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Freud, Considérations actuelles sur la guerre et la mort

Publié le 22/03/2015

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« Les peuples sont représentés à peu près par les États qu'ils forment ; les États, par les gouvernements qui les dirigent. Chaque ressortissant d'une nation peut, avec horreur, constater au cours de cette guerre ce dont il avait déjà une vague intuition en temps de paix, à savoir que si l'État interdit à l'individu le recours à l'injustice, ce n'est pas parce qu'il veut supprimer l'injustice, mais parce qu'il veut monopoliser ce recours, comme il monopolise le sel et le tabac. L'État en guerre se permet toutes les injustices, toutes les violences, dont la moindre déshonorerait l'individu. Il a recours, à l'égard de l'ennemi, non seulement à la ruse permise, mais aussi au mensonge conscient et voulu et cela dans une mesure qui dépasse tout ce qui s'était vu dans des guerres antérieures [...]

Il ne faut pas s'étonner [...] de constater que le relâchement des rapports moraux entre les grands individus de l'humanité ait eu ses répercussions sur la morale privée, car notre conscience, loin d'être le juge implacable dont parlent les moralistes, est, par ses origines, de « l'angoisse sociale « et rien de plus. Là où le blâme de la part de la collectivité vient à manquer, la compression des mauvais instincts cesse, et les hommes se livrent à des actes de cruauté, de perfidie, de trahison et de brutalité, qu'on aurait crus impossibles, à en juger uniquement par leur niveau de culture. «

Freud, Considérations actuelles sur la guerre et la mort,

Payot, p. 240-241.

 

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« Textes commentés 45 Thèse - Si l'État est fondé à réprimer la violence et l'injustice, c'est qu' il leur oppose la force et le droit qu'affermissent dans la conscience morale le sentiment de culpabilité et la peur du châtiment.

Mais si la guerre offre à l'État l'occasion de transgresser ses propres principes en légalisant la violence, on ne doit pas s'étonner que les individus défoulent une agressivité que plus rien ne contient.

a) L'État canalise la violence: Pour Freud l'inconscient n'obéit pas seu­ lement au principe de plaisir ; il est également la proie de tendances agressives qui seraient destructrices de tout lien social si la société ne parvenait à les inhiber.

A cet égard l'éducation joue un double rôle : elle s'efforce en premier lieu de développer chez l'enfant toutes les formes d'altruisme et de sociabilité ; mais comme elle connaît la fragilité de ses sentiments, elle habitue surtout la conscience à exercer sur le Moi une agressivité analogue à celle qu'il eût aimé satisfaire contre autrui.

En intériorisant les tabous sociaux, la conscience morale s'interdit de les transgresser, et se sent même coupable d'y songer.

D'une certaine façon l'État prolonge extérieurement ce dispositif puisqu'en s'opposant à la violence, il la rend illégitime et qu'en incarnant le droit il peut s'autoriser à condamner l'injustice.

A défaut d'agir par devoir, c'est à dire moralement, les individus sont au moins tenus au respect de l'autre ne serait-ce qu'en raison de la pression sociale dont ils craignent les effets, et du châtiment que l'État peut toujours exercer à leur endroit.

b) L'État en guerre érige la violence en norme.

Pourtant la guerre de 1914 a montré à quel point ce dispositif était fragile.

Première guerre totale en ce qu'elle a mobilisé toutes les énergies vers la victoire, elle fut aussi l'occasion de montrer que les États étaient prêts à tout pour y parvenir.

A tout c'est-à-dire à pratiquer voire à encourager la violence, l'injustice et le mensonge, dont ils s'autorisaient en temps de paix à réprimer toutes les formes.

On peut comprendre que cette hypocrisie et ce cynisme aient ébranlé les consciences : l'Europe qui se piquait de culture et de progrès ne mettait-elle pas l'une et l'autre au service de la barbarie et de la régression ? Mais plus grave encore pour Freud : en justifiant les pires exactions l'État a trahi sa mission puisqu'il a permis que la violence devienne une norme, révélant par là même la fragilité du processus de civilisation et le caractère artificiel de la conscience morale qui n'a de force que celle que la société veut bien exercer sur elle.

Que cette force vienne à manquer, et la conscience disparaît avec elle.

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