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Est-il possible de nier l'existence du temps ?

Publié le 14/04/2011

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temps

Est-il possible de nier l’existence du temps ?

 

Le premier sens du terme \"possible\", la capacité de faire quelque chose, en avoir les moyens, nous permet de répondre facilement à cette interrogation: Oui, il nous est tout à fait possible de nier l'existence du temps; nous pouvons décider que le temps n'existe pas comme nous pouvons décider que l'eau ne mouille pas. Mais cela va-t-il pour autant empêcher l'eau de mouiller le sable de la plage? Ou empêcher le temps de filer quand même? \"Nier\" ne signifie pas \"arrêter\" mais simplement réfuter un fait. Ne serait-ce donc pas un simple refus de voir la réalité en face? Un déni?

\"L'existence\" par définition implique une réalité, nier l'existence du temps serait donc nier une réalité. Mais plus généralement pourquoi nier l'existence du temps? Baudelaire, dans « L’Ennemi », se dit : « O, douleur ! O douleur ! Le temps mange la vie ! ». Le temps, dans ses trois dimensions ne peut être précisément défini, le passé n’étant plus, le présent n’étant que de passage, et le futur n’étant pas encore. Le temps, c’est en quelque sorte comme le disait Saint Augustin, la dimension de ma conscience qui se rapporte à partir de son présent vers l’avenir dans l’attente, vers le passé dans le souvenir, et vers le présent dans l’attention. Peut-on remettre en cause son existence? Un tel procès ne serait-il pas le symptôme d’un certain déni face à notre irréversible condition mortelle ? Le temps n’est-il qu’un concept proprement humain, ayant pour origine son esprit ?

Afin de répondre à cette question, notre pensée s'organisera en trois axes: tout d'abord, nous étudierons le temps en lui-même. Ensuite nous verrons la possibilité que le temps ne soit qu’un aspect de l’esprit humain, ne concernant et n’inquiétant que ces derniers, ce qui nous permettra enfin d’avoir une vision objective et non temporelle de l’existence humaine, notre existence. Enfin, quelles pourraient être les conséquences d’un tel refus ? Puis, quelles sont les issues possibles à une telle remise en question ?

 

On ne peut définir le temps, car le faire reviendrait à dire « le temps est... ». Le temps, en tant que tel, est difficile à définir de manière simple et directe. Selon le dictionnaire, le temps est « la notion fondamentale conçue comme un milieu infini dans lequel se succèdent les évènements ». On peut présenter le temps sous ses trois dimensions, à l’image de Saint Augustin: le passé qui n’est plus, le futur qui n’est pas encore, et le présent qui n’est que passage. Ainsi, le futur devient le présent, et à peine arrivé, le présent devient le passé, il ne s’agit que d’une simple succession d’évènements, qui ne se marquent dans notre esprit que par leur importance plus ou moins grande, leur impact sur notre vie et notre façon de penser. Kant, par exemple, ne faisait du temps ni une intuition ni un concept, mais le considérait plutôt comme la forme même de toutes nos perceptions : Le temps serait ainsi partout puisque tout ce que nous percevons est dans le temps, mais aussi nul part puisque nous ne percevons jamais le temps comme tel. C'est d'ailleurs ce que nous explique Saint Augustin: « il y a trois temps, un présent au sujet du passé, un présent au sujet du présent, et un présent au sujet de l'avenir ». En fait, le temps est abordé comme un sujet chaque jour, il nous paraît familier, mais il n'est pas. Le temps n'est donc pas une simple chose, car nous ne parvenons pas à prouver qu'il en est une. Et à vrai dire, c'est assez amusant, l'Homme a passé son temps à définir le propre du temps. Serait-il alors possible de nier l’existence d’une telle force, d’une telle puissance qui domine pratiquement tous les aspects de notre vie quotidienne ? Cette question est aussi ancienne que la discipline philosophique elle-même, Socrate et Platon ayant déjà rencontrés ses nombreuses contradictions.

