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Lorenzaccio, IV, 9

Publié le 27/05/2015

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Lorenzaccio, IV, 9

Tout est prêt pour le meurtre d'Alexandre par Lorenzo. Ce dernier en a averti les républicains, qui ne l'ont pas cru. Lorenzo veut attirer le duc dans un guet-apens : en bon entremetteur qu'il est devenu, il compte lui présenter Catherine, sa tante, femme très vertueuse mais dont le duc est épris. Lorenzo profitera de ce rendez-vous galant pour frapper Alexandre. Cette scène précède la scène du meurtre (scène 11). (Voir le résumé de la pièce, p. 22).

Une place ; il est nuit. Entre LORENZO.

Je lui dirai que c'est un motif de pudeur, et j'emporterai la lumière — cela se fait tous les jours —, une nouvelle mariée, par exemple, exige cela de son mari pour entrer dans la chambre nuptiale, et Catherine passe pour très vertueuse.

5      Pauvre fille ! qui l'est sous le soleil, si elle ne l'est pas? — Que ma mère mou­rût de tout cela, voilà ce qui pourrait arriver.

Ainsi donc, voilà qui est fait. Patience ! une heure est une heure, et l'horloge vient de sonner. Si vous y tenez cependant... — Mais non, pourquoi? Emporte le flambeau si tu veux ; la première fois qu'une femme se donne, cela est tout simple. — Entrez donc, chauffez-vous donc un peu. — Oh ! mon Dieu, oui, pur caprice de jeune fille ; et quel motif de croire à ce meurtre ? — Cela pourra les étonner, même Philippe.

Te voilà, toi, face livide ? (La lune paraît.) Si les républicains étaient des hommes, quelle révolution demain dans la ville ! Mais Pierre est un ambi‑

15    tieux ; les Ruccellaï seuls valent quelque chose. — Ah ! les mots, les mots, les éternelles paroles! S'il y a quelqu'un là-haut, il doit bien rire de nous tous ; cela est très comique, très comique, vraiment. — Ô bavardage humain ! ô grand tueur de corps morts ! grand défonceur de portes ouvertes ! ô hommes sans bras !

20    Non ! non ! je n'emporterai pas la lumière. — J'irai droit au cœur ; il se verra tuer... Sang du Christ! on se mettra demain aux fenêtres.

Pourvu qu'il n'ait pas imaginé quelque cuirasse nouvelle, quelque cotte de mailles. Maudite invention ! Lutter avec Dieu et le diable, ce n'est rien ; mais lutter avec des bouts de ferraille croisés les uns sur les autres par la main sale

25    d'un armurier ! — Je passerai le second pour entrer; il posera son épée là —ou là — oui, sur le canapé. — Quant à l'affaire du baudrier à rouler autour de la garde, cela est aisé. S'il pouvait lui prendre fantaisie de se coucher, voilà où serait le vrai moyen. Couché, assis, ou debout? assis plutôt. Je commen­cerai par sortir ; Scoronconcolo est enfermé dans le cabinet. Alors nous

30    venons, nous venons — je ne voudrais pourtant pas qu'il tournât le dos. J'irai à lui tout droit. Allons, la paix, la paix! l'heure va venir. — Il faut que j'aille dans quelque cabaret; je ne m'aperçois pas que je prends du froid et je viderai un flacon. — Non; je ne veux pas boire.— Où diable vais-je donc? les cabarets sont fermés.

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35   Est-elle bonne fille ? — Oui, vraiment. — En chemise ? — Oh! non, non, je ne le pense pas. — Pauvre Catherine ! — Que ma mère mourût de tout cela, ce serait triste.— Et quand. je lui aurais dit mon projet, qu'aurais-je pu y faire ? au lieu de la consoler, cela lui aurait fait dire: Crime ! Crime ! jusqu'à son dernier soupir !

40    Je ne sais pourquoi je marche, je tombe de lassitude. (// s'assoit sur un banc.) Pauvre Philippe ! une fille belle comme le jour. Une seule fois je me suis assis près d'elle sous le marronnier; ces petites mains blanches, comme cela tra­vaillait! Que de journées j'ai passées, moi, assis sous les arbres ! Ah! quelle tranquillité ! quel horizon à Cafaggiuolo ! Jeannette était jolie, la petite fille

45 du concierge, en faisant sécher sa lessive. Comme elle chassait les chèvres qui venaient marcher sur son linge étendu sur le gazon ! la chèvre blanche reve­nait toujours, avec ses grandes pattes menues. (Une horloge sonne.) Ah ! ah ! il faut que j'aille là-bas. — Bonsoir, mignon ; eh! trinque donc avec Giorno. — Bon vin! Cela serait plaisant qu'il lui vînt à l'idée de me dire : Ta chambre

50    est-elle retirée? entendra-t-on quelque chose du voisinage ? Cela serait plai­sant; ah ! on y a pourvu. Oui, cela serait drôle qu'il lui vînt cette idée.

je me trompe d'heure ; ce n'est que la demie. Quelle est donc cette lumière sous le portique de l'église ? on taille, on remue des pierres. Il paraît que ces hommes sont courageux avec les pierres. Comme ils coupent! comme ils

55    enfoncent! Ils font un crucifix ; avec quel courage ils le clouent! Je voudrais voir que leur cadavre de marbre les prît tout d'un coup à la gorge. Eh bien, eh bien, quoi donc? j'ai des envies de danser qui sont incroyables. Je crois, si je m'y laissais aller, que je sauterais comme un moineau sur tous ces gros plâtras et sur toutes ces poutres. Eh, mignon, eh, mignon ! mettez vos gants

60 neufs, un plus bel habit que cela, tra la la! faites-vous beau, la mariée est belle. Mais, je vous le dis à l'oreille, prenez garde à son petit couteau.

 

(Il sort en courant.)

La pantomime du meurtre

La ferveur de Lorenzo ne se donne pas seulement à entendre dans le brouillage des discours, elle se donne aussi à voir à travers les gestes du personnage, gestes que suggère le caractère concret de ses paroles.

L'agitation du héros. Lorenzo est en marche, il s'assied, il a envie de danser, il mime la scène (trinque). On peut imaginer qu'il mime les gestes des personnages du drame qui va se jouer dans moins d'une heure, la ges­tuelle ici, l'implication de tout le corps de l'acteur soutient et relance à la fois la parole de détermination, d'auto-persuasion.

L'atmosphère tragique. Ce monologue n'appartient pas à une tragé­die; pour autant, il n'est pas exempt de tragique : il est déjà habité par le meurtre, cet acte devenu indispensable à son auteur et pourtant inutile. Lorenzo l'anticipe dans ce passage, en une véritable scène de répétition. 

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