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La Peste de Camus: L’accueil du public et de la critique

Publié le 23/01/2020

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maintenant ses idoles. Il est significatif de constater l’étonnante faiblesse des « raisonnements » implicites de La peste : le récit, dur et dense quand il se borne à n’être qu’une chronique dépouillée, se relâche dès qu’il prétend à offrir une éthique; quelle pitié de voir Albert Camus, que nous estimions et que nous aimions pour la rigueur de sa pensée tout autant que pour le courage de son caractère, se mettre à penser mou !...

« C’est l’équilibre de l’évidence et du lyrisme qui peut seul nous permettre d’accéder en même temps à l’émotion et à la clarté », a-t-il écrit ailleurs : ici, hélas, le lyrisme a brouillé les cartes, l’équilibre est rompu, la clarté se perd. Du Mythe de Sisyphe à La peste, il n’y a pas dépassement dialectique, mais saut dans le noir. »

LA RUPTURE AVEC SARTRE

Dans Les temps modernes, le premier compte rendu de La peste demeure très nuancé. Étiemble discerne à juste titre, en Tarrou, un reste de croyance au péché originel et critique fortement ses positions utopistes : « Que les mouchards nous dégoûtent, que les bourreaux nous fassent horreur, évidemment. Renoncez à cette justice imparfaite, licenciez polices et procureurs, vous verrez pis. » Sans relever, comme le fera plus tard Conor Cruise O’Brien \\ l’absence à peu près totale des Arabes dans le livre, Étiemble note que Camus n’a pas oublié de relever « l’inégalité des hommes devant la mort et devant la maladie ». Il s’étonne seulement que Rieux, « le fléau disparu, n’entreprenne pas d’atténuer cette inégalité devant la mort, bien plus dure à (son) sens que celle des fortunes, encore qu’elle en soit la conséquence naturelle; qu’il n’exige pas la suppression des zones lépreuses »... (Rien n’indique que Rieux ne le fasse pas, la chronique s’arrête avant.)

Mais les mêmes Temps modernes publient un peu plus tard, à propos de L’homme révolté, un article de Francis Jeanson qui contient sur La peste des appréciations ahurissantes :

LES POINTS DE VUE CHRÉTIENS

Du côté chrétien les réactions furent également assez diverses, la figure du Père Paneloux en particulier parut à beaucoup inexactement représentative. Rieux n’estime-t-il pas lui-même (p. 223) que le Père côtoie l’hérésie?

Pierre-Henri Simon, dans L’homme en procès (Payot, édit.), constate à regret chez Camus « une incompréhension profonde du christianisme » :

« Croyant naïf, abusé par des mythes qui lui voilent le pathétique de sa condition d’homme, ou croyant déchiré qui tire honnêtement de sa foi la conséquence d’une adhésion mystique au malheur, le chrétien, dans La peste, est enfermé entre les deux termes de cette alternative, et il conclut toujours par une sécession de la terre. Mais n’est-ce pas une vue bien simplifiée et arbitraire? Dans la réalité vécue de l’expérience religieuse, il semble qu’il soit moins question d’un choix entre l’optimisme et le désespoir que d’un équilibre à tenir entre deux appels : celui de la confiance en la bonté du Père et celui de l’association à la passion du Fils. »

Jean Onimus, dans son étude Camus devant Dieu, déclare au contraire à propos du Père Paneloux :

« Si l’on suit de près le texte du second sermon, on ne peut que rendre hommage à la lucidité de Camus. Sans y entrer lui-même, et tout plein au contraire de réticences et de révolte, il a parfaitement expliqué ce qu’est la vertu de religion. Un théologien ne pourrait qu’approuver les termes qu’emploie Paneloux et jusqu’aux nuances qu’il tient à souligner : ni résignation, ni fatalisme mais acceptation crucifiante, unie à la volonté de lutte contre le mal », et Jean Onimus se demande finalement, dans sa conclusion, « si la vie spirituelle de Camus n’est pas celle d’un grand amour manqué ».

propres » : ... « Que vienne le temps où, en dépit des avatars présents, la France se dirigera vers le socialisme... et peut-être les mises en garde de Camus contre les dégradations de la révolution seront-elles utiles à ceux qui seront justement aux prises avec ces menaces... »

LA VALEUR ARTISTIQUE DE L’ŒUVRE

Tout occupée par les problèmes posés, la critique a peu étudié en général l’art de La peste. Ici encore nous citerons seulement quelques jugements défavorables, à partir desquels les lecteurs pourront déterminer, plus facilement nous semble-t-il, leur propre goût.

« La peste, un livre gris et lourd » (Emmanuel Moünier, Esprit).

« Alors que Kafka, par la démesure de ses visions, devient parfois obscur, Camus, faisant sonner trop haut ce qu’il y a de purement humain en l’homme, sonne creux. Là où les symboles de Kafka vous donnent le vertige en tournant sur leur axe, les images de Camus se révèlent trop souvent comme de plates allégories qui perdent tout mystère pour peu qu’on applique à leur traduction et à leur solution la doctrine convenable. Cette ville pestiférée semble condamnée moins à la fosse commune qu’au lieu commun » (Heinz Politzer, Der Monat).

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« COMPLAISANCE POUR L'ABSURDE OU ABANDON DE LA RIGUEUR? Les critiques traditionnels (Marcel TmÉBAUT, La revue de Paris, :Émile HENRIOT, Le monde), tout en reconnaissant la puissance de Camus romancier ((< La description de cette épidémie est extraordinairement convaincante; le lecteur tâte ses aisselles avec inquiétude n), reprochent au livre en général ce qu'il garde de complaisance pour l'absurde.

On pourrait croire que Marcel Thiébaut par exemple n'a lu que la première version de l'œuvre, ce qui est pourtant impossible puisqu'elle était inconnue.

au moment où il écrivait : « Le monde où vit M.

Camus est une vaste prison, sur laquelle pèsent d'éternelles menaces.

La nature elle­ même a mauvaise conscience.

Baudelaire écrivait : " Homme libre toujours tu chériras la mer.

" M.

Camus écrit: «Seule la mer, au bout du damier terne des maisons, témoignait de ce qu'il y a d'INQUIÉTANT et de jamais reposé dans le monde.

>> Dans les descriptions qu'il a faites des choses et des êtres, M.

Camus, en homme qui ne veut voir que l'étrange ou l'absurde et par voie de consé­ quence refuse le comique, se place toujours au-delà de l'ironie.

D'un obstiné qui consacre ses journées entières à faire passer inutilement des pois d'une marmite dans une autre, il dit : " A en croire sa femme, il avait donné très jeune des signes de sa vocation.

>> Le mot « vocation '' a été placé là sans sourire et n'invite pas au sourire.

Sur le plan où se place M.

Camus, la vocation de transvaser sans raison des petits pois en vaut une autre.

Il propose de voir un héros dans le fonctionnaire .qui passe ses nuits à corriger l'unique phrase de son «roman''- Oui, un héros, car cette forme d'héroïsme-là, elle aussi, en vaut une autre ...

Pour lui une lumière grise, égale, se pose impartialement sur toutes choses.

Nous sommes dans un monde sans joie, un monde de pierre, fatal et absurde.

)) Au contraire Jean-Jacques RINIERI regrette, dans La nef, « la nudité des œuvres précédentes >' : « Les valeurs éternelles », qu'il avait dégonflées en faisant éclater la mystification qu'elles impliquent, sont 64. »

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