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LE HÉROS CORNÉLIEN

Publié le 13/05/2011

Extrait du document

— La tragédie cornélienne nous donne à admirer de grands caractères et des actes sublimes. — La psychologie du héros cornélien apparaît commandée tout entière par la grandeur d'âme. Quel est le principe de cette grandeur qui se retrouve en Polyeucte comme en Rodrigue, en Cléopâtre comme en Chimène ? C'est une volonté indomptable, mise à l'épreuve de situations exceptionnelles; et l'effort de cette volonté, importe autant que son objet à l'être humain qui tend ses énergies comme au poète qui l'a imaginé. Et la preuve, c'est que l'objet peut se situer dans le mal. L'héroïne de Rodogune par exemple, la rusée et cruelle Cléopâtre, élève la volonté de vengeance la plus inhumaine à la même hauteur qu'atteignit la générosité de l'empereur Auguste dans Cinna. Corneille l'a dit lui-même : « Tous ses crimes sont accompagnés d'une grandeur d'âme qui a quelque chose de si haut, qu'en même temps qu'on déteste ses actions on admire la source dont elles partent. «

« tandis que Polyeucte est une volonté dressée au-dessus de la vie.

De ce contraste entre l'idéal humain de Sévèreet l'idéal chrétien de Polyeucte, Corneille a tiré un grand intérêt psychologique et dramatique.

Car, sans cecontraste, pas de lutte intéressante dans l'âme de Sévère, pas de lutte pathétique dans l'âme de Pauline, surtoutpas de crescendo d'héroïsme dans le mouvement qui élève Polyeucte et Pauline ensemble au-dessus de l'humanité.Ce contraste commande et dirige toute l'évolution si émouvante et remarquable des sentiments de Pauline.— Cette diversité prodigieuse de personnages hiérarchisés, en quelque sorte, selon les degrés qui vont de l'hommeau surhomme, a permis d'opposer à Racine, peintre de la passion, Corneille créateur de caractères.— Voici une conséquence secondaire de la psychologie héroïque de Corneille.

Le souci d'appuyer la volonté sur laraison oblige ses héros à discuter — tantôt avec eux-mêmes, tantôt avec autrui — la valeur de leurs actes, ce quifait qu'ils ne sont pas seulement raisonnables, mais raisonneurs.

Et cette psychologie s'étend à tous lespersonnages; c'est la source d'un grand nombre de discours, de plaidoyers, de monologues et de maximes.(Monologues de Rodrigue, de Cinna, d'Auguste; dialogues du jeune Horace et de Curiace, de Cinna et de Maxime, deCinna et d'Emilie, d'Auguste et de Cinna, etc...) On est donc fondé à penser que l'avocat normand et l'admirateurdes rhéteurs latins s'accordent ici avec le psychologue,— La conception que Corneille se fait du héros tragique pouvait-elle laisser à l'amour une part importante dans sonthéâtre ? Non, en principe.

Il lui a préféré l'ambition, la vengeance, la foi religieuse, le fanatisme de la patrie.L'amour est une passion "trop chargée de faiblesse", a-t-il dit lui-même.

C'est une passion qui se développe auxdépens de la volonté et de la claire raison; il est donc naturel qu'elle n'occupe qu'une place de second plan.

Aussiles héroïnes de Corneille, même amoureuses, ne le sont pas essentiellement : Chimène, Emilie, ont un père à venger.Elles sacrifieront, s'il le faut, leur amour à la vengeance, dont elles se sont fait un devoir et à laquelle elles tiennentcomme à une gloire.

Emilie, d'une énergie mâle, ne pouvait avoir les qualités de tendresse qui font de Chimène unefemme si émouvante; n'oublions pas toutefois que Guez de Balzac appelait Emilie une "adorable furie".

Seule Camille,dans Horace, perd la tête; il faut qu'elle ne se possède plus, pour oser lancer contre Rome, à la face dutriomphateur, ses fameuses imprécations.— Il n'est pas exact que Corneille n'ait pas su peindre l'amour; il l'a peint en maître, dans le Cid et dans Polyeucte.Ce sont même là ses deux tragédies les plus pathétiques, précisément parce que l'amour y occupe une placevraiment inaccoutumée et rend plus douloureusement humaine la lutte des héros aux prises avec le destin.

— a) Lesscènes entre Chimène et Rodrigue, surtout la fameuse scène d'amour du cinquième acte, si déchirante et si pure; lagrande scène de Polyeucte (Acte IV) où Pauline, exaltée par l'amour, poursuit le héros jusque dans sa prison pour ledisputer à la mort, — ces merveilles de pathétique né suffisent-elles pas à révéler toute une tendresse amoureuse ?— b) On peut encore leur comparer la scène des adieux de Camille à Curiace, celle aussi de sa douleur quand toutest perdu.

