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FICHE DE LECTURE: LA « NOUVELLE HÉLOÏSE » DE ROUSSEAU

Publié le 25/06/2011

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La Nouvelle Héloïse est tout le coeur de Rousseau. On le sait par ses Confessions, par ses lettres, jamais l'expression « écrire avec amour « n'a été plus juste que de Rousseau écrivant Julie. Julie est la femme qu'il a vraiment aimée. Saint-Preux est l'homme qu'il eût voulu être ; Claire est l'amie qu'il eût voulu avoir ; lord Bomstom est l'ami qu'il a cherché et cru trouver toute sa vie ; — sans compter que Wolmar est le Saint-Lambert qu'il eût désiré que Saint-Lambert eût bien voulu être. Le singulier roman ! Tous les personnages y sont dans une position fausse, et, je ne dirai pas n'en souffrent point, mais cependant ne laissent pas de prendre plaisir à s'y sentir. — Ils sont dans le faux comme dans l'atmosphère naturelle et l'entretien de leur esprit. Ils font des gageures contre le sens commun et goûtent je ne sais quelle jouissance à les tenir. Un mari, d'une haute raison en tout le reste, retire chez lui l'ancien amant, encore aimé, de sa femme, pour les guérir tous deux ; la femme, devenue honnête et vertueuse, consent à cette combinaison ; l'amant honnête et loyal l'accepte ; tous font de concert, avec réflexion, gravement et solennellement, la plus grande folie qui se puisse. — Que veulent-ils ? 

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« trop complaisamment ni seconder les amours des autres, et les confidentes sont des demi-amoureuses quideviennent amoureuses en titre.

Ainsi advient de la pauvre Claire, et cette contagion lente de l'amour côtoyé detrop près et trop longtemps regardé, de l'amour contemplé surtout dans ses douleurs, plus séductrices que sesjoies, est d'une fine observation.Enfin Julie, trop raisonneuse et sermonneuse sans doute, n'en est pas moins un des caractères les plus complets,les plus solides et les plus vivants que la littérature romanesque nous ait mis sous les yeux.Mal élevée, et Rousseau n'a pas oublié ce trait, et il y a insisté, par une servante qui ressemble à la nourrice deJuliette ; mise, à dix-huit ans, par une imprudence un peu forte, dans l'intimité intellectuelle d'un jeune hommelettré, ce qui est dangereux; passionné, ce qui est grave; et mélancolique, ce qui est désastreux; elle se laisse alleraux premiers mouvements de son coeur; elle commet une faute ; plus tard, trop faible, et d'une conscience tropobscure et trop peu avertie pour résister à la destinée qu'on lui fait, elle se laisse marier à un autre homme ; et, dèslors (si je comprends bien), épouse, mère, maîtresse de maison, un être nouveau naît en elle.

Elle est, ce qui est lepropre des femmes, transformée par sa fonction.

La jeune fille fut faible ; l'épouse (bien mariée) est digne, forte,capable de vertus, à la hauteur des grandes tâches.

Elle peut revoir celui qu'elle a aimé, sinon sans trouble, dumoins sans défaillance.

Elle songe, sincèrement, à l'unir à une autre femme.

— Mais voilà qu'un coup funeste lafrappe.

Voisine de la mort, le passé la ressaisit.

Tout son amour ancien se réveille et l'envahit, et alors elle croitl'avoir eu toujours en elle aussi fort et invincible que jadis et qu'aujourd'hui.

L'immense empire des premièressensations sur l'être humain revient sur elle affaiblie et désarmée ; et elle bénit la mort qui l'affranchit d'un amourqu'elle croit invincible, et que, saine de corps et d'esprit, elle avait vaincu.Le double caractère de la femme, persistance des premiers sentiments, facilité à se plier à une destinée nouvelle, setrouve donc ici ; sans compter faiblesse, audace étourdie, duplicité naïve et maladroite ; et aussi goût deprédication morale ; et aussi relèvement par la maternité ; et aussi transformation, à demi vraie et à demi sincère,de l'amour en bienveillance et protection maternelles.

— Tout cela signifie que pour la première fois depuis bienlongtemps une complète biographie féminine était faite dans un roman.

Les contemporains, je veux dire lescontemporaines, ne s'y sont pas trompées une heure.

Les femmes étaient lasses, ou du moins il est à croire qu'ellesdevaient l'être, de romans où la femme n'était jamais qu'un jouet des passions légères ou des vanités cruelles, oùelle n'était jamais peinte qu'à un seul moment de sa vie, celui où elle plaît et est séduite.

On leur montrait enfin unevie féminine dans toute sa suite, du moins ayant une certaine suite.

On leur montrait une femme ayant desfaiblesses, ayant des qualités, ayant un caractère.

Ce roman flatta en elles quelques-uns de leurs vices, quelques-uns de leurs bons penchants, et très directement et précisément leur orgueil.

J'oubliais le besoin de larmes, quepersonne n'avait vraiment satisfait depuis Racine.

Quelqu'un osait faire pleurer, et non point par l'accumulation desmalheurs épouvantables, comme Prévost en ses longs romans, mais par la « douleur des amants, tendre etprécieuse », comme dit Saint-Evremont, par une histoire simple en son fond, abominablement fausse aussi, mais oùles principaux personnages avaient le goût naturel et comme l'appétit de la douleur. Et, de plus, et surtout, ce roman pouvait être faux, il était sincère.

On y sentait un auteur qui était aussi attendridu sort de ses personnages que le pouvait être aucun de ses lecteurs; qui adorait Julie, Claire, Saint-Preux et mêmeWolmar.

C'était un roman écrit par un héros de roman triste, un roman romanesque écrit par le plus romanesque deshommes.

Le secret est là.

C'est pour cela que pareil succès est chose rare.

Les hommes sont animaux d'imitation,mais ils n'imitent que la sincérité.

On imita Rousseau; on se fit des sentiments sur le modèle de la Nouvelle Héloïse.C'était se faire des sentiments déclamatoires, mais qui ressemblaient à la vie, car, au moins à la source d'où ilsvenaient, ils avaient été vivants et profonds.

— Le siècle n'en fut pas changé, c'est trop dire ; il en fut adouci etcomme amolli.

La philanthropie existait, elle devint fraternité, épanchement, expansion, besoin de confidence etd'appel au coeur ; la sensibilité existait, elle était dans Marivaux, dans La Chaussée, dans Prevost ; elle devint à lafois plus intime et plus prétentieuse : plus intime, j'entends s'inquiétant moins des incidents, des situationsextraordinaires, des grands et rudes malheurs, n'en ayant pas besoin pour éclater, naissant d'elle-même, coulantcomme de source, palpitant du seul battement du coeur, mêlée à toute la vie et au train de tous les jours ; plusprétentieuse, j'entends s'attribuant franchement cette fois la direction morale de la vie, s'érigeant en dominatricelégitime de l'existence humaine, se croyant une vertu, s'estimant un devoir, se prenant pour la conscience, et parconséquent remplaçant la morale, dont la place, aussi bien, était depuis long temps vide, par un égoïsmesentimental et attendri.Tant de choses dans un roman l — Elles y étaient parce que Rousseau s'est mis tout entier dans la Nouvelle Héloïse,avec un peu de ses vices, beaucoup de ses vanités, beaucoup de ses bontés et tendresses, beaucoup de cettecroyance, éternelle chez lui, que tout est affaire de bon coeur, sans qu'il ait su jamais en quoi un coeur doit êtrereconnu comme bon ; parce qu'enfin c'est encore dans son roman que ce maître romancier s'est le plus ouvertementpeint et le plus complètement déclaré.. »

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