitié des gens du monde et des lettres, moitié de la Halle». Il y a donc une véritable  théâtralité du “Neveu de Rameau”.

’Le neveu de Rameau’’, pêle-mêle d'observations sur les êtres humains et leur caractère, sur la musique et les travers du temps, est aussi une satire au sens d’ouvrage critique qu’il destinait à une publication posthume.

Dans le Palais-Royal, où l'écrivain avait coutume de se promener, et au café de la Régence, rendez-vous des joueurs d'échecs, qui fournissent le décor, Diderot fait défiler, avec plus de malice que de méchanceté, les « faquins », les « maroufles » de son siècle. Il a brossé avec vigueur, verve et mordant, un tableau des moeurs intellectuelles parisiennes, épinglant les victimes de ses polémiques personnelles avec des gens de lettres. Philosophe militant, iI y continua « la bataille philosophique » : le 2 mai 1760, avec la complicité de Choiseul et des autorités, Palissot avait fait jouer sa pièce, “Les philosophes”, à la Comédie-Française où c’était Diderot qui, sous l'anagramme de Dortidius, était tourné en dérision. “Le neveu de Rameau” fut d'abord conçu comme une réplique à cette comédie qui connut un triomphe. Il s'en est pris aussi à d’autres adversaires, comme les Fréron père et fils ou Poinsinet. S'il parle avec sympathie de Greuze ou de Voltaire, nous saurons toutefois que l'un est vaniteux et l'autre sensible à la critique. Il observe en passant que « personne n'a autant d'humeur, pas même une jolie femme qui se lève avec un bouton sur le nez, qu'un auteur menacé de survivre à sa réputation : témoin Marivaux et Crébillon le fils ». Non seulement Duclos, Carmontelle, l'abbé d'Olivet, etc. apparaissent au cours de cette conversation.

D’autre part, intervint aussi la «querelle des Bouffons» qui, en 1752, vit s'affronter violemment à l'Opéra les partisans de la musique française, donc de Rameau, et ceux (Rousseau, Grimm, Diderot) de la musique des Italiens, dits les «Bouffons», plus passionnée et plus naturelle à leurs oreilles que la musique de Rameau. La brouille du neveu avec l'oncle fit qu’il devint en musique son adversaire et le plus forcené des italianisants. Dans le développement sur la musique, il exprime les idées de Diderot.

 

 

Le neveu de Rameau” est aussi une satire du monde corrompu des financiers parisiens, la platitude du richissime fermier général Bouret étant fustigée de main de maître.

 

Intérêt psychologique

 

Le personnage a existé, mais le réalisme, très personnel, de Diderot ne fut jamais une plate copie de la réalité quotidienne : il ne confondit jamais vérité et banalité. S’il s’est intéressé à lui, c’est qu’l aimait les passions fortes : « Je ne hais pas les grands crimes, écrivait-il dans le ‘’Salon de 1765’’, premièrement parce qu'on en fait de beaux tableaux et de belles tragédies ; et puis c'est que des grandes et sublimes actions portent le même caractère d'énergie. Si l'homme n'était pas capable d'incendier une ville, un autre ne serait pas capable de se précipiter dans un gouffre pour le sauver. » ; c’est qu’il aimait les originaux car ils agissent comme des ferments et obligent à réagir contre le conformisme et la tyrannie des conventions sociales. C’est pourquoi il s'empara de ce bohème pour dessiner les traits de son héros. Il ressemble certainement au modèle, mais il choisit chez lui les traits frappants et significatifs, les accusa, porta à leur paroxysme ses dons naturels et ses défauts et, singulièrement, le cynisme.

Le neveu du roman, qui est «un des plus bizarres personnages où Dieu n'en a pas laissé manquer» (page 16),  qui est un «écart de la nature», qui, dans le «magasin» des accessoires de ce monde, est la «pagode hétéroclite» (page 98), est donc un personnage composite, reconstruit, recréé par l'imagination, vu par Diderot, esthétiquement, comme un être beau parce qu'il est un. C'est un être exceptionnel qui a une forte personnalité, qui est libre parce qu'il est lui-même et, de ce fait, au-delà du bien et du mal qui pour lui n'ont pas de sens.

Cependant, il est prisonnier d’un monde auquel il ne veut et ne peut échapper, car il n’est pas un révolté. Il s'accommode de la société, son égoïsme sans illusions s'opposant à tout «chambardement» (d'où, en particulier sa haine du «génie»). S’il est effronté comme Diogène, il est capable aussi des pires bassesses pour complaire à quiconque le nourrit : « Son premier soin, le matin, quand il est levé, est de savoir où il dînera ; après dîner, il pense où il ira souper »... et il n'a de cesse que soit calmée « la tribulation de ses intestins » car, ayant connu la faim, il constate que « la voix de la conscience et de l'honneur est bien faible lorsque les boyaux crient ». Il sait que, coûte que coûte, il faut « faire sa cour, morbleu, faire sa cour » et que la plus sûre sagesse, c'est encore, tel le moine de Rabelais, de « toujours dire du bien de monsieur le prieur, et laisser aller le monde à sa fantaisie ». Il se trouve affronté à la même impossibilité de préserver son indépendance et sa liberté que la religieuse.