Le temps serait alors une série d’instant, comme la ligne est une succession de points. « Une ligne en forme de vagues… » d'après Aymeric Bouissou. Nous en arrivons au point de notre réflexion où, finalement, le temps n’est pas réellement. Donc, techniquement, il est possible de nier son existence en tant que chose: le temps n’est pas dans les choses. Certes, mais il est toujours là avec l’Homme, et l’Homme est toujours dans le temps. Il nous paraît donc impossible, de ce côté, de nier le temps, car nous en avons conscience. C’est-à-dire que, lorsque nous « regardons à l’intérieur de nous-mêmes », nous y voyons une suite de perceptions, de sentiments, d’idées. Cependant, tout geste qui s’esquisse est empreint d’un passé et s’enfuit vers l’avenir, ainsi la durée n’est pas ponctuelle, mais continue, puisque notre conscience se tourne déjà vers l’avenir, et se rapporte à son passé. La durée non mesurable, hétérogène et continue est donc en quelques sortes le vrai visage du temps, avant que notre intellect ne le décompose en instants distincts. Mais pourquoi redouter le temps ?

 

Parce qu’il place notre existence sous le signe de l’irréversibilité… Je crains mon avenir, je porte le poids de mon passé, et comme mon présent sera bientôt un instant révolu sur lequel je n’aurais plus aucune prise, je suis amené à me soucier de ma vie. L’action du temps nous fait aussi subir plusieurs douleurs: il est malheureusement naturel. Car ce cycle, celui de perdre des proches qui succombent au temps, à la vieillesse, nous rappelle que notre temps est compté. De plus, il éveille en nous la possibilité d’une conscience morale: Je me reproche mon passé, ne pouvant effacer mes erreurs, et je me tourmente face à mes résolutions censées corriger ma nature. Nous nous inquiétons, justement parce que nous avons conscience du temps, que le passé est irréversible, et que l’avenir dépend des actions. C’est précisément cela qui amène Heidegger à affirmer que l’Homme existe par sa temporalité. Car exister, au sens étymologique, du latin, veut dire « hors de », « sortir de ». Et l’Homme peut exister dans ce sens car la conscience du temps lui permet de s’extraire du présent, de s’extraire des choses, donc d’avoir un point de vue particulier. C’est ce qu’Heidegger nomme le souci. Il faut aussi se demander si le temps ne fait pas de la mort notre horizon, car en effet, si je n’avais pas d’avance la perspective de la mort, si je ne savais pas que je mourrais un jour, je me ne me soucierais pas tant de ma vie. « Ce n’est donc pas la mort qui nous vient du temps, mais le temps qui nous vient de la mort.» (Heidegger). Autrement dit, je ne meurs pas parce que je suis un être temporel soumis aux lois du temps, au contraire: le temps n’existe pour moi que parce que la perspective certaine de ma mort m’invite à m’en soucier; ma conscience d’exister est solidaire d’une conscience de la mort, soit du temps. En effet, les animaux, inconscients de leur mort, ne connaissent pas le temps. «L’Homme est cet être pour qui il y va de son être de cet être même». (Heidegger). Dans cette irréversibilité, nous pouvons également placer le cycle du temps. Il peut se traduire par le quotidien, ce qu'on pourrait appeler familièrement: la routine. Se lever, se laver, aller travailler, revenir, dîner, dormir... Mais, seulement et bien sûr, lorsque l'on parle de cycles, c'est surtout pour faire référence aux cycles de temps naturels, comme les saisons, le jour et la nuit, les mois, les années... Les cycles sont parfois caractérisés par des évènements qui s’inscrivent dans le phénomène de l’irréversibilité : pendant la saison des pluies, certains espaces sont marqués par de graves inondations, des tempêtes etc… Ces faits constituent des rappels inoubliables que le monde est en constante évolution, une évolution inscrite et déterminée par le temps, et un temps qui est irréversible: « On ne peut descendre deux fois dans le même fleuve (car de nouvelles eaux coulent toujours) »… Héraclite d’Ephèse.

