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Avoir des principes

Publié le 12/02/2013

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AVOIR DES PRINCIPES L'expression « avoir des principes «, si elle est très courante, comporte une ambiguïté évidente qui repose sur le sens à accorder au verbe avoir : il s'agit en effet de savoir si l'on possède des principes ou si l'on découle d'eux. Si l'on se réfère à son étymologie, le terme a tant dans ses origines latines (« principium « et « princeps «) que dans son origine grecque (« arkhè «) le sens de ce qui commence et commande. Il faut alors se demander s'il est juste de prétendre avoir des principes ou s'il ne faudrait pas plutôt affirmer que les principes nous « ont «. Le problème qui se pose ici est celui de la priorité, qu'il faut résoudre par celui de la pluralité : il s'agit de déterminer s'il est possible d'avoir plusieurs principes, ou si cette possibilité ne contient pas une contradiction interne. Si l'on établit l'existence d'un principe indifférent, comment la prouver et dès lors comment accepter que notre vie soit gouvernée par un objet auquel on ne peut avoir accès ? Revendiquer une pluralité de principes pourrait être, paradoxalement, un moyen d'affirmer cette indifférence du principe plutôt que de la nier : si je prétends n'avoir qu'un principe, je suis obligé de le définir. Ma vie sera guidée par Dieu, la sagesse, la liberté etc. J'assume ainsi l'ambiguïté du terme et le fait d'être guidé, donc possédé, par un principe que je n'ai pas moi-même créé. Avoir « des « principes, au contraire, reste beaucoup plus vague et indéterminé. En effet, si l'on a plusieurs principes, cela ne suppose-t-il pas de posséder un principe à nos principes, qui nous permettrait de trancher en cas de dilemme moral par exemple? On pourrait avoir l'impression d'avoir des principes ne dépendant que de nous-mêmes qui guideraient nos actions, mais être en réalité possédé par un principe qui commanderait notre vie. La difficulté est donc d'évaluer la pertinence de l'emploi du pluriel à principes : ne parle-t-on pas toujours soit de valeurs, soit d'un principe ? C'est donc dans les rapports du principe au principié que réside le problème : toutes ces questions sont subordonnées à celles du flou laissé par l'emploi de l'infinitif. Il faut donc se demander qui a des principes, et cela suppose de savoir qui sont les principes. La première difficulté soulevée par le sujet paraît être le mésemploi du verbe avoir dans l'expression, qui introduit une confusion en laissant supposer possible la possession de principes. Or de même que le verbe grec esti, « il est «, est souvent traduit en français par la locution « il y a «, on a moins un principe qu'on est un principe. « Avoir « des principes suppose paradoxalement que ceux-ci ne viennent pas de nous mais d'êtres extérieurs et pose le problème de la régression à l'infini. Si on peut avoir des principes c'est en effet qu'un principe peut lui-même nous avoir. L'expression peut ainsi signifier aussi bien que j'ai mes parents pour principes (car ils ont commencé ma vie) et que j'ai des principes moraux, celui de ne pas tuer par exemple. Il faut donc préciser le sens du verbe et affirmer être principe. Si en effet, je le suis, je le suis forcément de quelque chose : je peux dès lors rester principe de mes principes moraux, et en ce sens avoir des principes, mais je ne peux plus être principe de mes parents. Une autre ambiguïté se trouve aussi réglée : je n'ai pas des principes, mais je suis un principe dont découlent plusieurs principes moraux subordonnés au premier. On peut par exemple citer les dix commandements, qui offrent autant de principes moraux mais en fait se réduisent à un seul principe premier : Dieu. L'expression n'est donc acceptable que sous deux modalités : soit en déclarant être soi-même principe de ses principes, et par là être de son avoir, soit en posant l'existence d'un principe extérieur. Nous avons alors bien des principes, mais ils viennent d'un principe qui est. Platon le décrit en effet dans le livre VI de la République comme « cet être qui existe éternellement et ne se dissipe pas sous l'effet de la génération et la corruption « , mais cela nécessite de poser son existence hors de l'espace et du temps : il le faut le déclarer indifférent. Or la conclusion à tirer de cette nécessité est que nous ne pouvons pas être notre propre principe : cela est incompatible avec notre vie dans le monde sensible. Le principe est donc extérieur, indifférent et un ; mais Platon complète cette description dans le Phèdre où il écrit que « l'essence, véritablement existante, est sans couleur, sans forme, impalpable «. L'essence se définit précisément par ce qui n'a pas de substance ; mais ici, cela signifie que ce qui est principe ne peut pas avoir des principes, sous-entendu des substrats. Sa simple tâche se résume à exister de toute éternité...

« Platon le décrit en effet dans le livre VI de la République comme « cet être qui existe éternellement et ne se dissipe pas sous l'effet de la génération et la corruption » , mais cela nécessite de poser son existence hors de l'espace et du temps : il le faut le déclarer indifférent.

