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L'Existentialisme Dans « Maigret Et La Jeune Morte », De Simenon

Publié le 16/10/2010

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Analyse comparative d'une oeuvre et d'un courant littéraire Maigret et la jeune morte, de G. Simenon, et l'existentialisme. C'est la nuit au Quai des Orfèvres. Maigret termine une enquête, et plutôt que de fermer l'½il sur sa journée, se laisse intéresser par un meurtre. Le lecteur le rejoint au beau milieu de la nuit, et entend toutes les réflexions de l'inspecteur. L'« inattentif » écoute les témoignages, accumule les pistes. Mais l'attentif a saisi quelque chose; il ne suffit pas d'écouter et de suivre, il faut comprendre. Dans cette comparaison, l'existentialisme est à prendre dans un sens plus terre à terre, moins philosophique que celui de Sartre. Il reflète une tendance, forte dans les années cinquante, d'abord photographique, avec Doisneau pour figure emblématique. Ces « poètes » font la part belle à l'existence, en s'intéressant, d'une part, aux « petites gens » qui ne mènent pas de vie glorieuse, mais qui ont le mérite d'exister, et d'un autre côté, à l'« homme nu », l'homme sans couverture, sans artifices, pour cacher sa réelle nature. De cette façon, « existentialisme » pourrait se rapprocher de « humanisme ». La particularité du savoir-faire de Maigret, c'est-à-dire de la plume de Simenon, réside dans le modus operandi de l'inspecteur. Il s'imbibe de chaque personne qu'il rencontre, comme une « éponge qui aspire la vie et qui la rend ensuite ». Cette attitude se présente quasi systématiquement à Maigret, et c'est justement ce qui va le distinguer, et l'aider à mener à bien son enquête. Dès le départ, il est opposé, contre son gré, à l'inspecteur Lognon, affectueusement surnommé le « Malgracieux », Maigret sait que l'enquête dans laquelle il met les pieds « n'est pas la sienne », mais ne fait pas de manière, et juge qu'il ne peut pas l'abandonner, uniquement pour ménager la susceptibilité de Lognon. Et ainsi, tout au long du roman, on fera connaissance avec le Malgracieux, qui précède Maigret partout dans l'investigation. L'inspecteur Lognon est un personnage insatisfait, résigné, persuadé que tout le monde le prend pour un imbécile. Dès lors, il se diminue lui-même, « évite de se plaindre, prend cet air résigné, l'air d'un être qui a souffert toute sa vie et qui souffrira pendant le reste de ses jours. »1 « — Vous savez bien que je n'ai jamais d'idées. Je ne suis qu'un inspecteur de quartier »2 Si Simenon décrit avec abondance ce personnage, c'est parce qu'il est important dans l'opposition avec le commissaire, mais également en tant que personne à part entière; le Malgracieux a une vie spéciale, au-delà de sa superficielle banalité. Malgré son défaitisme, l'inspecteur Malgracieux continue l'enquête, et trouve rapidement des pistes et des indices importants, alors que Maigret prend son temps, et se remplit des souvenirs qu'on lui rapporte de la jeune morte. Du Maigret sage et serein, on retrouve même un « homme nu », lorsqu'après un cauchemar, il s'imagine en bataille avec le Malgracieux: « Maigret n'était pas jaloux de ses collègues, encore moins de ses inspecteurs. […] Dans le cas présent, pourtant, il eut un mouvement d'humeur. Car c'était vai que, comme dans la partie d'échecs de son rêve, Logon était seul tandis que Maigret avait pour lui l'organisation entière de la P. J. sans compter l'aides des brigades mobiles et de toute la machine policière. Il rougit de la pensée qu'il venait d'avoir [...] . »3 Maigret n'est donc en fin de compte, bien qu'un homme, juste et bon, mais qui possède ses limites. Que Maigret prenne le temps de s'imprégner de la personnalité et de l'histoire de la jeune Louise Laboine, c'est 1 Maigret et la jeune morte, Simenon, Presses de la cité, Paris, 1954, p. 91. 2 Ibid., p. 17. 3 Ibid., pp. 152-153. cela qui va faire la différence. Tout au long des multiples interrogatoires qu'entreprend Maigret, la vie de sa victime va défiler devant ses yeux, en désordre et en fragments : « Il en était de Louise Laboine comme des plaques photographiques qu'on trempe dans le révélateur. Deux jours avant, elle n'existait pas pour eux. Puis elle avait été une silhouette bleue, un profil sur le pavé mouillé de la place Vintimille, un corps blanc sur le marbre de l'Institut Médico-Légal. Maintenant, elle avait un nom ; et une image commençait à se dessiner, qui restait encore schématique. »4 Maigret s'intéresse au destin de cette fille qu'il ne connaissait pas, et qui pourtant l'attire. « Elle avait eu un père, une mère, plus tard, à l'école, des petites camarades. Ensuite, des gens l'avaient connue jeune fille, des femmes, des hommes. Elle leur avait parlé. Ils l'avaient appelée par son nom. Or, à présent qu'elle était morte, personne ne paraissait se souvenir d'elle, personne ne s'inquiètait, c'était comme si elle n'avait jamais