Selon Kant, le temps est partout et est partout le même puisque tout ce que nous percevons est dans le temps, mais aussi nul part puisque nous ne percevons jamais le temps comme tel. Cela nous ramène à Newton, qui lui distingue le temps « relatif », que l’on perçoit en comptant jours, semaines, mois, et années, bref, ce que l’on traite de durée, du temps « absolu, vrai et mathématique, en lui-même et de sa propre nature, coulant uniformément sans relation à rien d’extérieur ». Nous sommes tous confrontés, chaque jour, aux conséquences du temps: les générations, la destruction, la dégradation, l'accroissement, l'altération, le vieillissement, les naissances, la science... On pourrait ainsi dire de notre « temps » qu'il est ainsi compté. Epicure disait : « Nous composons le temps avec les jours et les nuits, avec nos affections et nos états d’impassibilité, avec les mouvements et les repos, concevant en tout cela un certain accident commun d’un caractère spécial, que nous nommons le temps. » Cependant, il existe une conception qui peut être renforcée par un exemple très réel et commun à tous: le relativisme du temps. N’est-il pas vrai que lorsque l’on s’amuse, quand on est diverti, le temps semble passer beaucoup trop vite, alors que lorsqu'on s’ennuie, ou quand on attend quelque chose, le temps semble infiniment long? Les vacances, les week-ends paraissent bien trop courts comparés à l’année ou la semaine de travail… Le temps serait donc relatif à la psychologie de l’individu en question?

Cependant, les hommes ont toujours tenté de s'attacher à tout ce dont il était possible de s'accrocher, justement, pour ne pas approcher de la mort, ou plus exactement: pour ralentir le temps qui pourrait les mener à la vieillesse, puis à la mort. Les crèmes de toutes sortes, la chirurgie esthétique, les médicaments, le sport afin de maintenir une certaine forme... Ils se sont même attachés à des mythes, des légendes, comme l'éternité. Ils ont songé au clonage, à l'hibernation... Tant de techniques les plus incroyables les unes que les autres pour faire croire à l'Homme qu'il peut ralentir le compte à rebours qui l'attend au bout et réduit peu à peu. Mais effacer certains changements, ignorer le temps n'empêchent pas pour autant le temps de filer, la mort arrivera bel et bien par exemple, pour la bonne raison que nous n'avons pas de prise sur le temps. Mais dans ce cas est-ce que quelqu'un à ce pouvoir ?

 

Si nous nous ne pouvons avoir de prise sur le temps, les autres créatures de notre planète non plus, l'humain étant la plus évoluée. Dieu en revanche qui est tout puissant a ce pouvoir; un exemple est même cité dans la Bible: « Dieu arrêta la course du soleil pour qu'une bataille entre Josué et les amorites puisse se terminer. » C'est pour cela qu'on ne peut nier l'existence du temps, l'Homme étant son ultime prisonnier. Les animaux aussi subissent l'effet du temps, d'ailleurs plus rapidement qu'un Homme pour la majorité d'entre eux, mais sans en avoir aucunement conscience. Le temps remet l'Homme en question, il se pose des questions, et plus le temps avance et plus il regrette certains faits, certains gestes, certaines erreurs qui ont pu le mener là où il ne devrait pas être. Le temps représente en fait notre malheur, l'engrenage de vie, qui marquera la fin de celle-ci. Comme Lavelle l'eut si bien dit: « …le propre du temps, c’est de nous devenir sensible moins par le don nouveau que chaque instant nous apporte, que par la privation de ce que nous pensions posséder et que chaque instant nous retire. » Nous pouvons dire que la conscience du temps est une dimension essentielle, mais tout aussi paradoxale de la condition humaine, car en elle, l’Homme se saisit à la fois comme un être impuissant et précaire, et comme une puissance libre et créatrice.

