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MOLIÈRE : Le Malade imaginaire (Dossier pédagogique)

Publié le 17/01/2022

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Le Malade imaginaire brave la maladie et la mort, ainsi que leurs « professionnels », les médecins, avec une gaieté étourdissante. Or, Molière meurt en jouant cette pièce. Sa profession même de comédien, sa réputation de « libertinage », les souvenirs scandaleux qu'avaient laissés Le Tartuffe et Dom Juan valurent à sa veuve des difficultés pour obtenir à Molière une sépulture et des obsèques religieuses ; mais, très vite, les contemporains se demandèrent si Molière n'était pas très digne de la suspicion de l'Église en raison même de sa dernière oeuvre. Certes, Molière a pris soin de purger son texte de toute référence religieuse : le Ciel n'est nommé qu'à la faveur de banales exclamations, ou parce qu'il inspire aux amants leur mutuelle passion (I, 4). Et Béralde affirme à sa façon qu'il n'y a nul rapport entre le thème de la pièce, la médecine et le salut religieux. Mais on a pu noter que son argumentation contre la médecine était celle-là même de Don Juan contre l'hypocrisie religieuse, et que pour lui la créance en la médecine est, comme les esprits forts le disaient de la religion, pure affaire de crédulité. Notons aussi que la philosophie de la nature qu'il expose (III, 3) dispense le malade non seulement de toute pratique médicale, mais encore de toute prière à Dieu ; et les robes noires des savantissimi doctores peuvent évoquer d'autres robes noires, à qui Molière avait eu affaire lors du Tartuffe.

« non à sa convenance ; Angélique aime qui elle veut ; Béline s'apprête à le gruger ; Louison lui ment — chacun,ouvertement ou secrètement, poursuit ses fins propres, incompatibles avec celles d'Argan.

Et le héros, loin d'êtrecomme il le veut le centre d'où rayonnent autorité et séduction, devient la cible de diverses intrigues, la victime dedivers coups, pire : l'objet que les uns et les autres manient, un malade pour ses médecins, une dupe pour safemme, un obstacle pour les amants et leur parti.

Triplement abusé par conséquent, Argan ne peut que laisserautour de lui les rivalités se manifester.

Le groupe de pression le plus actif et le plus sympathique ayant réussi àévincer les autres personnages, Argan, enfin débarrassé de ses médecins et de son épouse, ne recouvre pas pourautant ses esprits, mais entre fièrement dans le monde de la pure fiction, où il s'égare.

Ainsi se devine un itinéraire :faux malade, traité par un faux médecin, il devient lui-même, après avoir dû jouer le mort, un faux médecin et, lorsdu finale, quand il croit quitter la maladie, la dépendance, sa condition bourgeoise et la langue française, pourconquérir la santé, l'autorité, le statut de médecin et le latin, il n'est plus entouré que de comédiens : la comédied'intrigue, de moeurs et de caractère est devenue une fête carnavalesque.

Tout est donc bien mené crescendo,comme dans Le Bourgeois gentilhomme, et Sainte-Beuve a raison, qui dit que la pièce « monte au délire ». Les personnages 1.

Des personnages volubilesLes personnages, dans ce spectacle, sont tous volubiles et agiles : très typés moralement, socialement etpsychologiquement, ils ressembleraient à de simples caricatures si Molière ne leur avait pas donné, sans doute parceque ce sujet excitait son imagination créatrice, une étonnante aptitude à parler : beaux menteurs, comme Béline etson notaire, grands diseurs de jolis sentiments comme les bergers, les Mores ou les amants, orateurs inspirés commeBéralde, sempiternels discoureurs comme les Diafoirus ou les médecins du finale, bavards intempestifs commeToinette, tous, jusqu'à Louison, ont leur part de cette verve qu'Argon, évidemment, porte au plus haut point : d'où,chez tous, des mots, plaisants ou graves, des répliques promptes, des tirades, larges et pleines.

Il est trèsremarquable que cette pièce, qui exige décors, accessoires, costumes, figuration, qui traite, ô combien ! du corpset de sa matérialité (ce qui révoltait tant les femmes savantes), qui procure, par la musique, les danses et lesgrimaces, les effets les plus spectaculaires et qui ne boude pas, parfois, un comique très gros, offre néanmoins untexte, dont on a montré ailleurs le raffinement littéraire.

Grâce à quoi nos personnages appartiennent bien au mondede la comédie, alors qu'ils eussent pu n'être que les sèches silhouettes d'une revue satirique ou d'un divertissementfarcesque ; satire et farce existent ici, certes, mais sublimées et comme exaltées, grâce à ces fous que sont,chacun à sa façon, ces personnages vifs et volubiles, prompts à se quereller, à se mentir, à se vanter ou à seplaindre. 2.

Une « approche » de la mort par le divertissementUne pièce comme Le Malade imaginaire pourrait infirmer les thèses d'Antonin Artaud : nulle opposition, ici, entre lesdialogues d'un côté, et, de l'autre, le « langage concret » que tout vrai théâtre adresse aux sens du public, car ledialogue, par sa cocasserie, se donne lui-même en spectacle, indépendamment des significations qu'il porte et quiintéressent l'intrigue, les caractères et les thèmes en jeu.

On en aura pour preuve ce fait, que chaque rôle offre aumoins un morceau de bravoure, un grand air qu'il faut pousser, une « scène à faire ».

C'est dire que cette piècesupporte mal d'être jugée seulement comme une comédie de moeurs, d'intrigue, dé caractère, etc., mais qu'elleexige d'être lue, et surtout représentée, comme le jeu que Carnaval autorise avec ces graves choses que sont lamaladie, la mort, le mariage, etc. 3.

Le style de l'écrivain 1.

Les langagesDans un tel théâtre, il est autant de styles que de personnages.

Il sied d'apprécier la puissance de l'invention deMolière, capable, même pour une simple comédie-ballet, de constituer pour chaque personnage des langages nonseulement appropriés, mais encore prodigieusement expressifs : babil amoureux des bergers et des amants,vertigineuse construction d'un scénario de pastorale par Cléante (II, 5), éloquence anachronique et pédante deThomas Diafoirus, jargon médical et jargon juridique, latin de cuisine et italien de bel canto, éloquence inspirée chezBéralde, etc., autant de styles dont il faudrait démonter la rhétorique. 2.

Une organisation rythmiquePlus remarquables encore, les échanges verbaux entre les personnages.

Heurts violents ou feutrés de paroles, ilsont si peu de rapport avec notre prosaïque langage quotidien que la moindre analyse fait tout de suite apparaîtrequ'ils sont rythmés, et souvent suivant des schémas géométriques : duos, trios, cacophonies à l'unisson,interrogatoires et querelles, cris et soupirs, tout s'organise musicalement (cf.

G.

Conesa, Le Dialogue moliéresque).Argan domine tous les autres personnages.

Prolixe quand il s'agit de sa santé (I, 1), violent et geignard, grossier etpuéril, importun et obstiné, il oblige tous les autres à venir défiler autour de son fauteuil de malade et à se soucierde lui, et ne perd aucune occasion de dire son mot.

Cette voix royale d'Argan, qui à elle seule crée toutel'atmosphère de la pièce (I, 1) et qui résonne, superbe, lors du finale («Juro »), Molière a voulu qu'elle rencontrâtdurant là pièce quantité d'autres voix, et très variées — femmes, hommes, une enfant, voix doctorales, familières,naïves, retorses, etc., et qu'elle eût à intervenir en quantité de situations.

Ce rôle, très lourd, est ainsi l'un des plusriches que Molière ait jamais créés.. »

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