existé. »5 Ce serait justement ce destin particulier qui retient son attention, celui d'une fille anodine, qui, par un parcours particulier, unique, en est arrivée à cette fin, toute aussi particulière et unique. Traits après traits, Maigret se fait une image de plus en plus exacte, fidèle de Louise. Il veut connaître la jeune fille, comprendre « la femme nue », sans artifices, uniquement sa personnalité, pour pouvoir subodorer ces hypothétiques faits et gestes : « Pourquoi l'inconnue, à neuf heures du soir, avait-elle éprouvé le besoin de se procurer une robe du soir, sinon parce qu'il lui était nécessaire de se rendre dans un endroit où l'on s'habille ? »6 Rarement, il s'intéresse à autre chose. Il laisse le meurtrier, et le mobile du crime de côté. La première remarque à celui-ci survient à la page 138, plus proche de la fin, que de la première nuit : « Et il y avait quelque part quelqu'un qui avait tué la jeune fille et l'avait transportée ensuite place Vintimille. »7. Il se fait d'ailleurs la remarque quelques pages plus loin : « C'était curieux d'ailleurs. Car, jusqu'ici, ce n'était pas à l'assassion qu'il avait pensé, mais à la victime, c'était sur celle-ci seule que l'enquête avait porté. »8 Cette immersion n'est pas innocente, il le sait. Il a un atout de plus que Malgracieux, qui « voulait tellement bien faire, avait un tel désir de se distinguer, qu'il fonçait tête baissée, persuadé, chaque fois, qu'il allait enfin prouver sa valeur. »9 Lors de la dernière piste, au Pickwick's Bar, Lognon fait un pas de trop, en croyant au baratin du tenancier, et le voilà parti pour Bruxelles. Maigret, arrivé plus tard, lui, reste. Il écoute une nouvelle fois attentivement le témoignage, mais est gêné par différents bémols. Louise arrive seule dans un bar, se dirige seule vers les toilettes non-indiquées, commande un Martini, alors que l'autopsie ne révèle que du Rhum … Maigret a compris : « Comment avez-vous deviné ? Questionna-t-il. Maigret répondit tranquillement : Je n'ai pas deviné. J'ai su tout de suite. »10 À ses collègues, Maigret résume sa force : « Vous la connaissiez ? J'ai fini par la connaître assez bien. »11 Ainsi, cette indice supplémentaire a marqué la différence des deux inspecteurs. Sans pouvoir réfléchir suffisamment « comme » Louise, jamais il n'aurait pu distinguer les mensonges du barman. Ainsi, Maigret a vu passer lors de ses interrogatoires de nombreuses personnes, d'horizons différents. Chacun illustre encore ce thème des petites gens. Le style de Simenon, cette fois-ci, lors de ces entrevues, nous emmène plus loin encore que l'affaire Louise Laboine. Le procédé est immuable; Maigret pose les questions, le témoin y répond, pas d'autres alternatives. Mais la quantité d'informations révélées, peut s'avérer alors très abondante. Cela n'empêche ce comportement de Maigret: au lieu de réfléchir, de compiler les nouveaux indices pour en refaire un tout cohérent, il se contentera de décrire son interlocuteur en détails. Chaque témoin est un sujet, une personne avec un destin propre, inassimilable à d'autres, et Maigret les traite comme si tous étaient des victimes, ou des preuves à part entière, qu'il faut comprendre complètement pour en saisir le sens profond, le sens pur, « nu ». De plus, on s'aperçoit que Maigret lui-même pourrait être sujet à l'introspection du lecteur. Le commissaire 4 5 6 7 8 9 10 11 Ibid., p. 89. Ibid., p. 54. Ibid., pp. 55-56. Ibid., p. 138. Ibid., p. 153. Ibid., p. 161. Ibid., p. 208. Ibid., p. 210. Maigret, une fois rentré auprès de sa femme, redevient Jules Maigret. Et avec lui, un homme soit soucieux de son enquête, ne prenant même plus le temps d'aimer sa femme, ou, au contraire, un homme insatisfait, qui se noie dans son enquête pour ne plus aimer sa femme. « — A propos de la question que tu me posais hier soir... fit Mme Maigret tandis qu'ils mangeaient tous les deux. J'y ai pensé toute la matinée. Il y a une autre raison, pour une jeune fille, de porter une robe de soirée. Il n'eut pas les mêmes délicatesse pour elle que pour Lognon, murmura, distrait, sans lui laisser sa chance: — Je sais. C'était pour un mariage. Mme Maigret ne dit plus rien. »12 On voit que l'enquête, la recherche de la personnalité du sujet, peut ne pas être uniquement pour la victime, mais également pour un personnage principal tel que Maigret. ∫ L'inspecteur, tout en se penchant sur les petites gens et leurs existences qui parsèment l'enquête, parvient à élucider l'affaire grâce à sa poursuite de l'homme dans son plus simple appareil, dans lequel il ne peut rien cacher, il ne peut rien nier. Finalement, ce n'est pas Maigret l'existentialiste, mais Simenon lui-même. Il pousse son personnage à agir comme l'inspecteur agit avec ses témoins; il le regarde, il l'admire dans de nombreuses situations, afin de se créer une image de plus en plus complète de l'homme, et ainsi de l'Homme.

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