 

Savoir que le temps est subjectif, et que c’est justement cela qui nous défini en tant qu’Hommes, ne nous enlève pas pour autant cette angoisse, de l’ennemi qu’est le temps… Le temps inhérent à l’humanité ne la réjouit pas, bien au contraire, et c’est ce qu’expriment Baudelaire ou Ronsard dans leurs poèmes. Et c’est précisément cela qui peut nous amener à nous poser cette fameuse question « Est-il possible de nier l’existence du temps ? », et pas seulement sur le plan « technique » comme nous l’avons vu au début de cette réflexion, mais sur le plan « moral ». Ainsi, nous sommes parfois tentés de nier le temps inéluctable : mais cette tendance elle-même est propre à notre conscience, car cette dernière suppose de « pouvoir prendre un recul à l’égard de toute chose donnée » et par conséquent, de « la nier », nous dit Merleau-Ponty. Mais il nous dit aussi qu’il y a deux façons d’appréhender la mort: la première serait de se soumettre au temps, de façon pathétique, tandis que la seconde serait en quelque sorte celle des sages: une vision sèche et résolue, mais qui en fait une « conscience plus aiguë de la vie ». Ainsi, tout en sachant pertinemment que le temps court et que la mort s’approchent depuis le jour de notre naissance, l’Homme a aussi la faculté de créer et de se tourner vers l’universel, le relativement intemporel, avec les arts, exemple parmi d’autres. De même, on a vu précédemment que sans le temps nous n’aurions pas de conscience morale, conscience universelle qui existe seulement parce que nous avons conscience de l’irréversible et du possible, parce que nous avons conscience temporelle.

 

Cette négation n'apporte donc pas de grands changements physiques finalement, c'est une condition d'esprit, une vision particulière de la vie qui nous fait ignorer beaucoup de choses. La possibilité technique de nier cette notion de temps semble donc complexe mais faisable, il y a néanmoins encore une autre possibilité, la possibilité morale ou spirituelle. Plutôt que de nier le temps et ses effets de façon direct, ce qui s'apparente plus à un refus, par rapport à ce qui nous entoure, il est possible de ne s'arrêter que sur des notions qui ne peuvent être altérées par le temps, des notons telles que l'amour, la justice, la droiture... Le temps n'a pas de prise sur ces notions là, et fixer son esprit dessus est une façon de passer outre le temps, de voir au-delà, dans l'absolu. Ce pouvoir nous l'avons mais en définitive, cela n'empêchera toujours pas le temps d'œuvrer sur nos corps au moins.

 

Nous savons tous que nous allons mourir, et c’est sûrement cela qui fait de nous des Hommes. Après avoir vu que le temps n’est pas une chose, mais une dimension de notre conscience, nous nous demandons alors, qu’est-ce qui cause la mort ? Notre réflexion nous amènerait tout logiquement à répondre que c’est le temps subjectif, de notre conscience, qui amène à la mort: mais c’est impossible! Nous savons que la mort est inéluctable et scientifique, donc il est absurde de dire que notre conscience nous y amène. Notre existence est elle-même contrôlée par le temps: après neuf mois dans le ventre de notre mère, nous sommes nés, nous grandissons, nous vieillissons, et enfin, inévitablement, nous mourons. Le temps est inscrit dans notre être de telle manière qu’il trace notre route du berceau au tombeau. Seul un fait hasardeux ou un accident peut empêcher le chemin déjà tout tracé. Nier l’existence du temps, ce serait donc nier l’existence de l’un des éléments, le facteur principal qui fait de notre existence individuelle ce que l’on appelle une vie, car nul n’est immortel. Toutes nos connaissances, tous les objets sensoriels avec lesquels nous rentrons en contact de façon quotidienne, tout est périssable, et tout périra, car l’existence est délimitée par le temps, et le temps est un agent destructeur irréversible et inévitable.

Finalement on peut dire que oui, il est techniquement possible de nier l'existence du temps, comme il nous est possible de dire que le ciel est vert en regardant par terre, alors qu'il sera toujours bleu en réalité. Nier l'existence du temps ne l'empêche donc pas de s'écouler. Il est aussi moralement possible de fixer notre esprit sur des choses immuables, des notons comme la justice, d'élever notre esprit à un rang plus absolu, mais notre corps, notre personnalité, notre caractère et notre réflexions et tout ce qui nous constitue, eux, subiront toujours le temps ainsi que notre environnement. Ainsi, il serait juste de dire qu’ultimement, nier l’existence du temps, revient à nier notre propre existence, soit mourir.

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