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LA CHARITÉ

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

  • Lecture - Une discrète charité.

    (Une jeune fille, Modesta, a perdu la vue à la suite d'un accident. Gottfried, un pauvre colporteur, se rend auprès d'elle.)

    Modesta, jusque-là, insouciante et rieuse, tomba dans un tel désespoir qu'elle voulait mourir. Elle refusait de manger, elle pleurait du matin au soir ; et, la nuit, on l'entendait encore se lamenter dans son lit.

    Un jour, Gottfried revint. Modesta n'avait jamais été bonne pour lui. Non qu'elle fût naturellement méchante, mais dédaigneuse ; et puis, elle ne réfléchissait pas, elle aimait à rire ; il n'y avait pas de malice qu'elle ne lui eût faite. Quand il apprit son malheur, il fut bouleversé, comme une personne de la famille. Pourtant, il ne lui en montra rien. Il alla s'asseoir auprès d'elle, ne fit aucune allusion à l'accident, et se mit à causer tranquillement, comme il faisait avant. Il n'eut pas un mot pour la plaindre ; il avait l'air de ne pas même s'apercevoir qu'elle était aveugle. Seulement, il ne lui parlait jamais de ce qu'elle ne pouvait voir, il lui parlait de tout ce qu'elle pouvait entendre ou remarquer dans son état ; et il faisait cela simplement, comme une chose naturelle : on eût dit qu'il était lui aussi aveugle. D'abord, elle n'écoutait pas et continuait de pleurer. Mais, le lendemain, elle écouta mieux et même elle lui parla un peu... Et depuis elle a toujours été mieux. Elle semblait oublier son mal.

    De temps en temps, cela la reprenait encore ; elle pleurait, ou bien elle essayait de parler à Gottfried de choses tristes ;, mais celui-ci ne semblait pas entendre ; il continuait de causer posément de choses qui la calmaient et qui l'intéressaient. Il la décida enfin à se promener hors de la maison, autour du jardin, puis dans les champs... Et un jour je l'ai entendue rire. Alors Gottfried m'a dit :

    « Maintenant, je crois que je puis m'en aller. On n'a plus besoin de moi... « Il est parti ; mais il faisait en sorte de repasser plus souvent par ici ; et c'était, à chaque fois, une joie pour Modesta...

    D'après Romain ROLLAND - Jean-Christophe. La Révolte. Albin Michel

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