— c) Mais comprenons bien la nature de l'amour dans Corneille.

Il ne se conçoit pas sans estime ni mêmesans admiration.

C'est un amour qui est examiné, jugé en conscience par ceux mêmes qui l'éprouvent.

Leur raison nes'en trouve jamais débordée, la maîtrise d'eux-mêmes n'en est jamais renversée.

— d) Polyeucte estparticulièrement remarquable à ce point de vue.

On y voit l'amour toujours noble, mais d'abord en lutte contre ledevoir ou l'idéal, finir par soutenir et exalter le devoir et l'idéal : comme Pauline et Sévère s'aimaient ! et cependantleur amour est dompté.

Pauline, nouvelle mariée, est une honnête femme qui n'aime pas son mari; elle aime un autrehomme qu'elle admire, Sévère.

Mais sa conscience la protège contre cette passion coupable.

Puis l'héroïsme religieuxde Polyeucte, son mari, lui inspire de l'intérêt pour lui : quand l'intérêt sera devenu de l'admiration, elle seradétachée de Sévère.

Lui, Sévère, il s'incline devant son honnêteté absolue; il renonce à elle par sentiment del'honneur, et il sauverait Polyeucte si cela était possible.

Polyeucte, de son côté, hésite longtemps entre son amourpour Pauline et son devoir de chrétien; et quand il sacrifie cet amour définitivement, c'est au cours d'un terribleorage intérieur : il a repoussé les arguments de sa femme venue le trouver dans sa prison pour le supplier de vivre,mais il est faible contre l'explosion de la tendresse; le candidat au martyre est alors tout près de la défaite, lavictoire du devoir chrétien sur l'amour passionné devra être chèrement achetée.

Or le péril grandissant du martyr etl'héroïque splendeur de sa volonté chrétienne ont transformé l'admiration de sa femme en amour.

C'est uneamoureuse qui veut arracher son amant à la mort, c'est une amoureuse éperdue qui appelle au secours de l'hommeaimé l'homme délaissé : alors passion et devoir, amour et idéal s'accordent, puis se fondent dans un devoirsupérieur, dans l'idéal suprême de Polyeucte, dans le devoir et l'idéal chrétiens, c'est-à-dire dans le dévouementabsolu à une foi, à des idées.— Un autre aspect de tendresse se révèle dans les peintures du sentiment paternel.

Certes, ce sentiment chezCorneille est sans faiblesse coupable ni agitation de sensibilité.

Certes encore il se tait quand l'honneur parle,l'honneur de la famille dans le Cid, l'honneur de la patrie dans Horace.

Mais la tendre affection de Don Diègue et duvieil Horace nous émeut quand, le combat livré, l'honneur` sauf et la patrie victorieuse, elle éclate...

— Il estcurieux de retrouver un sentiment semblable dans la comédie du Menteur, mais suivant une progression inverse.Géronte, qui a une véritable passion pour son fils unique, est aveugle devant ses fredaines; mais dès qu'il se voitjoué, l'indignation fait de lui un vieillard parfaitement cornélien; et sa brusque apostrophe : « Etes-vous gentilhomme? » a la valeur de la question de Don Diègue : « Rodrigue, as-tu du coeur ? » Bref, l'amour paternel dans le théâtrede Corneille est toujours composé de tendresse et de fermeté, mais certainement de plus de force morale qued'humaine complaisance.— Les héros cornéliens, faits pour exciter l'étonnement et l'admiration, ont créé un ressort dramatique nouveau.

—Les poètes du théâtre grec déclenchaient l'émotion tragique au moyen de deux ressorts : la terreur et la pitié.

Ilsexposaient, par exemple, le complot tramé et exécuté par sa propre femme contre Agamemnon rentrant de la guerrede Troie; ils excitaient ainsi la terreur du spectateur par les terribles desseins de Clytemnestre et de son complice,puis la pitié pour la victime.

— Les tragiques français usent à leur tour de ces deux ressorts; mais tandis que Racines'en contentera, Corneille en crée un troisième : celui de l'admiration.

Au lieu de nous montrer de grands infortunéscomme Agamemnon, ou comme OEdipe ou comme Iphigénie, il nous montre des êtres lucides et volontaires forgeanteux-mêmes leur destinée.

Il donne ainsi des exemples quelquefois à suivre, toujours à admirer.. »

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