Contre la société qui l’opprime, il a trouvé la parade : la «folie», domaine où il exploite ses dons, fait des efforts, pratique une gymnastique, fait des études (voir comment il lit les moralistes, pages 65-67). Il est d’abord le fou de Bertin (le patron), celui qui dénonce et subvertit cette société dont il se plaît à être, selon l'expression de Hegel, la «conscience vile». Il est aussi le fou qui empêche le philosophe de rester «perché sur l'épicycle de Mercure» et enfermé dans son déterminisme d'«heureusement né». « II avouait les vices qu'il avait, que les autres ont, mais il n'était pas hypocrite. II n'était ni plus ni moins abominable qu'eux ; il était seulement plus franc et plus conséquent, et quelquefois profond dans sa dépravation. »

 

Mais une sorte de complicité tacite semble, en plus d'un endroit, s'établir entre le neveu et le philosophe, comme si ce dernier était fort aise de donner la parole à son contradicteur : « Ô fou, archifou, s'écrie Diderot, comment se fait-il que, dans ta mauvaise tête, il se trouve des idées si justes, pêle-mêle avec tant d'extravagances? »

Or la ressemblance physique entre Rameau et Diderot était frappante : même vigueur de poumons, même voix de stentor, même goût de la gesticulation, même don de mimer ce qu'ils ressentent. Diderot lui aussi a connu la vie de bohème ; il est remarquable, lui aussi, par la chaleur de son imagination. Son héros est donc un autre lui-même, représente ce qu'il aurait pu être. Il s'intéressa au bohème parce qu'il lui ressemblait tout en lui opposant violemment l'autre Diderot, philosophe, raisonnable et vertueux, qui est là pour donner la réplique, qui ne prit certes pas à son compte tous les scandaleux paradoxes du neveu, mais ce sont au moins des objections qu'il a dû se faire à lui-même : le neveu traduisait la tendance anarchique qu’il refoulait généralement. Il se laissa fasciner un moment par le spectacle de l'être qu'il aurait pu devenir.

 

Intérêt philosophique

 

Ses conceptions matérialistes dominent l’ouvrage, les personnages étant avant tout des corps soumis à un déterminisme.

 

Des recherches ont montré que “Le neveu de Rameau” est demeuré dix-sept ans sur le chantier (1760-1777). Or Diderot, qui était si ouvert, si expansif, n'en a jamais rien dit à personne : non seulement parce que les nombreuses allusions à des contemporains le mettait dans l'impossibilité de le publier, mais aussi parce qu'il y avait mis trop de lui-même. Par une curieuse stratégie, alors que le livre s’intégrait dans le combat philosophique qu’il menait, ses adversaires n'en ont jamais rien su ! Mais, en sollicitant la postérité à l'occasion d'un dialogue avec lui-même, il déplaça l'objet de la satire, s'écartant de Voltaire mais renouant avec la tradition des moralistes.

Le livre resta donc inédit du vivant de Diderot et eut un destin très curieux. Lorsqu'en 1798 Naigeon édita ses œuvres, il n'y comprit pas ‘’Le neveu de Rameau’’, et c'est dans une traduction allemande de Goethe que l'ouvrage vit le jour en 1805. En 1821, parut une édition française, prétendue originale, et qui n'était que... la traduction de la traduction allemande de Goethe ! Le premier texte directement imprimé en français (1823) de même que celui qui fut publié par Maurice Tourneux en 1884 étaient seulement des copies du manuscrit original, et il fallut attendre 1890 pour que Georges Monval, bibliothécaire de la Comédie-Française, retirât par hasard de la boite d'un étalagiste du quai Voltaire un manuscrit écrit de la main même de Diderot. 

Nerval a parlé de « ce dialogue qui est un chef-d’oeuvre, et la seule satire moderne qu’on puisse opposer à celles de Pétrone ».

’Le neveu de Rameau’’ fut porté au théâtre :

- par Pierre Fresnay, en 1963, dans une adaptation faite avec Jacques-Henri Duval ;

- par Michel Bouquet : en 1979 (à la télévision, réalisation de Claude Santelli), en 1983 (mise en scène de Georges Weler).

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Analyses de passages

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Début du préambule : présentation de Moi

(pages 15-16)

 

L'«ouverture» est à placer sous le signe d'un titre (“Le neveu de Rameau”), d'un genre (la satire), d'un référent culturel (Horace), d'une citation latine, allusion au dieu chaotique des métamorphoses.

La focalisation sur « Moi » montre sa soumission à l'inspiration, aux puissances du rêve crépusculaire. Mais, parallèlement, il dispose de la souveraineté de l'esprit critique.

Ce prélude est un ballet où courtisanes et pions se répondent pour préparer à l'arrivée de l'Autre. Les comparaisons sont symboliques : il passe des «courtisanes» qu’attaquent les «dissolus» aux «catins» qui sont ses pensées. Son inconscient se révèle.

