Avoir des principes
Publié le 12/02/2013
Extrait du document
«
Platon le décrit en effet dans le livre VI de la République comme « cet être qui existe
éternellement et ne se dissipe pas sous l'effet de la génération et la corruption » , mais cela
nécessite de poser son existence hors de l'espace et du temps : il le faut le déclarer indifférent.
Or la conclusion à tirer de cette nécessité est que nous ne pouvons pas être notre propre
principe : cela est incompatible avec notre vie dans le monde sensible.
Le principe est donc
extérieur, indifférent et un ; mais Platon complète cette description dans le Phèdre où il écrit
que « l'essence, véritablement existante, est sans couleur, sans forme, impalpable ».
L'essence
se définit précisément par ce qui n'a pas de substance ; mais ici, cela signifie que ce qui est
principe ne peut pas avoir des principes, sous-entendu des substrats.
Sa simple tâche se résume
à exister de toute éternité, c'est-à-dire à être perpétuellement principe de lui-même.
Le principe
est donc cet être qui « se meut lui-même » et qui « parce qu'il n'a point eu de naissance, ne
saurait non plus avoir de fin ».
Le principe commence et commande donc tout l'univers par le
simple fait d'être ; on peut alors dire que j'ai, non pas des, mais un principe.
C'est en effet le
problème de la pluralité des principes qui se trouve résolu en faisant précéder l'avoir par un
être : le principe ne peut être qu'un, et même si je peux avoir l'impression d'avoir des principes
il y en a en fait un qui gouverne tous les autres.
On peut prendre ici le célèbre exemple
d'Abraham et Isaac.
Abraham, parce qu'il était respectueux de Dieu, avait pour principe de ne
pas tuer son prochain.
Pourtant, lorsque Dieu lui demande de le faire, il obéit : le principe de
ne pas tuer est une loi divine, il est donc réductible à Dieu ; or un ordre direct de celui-ci
l'emporte sur un commandement légué.
Mais ce cas de figure précis suppose qu'on puisse
avoir accès au principe, que Dieu nous parle.
Chez Platon lui-même, l'homme peut
entrapercevoir le principe s'il atteint le monde intelligible ; la nature des principes à avoir ne
posera pas de doute puisqu'ils proviennent d'une connaissance du principe.
L'homme sage sera
donc celui qui possède les justes principes : c'est ainsi que dans la suite du Phèdre Platon
fonde une hiérarchie sociale.
« L'âme qui a vu le plus de vérités produit un homme qui sera
passionné par la sagesse, la beauté, les muses et l'amour ; l'âme qui tient le second rang donne
un roi juste ou guerrier et habile à commander […] » (248d).
Il ne s'agit pas d'avoir des
principes, mais d'avoir les bons principes ; le philosophe doit être roi parce qu'il les possède.
Sa vertu lui a permis d'avoir un aspect plus large que les autres au monde intelligible.
Parce
qu'il sait mieux que les autres quels principes sont bons pour la cité, il est donc juste qu'il la
commande.
Il faut ici reconfigurer le statut du principe.
Jusque là avoir des principes revient à avoir
les principes, vrais, justes, bons.
Ils ne sont que des règles d'action, permettant d'exécuter des
actions bonnes se conformant au principe premier, le Bien.
Abraham accepte de sacrifier son
fils parce qu'il sait que si Dieu lui demande c'est forcément en vue du bien : il ne fait pas de
doute qu'un principe bon en soi, celui de ne pas tuer, puisse s'avérer mauvais s'il constitue une
transgression d'un ordre divin.
Mais il s'agit alors de se demander ce qui advient lorsqu'on ne
suppose pas une existence extérieure et accessible du bien.
Comment être certain de ce qui est
juste si le juste est subjectif ? On se rapprocherait plus ici d'une configuration comme celle du
Montserrat de Roblès.
Dans cette pièce de théâtre, Montserrat, officier espagnol, prend le parti
des révolutionnaires vénézuéliens et prévient Bolivar de son arrestation imminente, lui
permettant ainsi de s'échapper.
Montserrat est cependant prisonnier et soumis à un dilemme :
on le menace de tuer six otage l'un après l'autre s'il ne livre pas Bolivar.
Il n'a dans ce cas plus
le droit d'avoir des principes : il doit affirmer quel est son principe premier, sans avoir aucune
idée de ce qui est juste absolument.
Il lui faut en fait choisir entre un idéal dont la réalisation
est hypothétique (la menée à bien d'une révolution, qui peut échouer) et la vie ou la mort de six
personnes qui repose entre ses mains.
Il choisit finalement de tuer les otages et apprend avant
d'être lui-même tué que Bolivar a réussi sa révolution.
Il a donc par cet acte affirmer préférer
la liberté de tous à la survie de quelques-uns.
Mais la question de savoir si ce choix était le bon
est insolvable et toujours soumise à jugement.
Avoir des principes revient ici à avoir des
convictions : en cas de dilemme c'est la conviction la plus forte qui l'emporte.
En l'absence
d'un bien extérieur et objectif, ou qui est en tout cas indifférent et inaccessible, il paraît.
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