Or la conclusion à tirer de cette nécessité est que nous ne pouvons pas être notre propre principe : cela est incompatible avec notre vie dans le monde sensible.

Le principe est donc extérieur, indifférent et un ; mais Platon complète cette description dans le Phèdre où il écrit que « l'essence, véritablement existante, est sans couleur, sans forme, impalpable ».

L'essence se définit précisément par ce qui n'a pas de substance ; mais ici, cela signifie que ce qui est principe ne peut pas avoir des principes, sous-entendu des substrats.

Sa simple tâche se résume à exister de toute éternité, c'est-à-dire à être perpétuellement principe de lui-même.

Le principe est donc cet être qui « se meut lui-même » et qui « parce qu'il n'a point eu de naissance, ne saurait non plus avoir de fin ».

Le principe commence et commande donc tout l'univers par le simple fait d'être ; on peut alors dire que j'ai, non pas des, mais un principe.

C'est en effet le problème de la pluralité des principes qui se trouve résolu en faisant précéder l'avoir par un être : le principe ne peut être qu'un, et même si je peux avoir l'impression d'avoir des principes il y en a en fait un qui gouverne tous les autres.

On peut prendre ici le célèbre exemple d'Abraham et Isaac.

Abraham, parce qu'il était respectueux de Dieu, avait pour principe de ne pas tuer son prochain.

Pourtant, lorsque Dieu lui demande de le faire, il obéit : le principe de ne pas tuer est une loi divine, il est donc réductible à Dieu ; or un ordre direct de celui-ci l'emporte sur un commandement légué.

Mais ce cas de figure précis suppose qu'on puisse avoir accès au principe, que Dieu nous parle.

Chez Platon lui-même, l'homme peut entrapercevoir le principe s'il atteint le monde intelligible ; la nature des principes à avoir ne posera pas de doute puisqu'ils proviennent d'une connaissance du principe.

L'homme sage sera donc celui qui possède les justes principes : c'est ainsi que dans la suite du Phèdre Platon fonde une hiérarchie sociale.

« L'âme qui a vu le plus de vérités produit un homme qui sera passionné par la sagesse, la beauté, les muses et l'amour ; l'âme qui tient le second rang donne un roi juste ou guerrier et habile à commander […] » (248d).

Il ne s'agit pas d'avoir des principes, mais d'avoir les bons principes ; le philosophe doit être roi parce qu'il les possède.

Sa vertu lui a permis d'avoir un aspect plus large que les autres au monde intelligible.

Parce qu'il sait mieux que les autres quels principes sont bons pour la cité, il est donc juste qu'il la commande.

Il faut ici reconfigurer le statut du principe.

Jusque là avoir des principes revient à avoir les principes, vrais, justes, bons.

Ils ne sont que des règles d'action, permettant d'exécuter des actions bonnes se conformant au principe premier, le Bien.

Abraham accepte de sacrifier son fils parce qu'il sait que si Dieu lui demande c'est forcément en vue du bien : il ne fait pas de doute qu'un principe bon en soi, celui de ne pas tuer, puisse s'avérer mauvais s'il constitue une transgression d'un ordre divin.

Mais il s'agit alors de se demander ce qui advient lorsqu'on ne suppose pas une existence extérieure et accessible du bien.

Comment être certain de ce qui est juste si le juste est subjectif ? On se rapprocherait plus ici d'une configuration comme celle du Montserrat de Roblès.

Dans cette pièce de théâtre, Montserrat, officier espagnol, prend le parti des révolutionnaires vénézuéliens et prévient Bolivar de son arrestation imminente, lui permettant ainsi de s'échapper.

Montserrat est cependant prisonnier et soumis à un dilemme : on le menace de tuer six otage l'un après l'autre s'il ne livre pas Bolivar.

Il n'a dans ce cas plus le droit d'avoir des principes : il doit affirmer quel est son principe premier, sans avoir aucune idée de ce qui est juste absolument.

Il lui faut en fait choisir entre un idéal dont la réalisation est hypothétique (la menée à bien d'une révolution, qui peut échouer) et la vie ou la mort de six personnes qui repose entre ses mains.

Il choisit finalement de tuer les otages et apprend avant d'être lui-même tué que Bolivar a réussi sa révolution.

Il a donc par cet acte affirmer préférer la liberté de tous à la survie de quelques-uns.

Mais la question de savoir si ce choix était le bon est insolvable et toujours soumise à jugement.

Avoir des principes revient ici à avoir des convictions : en cas de dilemme c'est la conviction la plus forte qui l'emporte.

En l'absence d'un bien extérieur et objectif, ou qui est en tout cas indifférent et inaccessible, il paraît. »

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