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Les «idiotismes moraux»

(pages 44-45)

 

«Et pourquoi employer toutes ces petites viles ruses-là [...]  je vois que vous m'avez compris

Un «idiotisme» est une locution propre à une langue. Mais ce terme, exclusivement grammatical, le neveu le transpose dans le domaine moral au prix d'un véritable exercice dont « Moi » est l'objet.

« Lui » se place sur trois plans qui interfèrent : les idiotismes dans la grammaire générale, la conscience générale, la morale générale. Sa démonstration s'appuie sur l'expérience (son état, l'usage, le réalisable) pour aboutir à la théorie des «idiotismes moraux». Ce qui signifie que la morale s'identifie à l'idiotisme dans tout état (situation), dans tout État (en l'occurrence, la monarchie) et s'exacerbe en temps de crise.

Ceux qui identifient tout à l'idiotisme (qui «ne sortent jamais de leur boutique») gagnent sur les deux tableaux : «estime» et «opulence». La valeur de l'individu se mesure à la valeur de son métier. N'y a-t-il aucune échappatoire ? Mais le neveu n'a pas dit qu'il n'y avait pas de «conscience générale». Est-ce que la véritable morale ne se situerait pas quelque part entre les idiotismes et la «conscience générale», dans cet espace de gratuité, de liberté que réserve et préserve, par exemple, la musique?

On trouve dans ce passage du pessimisme car le neveu cherche à justifier son parasitisme par les idiotismes. Mais l’humour transparaît dans cette impitoyable remise en cause de Diderot par lui-même, car son idéal n'était-il pas de tabler sur une morale des conditions, un humanisme du métier dont le modèle serait justement l'honnête commerçant?

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La pantomime de l'opéra

(pages 86-89)

 

«Et puis le voilà qui se met à se promener [...] appeler de la musique et un musicien.» Cette pantomime célèbre est une illustration (pages 86-89) entre la théorie (pages 80-86 : définition de la musique comme imitation et critique de la musique française au nom du «vrai», du «bon», du «beau») et le programme qui en résultera (pages 87-90 : bilan et conditions de la seule musique valable, celle du «cri animal»).

Cette pantomime où le neveu se multiplie pour essayer d'arriver à une totalité, à une unité, et dont il redescendra aussitôt, est d'abord l'expression d'une passion ; elle s'entend aux divers sens de passivité (le neveu aliéné par la musique), de souffrance (le neveu s'épuise dans la sueur et les larmes), de l'identification aux passions qu'il mime. Or ce pathétique déclenche aussi les rires.

Mais cette passion ne se développe que dans l'exaltation. Pour l'étudier, il convient de suivre les différents paliers de la pantomime ; de noter la multiplicité des scènes, des gestes et des voix jusqu'à l'apothéose finale ; de noter aussi les références épiques au pouvoir («prêtre, tyran»), à la Bible («les désolations de Jérusalem»), au sacré cosmique («temple, tempête, ténèbres»).

Ce déchainement du neveu qui ne cesse de révéler sa dimension mythique, posait à Diderot un problème d'écriture : comment transcrire tout cela? Son écriture est expressionniste  : il use d'accumulations, d'énumérations, de répétitions, entasse et mêle les verbes (présents, imparfaits, participes présents), entremêle sa description de chants, de parlé et de réflexions. Cette pantomime est interrompue, par différents plans sur « Moi », sur le destinataire, sur les spectateurs qui ont transformé le café en théâtre (loges et parterre).

Parmi ces spectateurs, « Moi » se détache, protagoniste et transcripteur, coryphée. Comme les autres, il est «suspendu», «rit», «pleure» sans applaudir. Mais « Moi » est également celui qui s'identifie à « Lui » (une nostalgie de la sensibilité totale) et celui qui s'oppose à « Lui » (voir l'esthétique du “Paradoxe sur le comédien”), d'où sympathie («pitié») et refus («ridicule»).

Quand le neveu est envahi par la musique, il ne se joue plus des autres, mais tente de se retrouver, en s'épuisant, comme un principe, une musique de la nature. Il n'y a pas d'idéalisme, cependant, puisque c'est par les tourments du corps et grâce au corps qu'il arrive à libérer son moi véritable. Quelle est la signification de la pantomime? sont-ce les douleurs de la création poétique? est-ce la poésie en quête d'une forme? est-ce la matière en proie à l'esprit qui la tourmente?

En 1765, l'impératrice Catherine II de Russie, qui se voulait une despote éclairée et se posait en égérie des Lumières, ayant appris par Melchior Grimm que Diderot, pour donner une éducation et assurer une dot à son seul enfant, Marie-Angélique, s'apprêtait à vendre sa bibliothèque, elle lui proposa de l'acheter tout en lui en laissant l'usage, lui assurant des appointements en tant que bibliothécaire de Sa Majesté. Et, comme si ce n'était pas assez, elle fit de lui son conseiller artistique. Aussi lui écrivit-il des lettres d’une stupéfiante flagornerie.

En janvier 1766, Diderot qui s’était consacré aux dix derniers tomes de l’’'Encyclopédie’’ put les distribuer. Il avait découvert en 1764 que son libraire, Le Breton, avait osé la censurer.

 

 

 

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